Avec le dernier stalinien de France
Alexandre Moumbaris. Photos de l'auteur

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FRANCE

Avec le dernier stalinien de France

Alexandre Moumbaris défend la mémoire de Joseph Staline et nie les crimes imputés à l’homme d’acier. On a parlé avec lui du « petit père des peuples » mais aussi de son engagement contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Sous ses airs bonhommes de grand-père porteur de bretelles, Alexandre Moumbaris dissimule un vrai révolutionnaire, du genre à faire passer Nuit debout ou les spasmes contestataires des lycéens pour de l'eau tiède, bonne à préparer le thé. Dans sa bouche résonnent des mots que l'on pensait perdus dans les limbes de l'histoire, et estampillés « massacres de la dictature prolétarienne ». C'est un peu par hasard que j'ai rencontré celui qui, pour une bonne partie de l'opinion publique, défend l'indéfendable.

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Il y a près de deux ans, les vicissitudes du journalisme m'avaient conduit à accepter un poste pour Ouest-France au fin fond de la Normandie. De son côté, Alexandre Moumbaris avait contacté la rédaction du quotidien parce que son association – dont le but est, d'après le décret publié dans le Journal officiel, de « défendre la mémoire, l'honneur, l'œuvre de Joseph Staline » – s'était vu refuser l'ouverture d'un compte en banque au Crédit mutuel. « Hostilité idéologique », avait-il dénoncé. Un coup fil plus tard, un type du service communication de la banque plaidait le « malentendu ». Finalement, Alexandre Moumbaris a ouvert un compte au Crédit Agricole.

C'est cette histoire qui m'a permis de rencontrer celui qui se niche dans les vallons verdoyants d'une Normandie a priori loin des soubresauts staliniens contemporains. La cause communiste qu'a épousée Alexandre Moumbaris s'est exprimée notamment dans son engagement contre l'apartheid en Afrique du Sud – qui lui a valu d'être décoré de l'Ordre des Compagnons d'Oliver Tambo, l'équivalent de la Légion d'honneur – et dans sa tentative de réhabiliter l'œuvre de Joseph Staline, pas forcément reconnu pour son humanisme. J'ai posé quelques questions à ce fervent défenseur du petit père des peuples.

VICE : Bonjour Alexandre. À quelle époque avez-vous « adhéré » au communisme ?
Alexandre Moumbaris : C'était dans les années 1960. À l'époque, je travaillais au Royaume-Uni pour le service informatique de l'agence de presse Reuters-Comtel. Un jour, il a été annoncé que l'on bénéficierait d'une augmentation de salaire importante mais qu'avant cela, nous devions augmenter notre productivité.

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J'ai énormément travaillé. Finalement, l'augmentation n'a pas été aussi conséquente que prévu. C'étaient juste deux shillings et demi par semaine, c'est-à-dire une somme dérisoire. En parallèle, il y avait le contexte international, avec la guerre au Vietnam, l'apartheid en Afrique du Sud et le putsch des colonels en Grèce, dont je suis originaire. Tout cela a fait que j'ai déclaré la guerre au système capitaliste.

C'est à ce moment-là que vous adhérez au Parti communiste de Grande-Bretagne et que vous partez en Afrique du Sud ?
Oui. Un camarade m'a proposé d'y aller pour lutter contre l'apartheid. L'idée m'a plu. Au début, j'ai fait passer des valises avec un double fond. À l'intérieur, il y avait des documents de propagande de l'African National Congress (ANC). Après, on m'a confié des missions de plus en plus importantes. Je suis même allé en URSS suivre une formation visant à préparer le débarquement de guérillas sur la côte est du pays !

Les Soviétiques avaient mis en place cette opération ?
Non, mais ils nous ont aidés en nous formant à de telles missions. L'initiative était celle du Parti communiste sud-africain et de l'ANC.

Après plusieurs voyages de repérage pour l'arrivée du bateau, et alors que le jour fatidique était enfin arrivé, l'opération a été brusquement annulée. J'étais avec quatre camarades et on attendait l'arrivée de 19 personnes armées. On a reçu un appel, une voix au bout du fil nous a dit : « Maman est morte. » C'en était fini.

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Par la suite, j'ai aidé des camarades à franchir illégalement la frontière pour rentrer en Afrique du Sud. C'est au cours d'une de ces missions que j'ai été arrêté. J'ai été jugé pour terrorisme et condamné à 12 ans de prison.

Quatrième de couverture d'Inside Out: Escape From Pretoria Prison

La prison sud-africaine, ça devait être quelque chose.
En fait, on m'a incarcéré dans un établissement pour « prisonniers de sécurité blancs », à Pretoria. Par rapport aux conditions françaises, c'était du luxe. Nous n'étions jamais plus de 10 !

Vous avez fini par vous évader ?
Oui, lors de ma 8e année de prison, avec deux camarades, Tim Jenkin et Stephen Lee. La journée, nous travaillions dans un atelier de menuiserie. Nous avons réussi à fabriquer de fausses clés en bois. Pendant un an, nous nous sommes entraînés à ouvrir les serrures dans le dos des matons. Nous avons dû fabriquer des clés pour franchir les 10 portes. Le 11 décembre 1979, j'étais libre. Tim explique cela dans un livre intitulé Inside Out : Escape from Pretoria Prison.

Qu'avez-vous fait ensuite ?
Nous avons rejoint notre organisation au Swaziland, puis je suis rentré en France. Au début des années 1980, j'ai participé à la création du bureau de l'ANC à Paris, puis j'ai commencé à prendre du recul. Nous avions deux enfants avec ma femme, j'avais un loyer à payer. J'ai été embauché comme informaticien dans une filiale de la Société générale. Je suis devenu délégué syndical, membre de la CGT.

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C'est à ce moment-là que vous avez créé l'association de soutien à la mémoire de Staline ?
C'était dans les années 1990, pour être exact. Aujourd'hui, nous en sommes à notre seconde association. La première a été sabordée à cause d'une scission. Depuis, je suis toujours là et avec les camarades, on tient le drapeau.

Justement, combien êtes-vous ?
Plusieurs dizaines de membres, et je ne compte pas les adeptes ! Il y a encore des partis communistes qui se réclament de l'héritage de Staline – comme le Parti communiste d'Espagne (reconstitué), ou le DHKP.

Que retenez-vous de la figure de Joseph Staline ?
Il a défendu son pays et le monde pendant la Seconde Guerre mondiale, et il a établi le socialisme – c'est-à-dire la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme. L'éducation était gratuite, la santé aussi. Le logement, quasiment. Il n'y avait plus de chômage.

Il est également accusé d'avoir tué, selon les estimations, près de 20 millions de personnes.
C'est parce que Staline est dangereux pour le système capitaliste. Quand on s'attaque à lui, on attaque le communisme. Les gens qui l'accusent sont très souvent engagés politiquement en faveur de l'impérialisme – coupable des pires crimes contre l'humanité. Ce sont des vassaux du fascisme, du pouvoir politique financier. Il n'y a qu'à voir comment les Étasuniens font la guerre au Moyen-Orient et dans le monde.

Nombreux sont les historiens à avoir travaillé sur cette question. L'immense majorité d'entre eux pointent du doigt la responsabilité de Staline dans de nombreux crimes de masse. Pour vous, il n'est pas à l'origine de la famine en Ukraine, au début des années 1930 ?
Il n'y a jamais eu de famine en Ukraine. Il suffit de lire les rapports de l'ambassadeur de France alors en poste à Kiev. Il dit « n'avoir rien vu ».

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Dans Le Livre noir du communisme
Cet ouvrage a été écrit par des valets du capitalisme. Il n'a aucune valeur historique ou scientifique.

Et les koulaks, ces millions de déportés du monde agricole ?
Il s'agissait de propriétaires terriens. Ils représentaient des adversaires de l'abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme.

Et le rapport Khrouchtchev, qui mentionne explicitement les crimes staliniens ?
C'est n'importe quoi. Pour cela, il suffit de lire Khrouchtchev a menti, de Grover Furr.

Ce rapport dénonce le culte de la personnalité autour de Staline…
Il était certainement adulé, mais c'était peut-être très exagéré. De toute façon, ce fut aussi le cas de Nasser en Égypte, ou de de Gaulle en France.

Vous évoquez régulièrement le rôle de Staline pendant la Seconde Guerre mondiale, mais qu'en est-il du pacte germano-soviétique ?
Ce pacte, c'est à cause de l'Occident. Avant le pacte, les Russes étaient en pourparlers avec les Anglais et les Français, qui ont fait traîner les négociations car ils voulaient que les nazis attaquent les Soviétiques pour qu'il n'y ait pas de guerre de leur côté. Finalement, c'est l'inverse qui a eu lieu. Staline a signé ce pacte pour retarder l'attaque, ce qui a permis à l'URSS de se préparer.

Ce que vous défendez s'apparente à du négationnisme.
Oui. Je trouve très antidémocratique le fait d'interdire des opinions.

OK. Un mot sur les récentes élections présidentielles. J'ai lu dans votre journal que le candidat dont vous vous sentiez le plus proche était François Asselineau. Pourquoi ce choix ?
Il défend trois points essentiels pour défendre la nation française et s'opposer au fascisme de la globalisation : la sortie de l'OTAN, de l'Union européenne et de l'euro.

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Et que pensez-vous de Jean-Luc Mélenchon, par curiosité ?
Il y a des aspects de son programme qui sont intéressants. Seulement, il n'est pas aussi catégorique sur le rejet de l'Union européenne – encore moins de l'euro – et sur la question syrienne. À l'instar des Étasuniens, il est un peu va-t-en-guerre. Je n'oublie pas qu'il a fait partie du gouvernement de Jospin, qui a participé à la guerre en Yougoslavie.

Malgré tout, vous ne votez pas. Vous expliquez tout de même dans votre journal que si vous aviez dû le faire, vous auriez voté au second tour pour Marine Le Pen.
Je déteste son chauvinisme et son rejet de l'étranger, mais le Front national garantit la protection de la nation face au fascisme financier qu'incarne Emmanuel Macron. Ce n'est pas pour rien si de nos jours, les ouvriers ou les plus pauvres votent pour le FN.

Vous représentez l'alliance rouge-brune, en quelque sorte.
Oui, c'est comme ça que les trotskistes me qualifieraient (rires).

Croyez-vous que le grand soir est pour bientôt ?
Non, ce n'est pas pour tout de suite. Il va falloir beaucoup d'éducation pour que les gens se révoltent enfin contre le système.

Merci, Alexandre.

Guilherme parle de littérature sur Instagram.