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Pourquoi les documentaires sur les Bleus sont-ils devenus nuls ?

Dans « Les yeux dans les Bleus », qui suivait l’équipe de France en 1998, on voyait des joueurs fumer ou se vanner sur leurs origines… Depuis, la FFF a repris la main sur la com'. Et le doc sur les Bleus en Russie n'échappe pas à la malédiction.
Marius Trésor en juin 1978 lors de la Coupe du monde en Argentine. Photo : AFP.

Allongé sur son lit, Zidane, tonsure vivace et regard rêveur, claque des doigts en rythme. La mélodie l’entraîne, et le meneur de jeu de l’équipe de France entonne la version des Enfoirés d’On ira tous au paradis. Nous sommes à l’été 1998, à la veille des quarts de finale de la Coupe du monde. Loin de la langue de bois des points presse, Zizou se livre, sur fond de paroles prophétiques pour l’équipe de France : « On a déjà fait quelque chose de bien (à lire avec l’accent), on peut faire quelque chose de très bien (remettez l’accent), et on peut faire quelque chose de très grand. »

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La scène est devenue culte, tout comme Les Yeux dans les Bleus, le film dont elle est tirée. Vingt ans plus tard, son réalisateur, Stéphane Meunier, mesure « la chance » qu’il a eu d’être « au bon endroit, au bon moment » pour le réaliser. Et surtout d’avoir pu s’exprimer en totale liberté. À l’époque, Canal +, son employeur, lui avait obtenu des accès privilégiés à Clairefontaine. « Philippe Tournon [l’attaché de presse de la FFF, encore en activité aujourd’hui, ndlr] n’avait pas envie de me courir après pour m’empêcher d’aller ici ou là. Aimé (Jacquet) m’a fait confiance. Les relations étaient assez simples. J’ai aussi bénéficié du fait que je filmais avec une toute petite caméra, et que c’était la première fois qu’on utilisait ce matériel moins intrusif aux yeux des joueurs. Sans compter qu’il était difficile d’être tout le temps sur mon dos et de contrôler ce que je faisais parce que j’étais là à filmer, du footing matinal au massage de 2 heures du matin », retrace le réalisateur.

« Quand Aimé a vu que j’avais filmé des joueurs en train de fumer, il n’a pas fait de remarque » – Stéphane Meunier, réalisateur des Yeux dans les Bleus

Seule restriction, que Stéphane Meunier a vite outrepassé, l’interdiction d’aller dans les chambres des joueurs : « L’encadrement de la FFF a découvert ça au visionnage ! Mais, c’est passé. Pareil quand Aimé a vu que j’avais filmé des joueurs en train de fumer, il n’a pas fait de remarque. Ça paraît inimaginable aujourd’hui, mais à l’époque c’était naturel ».

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On retrouve encore un peu de cette liberté dans Rendez-vous le 9 juillet, le documentaire retraçant l’épopée des Bleus jusqu’en finale de la Coupe du monde 2006. Mais dans des proportions bien moindres : la majeure partie du film étant constituée d’interviews a posteriori de l’équipe, simplement agrémentées d’une seule scène tournée au portable et restée célèbre. On y voit Franck Ribéry, euphorique après une victoire, rencontrer Jacques Chirac venu féliciter l’équipe dans les vestiaires. Des images qui présagent déjà de l’importance primordiale qu’occupe aujourd’hui le smartphone dans la médiatisation de la vie des joueurs.

En 2016, dix années et le traumatisme du bus de Knysna ont passé. L’équipe de France, dont l’opération reconquête commençait à porter ses fruits depuis la Coupe du monde 2014, jouait l’Euro à domicile. Un moment crucial choisi par la Fédération française de football (et l’inamovible Philippe Tournon) pour remettre une caméra au cœur de la vie des Bleus. Car cette fois, contrairement à 1998 où Canal + était à l’origine du doc, c’est la FFF qui a commandité le film. Signe d’une évolution du monde du foot qui, à la manière de la sphère politique, où les grands partis et l’Elysée produisent leurs propres images, se réapproprie sa communication. Farid Kounda, qui avait déjà suivi les joueurs français dans leur Coupe du monde brésilienne et avait construit un lien de confiance avec eux, a donc été choisi pour le réaliser.

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Malgré son vécu avec les joueurs, Farid Kounda a dû trouver sa place dans un contexte particulier : « Il y avait encore les cicatrices de Knysna. Il y avait Hugo Lloris, Pat Evra, André-Pierre Gignac, Bakary Sagna… Tous étaient là en Afrique du Sud. Il me fallait trouver la bonne distance pour parler aux joueurs. C’était d’autant plus difficile que ça faisait de très longues années qu’aucune caméra ne s’était approchée comme ça. » Florent Bodin, journaliste et co-réalisateur du K Benzema, un documentaire-portrait sur le joueur éponyme, appuie ses propos : « Toute la comm’ de l’équipe de France a changé avec Knysna. La fédé a tenté de façonner une nouvelle image du footeux parfait – sans casque sur les oreilles et qui chante La Marseillaise. »

Farid Kounda a donc composé avec des joueurs qui cherchaient à offrir l’image la plus lisse possible : « En 20 ans, les ingrédients ont complètement changé. C’est comme si tu voulais faire la même tarte, mais avec des pommes différentes. Et qu’il faudrait éplucher pour atteindre la chair ! En 1998, il y avait cette fraîcheur, les joueurs ne se méfiaient pas de la caméra. Et puis, ils dormaient à deux par chambre, alors qu’aujourd’hui ils y sont seuls et donc confrontés à une solitude qui n’existait pas à l’époque. Enfin, une des grosses difficultés, c’était d’avoir des joueurs pas rivés sur leurs portables et d’avoir des scènes sans musique parce qu’ils en écoutent tout le temps : à la salle de sport, chez le kiné, dans les chambres. À partir de là, c’est compliqué de créer de l’intimité. »

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« Les footballeurs deviennent les rédacteurs en chef de leur propre vie » – Frank Tapiro, publicitaire

Clairement : il y a peu de chance que les documentaristes chargés par la FFF d’immortaliser les Bleus pendant la Coupe du monde en Russie inversent la tendance. D’autant que certains joueurs commencent même à se passer de leurs services en produisant leurs propres vidéos. Une démarche initiée avec des fortunes diverses, comme en témoignent le clip lunaire sorti par Hatem Ben Arfa évoquant son mal-être au PSG, le film de vacances très west coast de Laywin Kurzawa ou, plus récemment, l’annonce improbable de Griezmann de sa décision quant à son avenir en club.

Pour Farid Kounda, qui connaît bien le cas d’Hatem Ben Arfa, cette communication parfois surprenante révèle une chose : « Les joueurs veulent se réapproprier leur image. Ils le font parfois maladroitement, mais ça traduit une envie de prendre la parole, de remplir leur vie hors-terrain ». Publicitaire et connaisseur du monde du foot, Frank Tapiro va même plus loin : « Les footballeurs deviennent les rédacteurs en chef et les producteurs de leur propre vie ».

« Aujourd’hui, le seul moyen de parler plus de 15 minutes à ces superstars, c’est de cadrer le sujet en amont » – Florent Bodin, co-réalisateur du K Benzema

C’est justement ce qui a été reproché à Benzema après la diffusion du K Benzema, un documentaire sur sa vie dont plusieurs médias ont dit qu’il avait été co-produit par son agent Karim Djaziri. A tort, selon Florent Bodin, le co-réalisateur de ce film sorti en 2017 qui a divisé les fans de foot entre défenseurs d’un « documentaire sincère » et critiques d’un « film hagiographique ». Florent Bodin écarte la polémique d’un revers de main en rappelant donc que l’agent de Benzema n’a pas mis un centime dans la production et qu’il a « fait intervenir tous les contradicteurs possibles dans le film ».

En vérité, le débat est ailleurs, et le journaliste l’a bien compris : « Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que les journalistes aient encore la main dans leurs rapports avec les sportifs. Le seul moyen de parler plus de 15 minutes à ces superstars, c’est de cadrer le sujet en amont avec elles. C’est sûr que ça laisse moins de place à l’imprévu et à l’impro, mais c’est comme ça. » Traduction : dans le futur film sur l’épopée de l’équipe de France en Russie, ne vous attendez pas à voir les Bleus fumer des clopes à l’entraînement.