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World Wild Web

Pro-vaccins et « antivax » : la guerre des mèmes

Vidéos YouTube, pages Facebook ou tweets assassins, une nouvelle génération d'activistes investit Internet pour gagner la bataille de l'opinion.
Illustration : Adrien Herda

À 17 ans, Marine est décédée le 6 juillet à Bordeaux « des suites de complications neurologiques » liées à la rougeole. Une maladie que l’on pensait disparue – et pour laquelle un vaccin existe. Greffée du cœur, la jeune fille ne pouvait être vaccinée à cause de ses traitements antirejet. Elle a probablement été contaminée par quelqu’un qui ne l’était pas non plus. Rien qu’en 2018, c’est le troisième décès dû à ce virus – après un Marseillais immunodéprimé de 26 ans et une mère de famille poitevine de 32 ans, non vaccinée.

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Des drames qui n’arrêtent pas les anti-vaccins. Et surtout pas les « antivax », comme on surnomme ceux qui ont choisi Internet comme champ de bataille – menant leur guerre idéologique à coups de hashtags #vaccinolatrie, de mèmes, de groupes Facebook ou de vidéos YouTube… Preuve de l’engouement, les « likes » pleuvent sur Facebook : 1 200 pour La vie sans vaccins, 4 700 pour Info Vaccins France, 13 700 sur Non au vaccin, et même 51 000 membres sur le groupe INFO VACCIN PREVENAR.

Quand un ironique « C’est quoi trois vies, après tout ? » est lâché sur Twitter, Guy Moquette, internaute vaccino-sceptique aux 1 000 abonnés, sort des pourcentages :

Une provocation ? « Ces statistiques servent à illustrer le vaccino-centrisme de notre société. Si on ne consacrait qu'un infime pourcentage de l'énergie déployée dans la vaccinologie pour d'autres causes de santé publique, les citoyens y gagneraient beaucoup. » Son credo : défendre la liberté de choix – « techno-fascisme, non merci ! » – et convaincre de la « non-utilité de certains vaccins comme le DTP » [diphtérie, tétanos, poliomyélite, obligatoire en France, N.D.L.R.] ».

Évidemment, les théories complotistes anti-vaccins fleurissent sur les réseaux. Ainsi, on soupçonne les effets secondaires des adjuvants comme l’aluminium, on met en garde contre des puces électroniques, on parle d’un lien entre autisme et vaccination malgré une fraude scientifique avérée… Bref, les vaccins seraient des « tests de dépopulation » qui contiendraient « du porc, du chien et du fœtus humain ». Rien que ça !

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Cette reprise de la culture Web à la sauce antivax illustre un malaise français : nous détenons le record mondial de la défiance envers les vaccins, avec 41 % de sondés méfiants. La gestion chaotique de la pandémie de grippe H1N1 en 2009 n’a pas aidé. Et le passage de 3 à 11 vaccins obligatoires pour les enfants nés en 2018 a rajouté de l’huile sur le feu. Si cette mesure vise à contrer la résurgence de certaines maladies – diphtérie, coqueluche, oreillons ou rougeole, donc –, elle a aussi poussé la guéguerre des antivax à prendre un tournant jusqu’au-boutiste. Une minorité opposée au consensus scientifique devenue bruyante sur Internet. Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l'université de Cergy-Pontoise, acquiesce : « La désinformation s’ancre dans un contexte de défiance très forte de la population à l’égard des élites et des institutions. Et moins on a accès aux médias traditionnels, plus on s’exprime en ligne. »

Si Guy Moquette ne représente que lui, des groupes aussi se mobilisent. À 37 ans, David Granda est le cofondateur de Prévention Vaccin, une des associations de la sphère vaccino-sceptique française. Il lutte depuis 2014 : « Il y a des lois qui défendent les droits des patients et la liberté de choix thérapeutique. L’obligation vaccinale entre en conflit avec. » Mais le hiatus entre le Code de la santé publique et le principe de libre choix thérapeutique de la loi Kouchner de 2002 a été résolu en 2015, lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité contre l’obligation vaccinale – finalement jugée conforme à la Constitution.

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Alors, Prévention Vaccin s’organise sur Facebook et dispense aux 1 000 abonnés toutes les news, avec pour maîtres-mots « liberté de choix thérapeutique », « reconnaissance des victimes d’accidents post-vaccinaux » et « sécurité des vaccins ». À trois reprises à partir de juillet 2017, pour suivre la contestation antivax en Italie, David et le mouvement En marche pour la liberté vaccinale ont tenté de passer de l’écran au réel. « C’était un flop », confie-t-il avec amertume. Malgré une mobilisation sur Internet, les militants n’auraient été, selon ses dires, « que quelques centaines à Paris et en province ». Pas le succès escompté. « La France est vraiment la patrie de Pasteur ! Le dogme vaccinal est fortement ancré dans la conscience collective. »

Sur la Toile, la réplique pro-vax ne se fait pas attendre. Et elle est encore plus virulente, comme le dit Guy Moquette : « Les pro-vaccins sont plus présents et c'est logique : les politiciens, les experts et les institutions sont pro-vax. » À l’image du groupe Les Vaxxeuses, qui a récolté en moins d’un an plus de 4 600 « j’aime » sur leur page Facebook. Chez eux, l’anonymat est de mise. « L’administrateur d’une page contre les "fakes médecines" a eu le malheur de révéler son identité. Il subit depuis un très violent harcèlement en ligne et IRL. » Eux disent avoir reçu des menaces de mort.

Leurs actions ? « Cela va du débunkage de vidéos ou d'argumentaires biaisés ou mensongers à la mise en exergue de propos aberrants qui, hélas, trouvent échos auprès de ces mouvements. » Clairement, Les Vaxxeuses visent « les indécis, en mettant en évidence les incohérences, les approximations, les conflits d'intérêts, les positions d'autorité et la faiblesse des arguments des antivax ». Pour cela, quoi de mieux que répondre aux mèmes par les mèmes, « moyen simple et efficace de faire passer un message par l’humour, facilement partageable » ?

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Culture Web et communication « lol », les pro-vax gagnent peu à peu du terrain. David Granda se souvient que le groupe Facebook INFO VACCIN PREVENAR dont il était modérateur a « été infiltré dès 2016 par des trolls pro-vax ».

Car le « fact-checking collaboratif » pro-vax marche à plein régime. « Pendant des années, les complotistes n’ont pas eu de contradicteurs car personne ne les prenait au sérieux. Leurs théories se sont propagées et sédimentées sur Internet. Vers 2016-2017, des associations de citoyens se sont formées pour fact-checker sur le terrain », explique Romain Badouard.

Pour occuper ce fameux terrain numérique, nombreux sont les youtubeurs à avoir pris le clavier, parfois en partenariat avec le ministère de la Santé : e-penser, Julien Ménielle, La Tronche en Biais, DEFAKATOR… L’un d’entre eux, AstronoGeek, a même été directement aux prises avec les antivax. Sa réponse en vidéo ne s’est pas faite attendre. Il s’est adressé à « la nouvelle génération, la trentaine, qui commencent à avoir des gosses et se méfient des vaccins, des gens qui n’ont pas connu les grandes épidémies de maladies bien moches comme la diphtérie, les oreillons, la polio ». Dans son bureau, le youtubeur barbu assène face caméra : « La ceinture de sécurité provoque tous les ans des fractures de la clavicule, des hématomes, des brûlures au second degré. Est-ce que ça veut dire qu’il faut arrêter de la mettre ? NON. Ça veut dire que ce sont les effets secondaires d’un objet qui essaie de vous sauver la vie. […] Vous êtes cons et vous êtes dangereux. Parce que vous représentez un foyer infectieux pour les autres. »

Dans ce violent débat en ligne, « les partages et le référencement permettent d’être le plus visible possible, pour gagner la bataille de l’information », raconte Romain Badouard. Mais dans le domaine scientifique, le débat répond à des normes strictes : validation par les pairs, preuves… « Les règles de débat dans les arènes scientifiques ne sont pas les mêmes que dans les débats médiatiques, et celles d'Internet ne sont pas les mêmes que celles des médias traditionnels. » En attendant, le 26 juin, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a annulé en appel la radiation du professeur Henri Joyeux, connu pour des pétitions anti-vaccins.