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Culture

15 ans après sa sortie, Fight Club craint toujours autant

Hé les mecs, en fait le narrateur ÉTAIT Tyler Durden !

Quand je suis sortie de la séance de Fight Club, je n'avais jamais vu un film dénoncer avec une telle véhémence l'absurdité de notre société de consommation. Dieu merci, je n'avais que 16 ans à l'époque et j'avais dû regarder dix films en tout et pour tout. Fight Club va bientôt fêter son quinzième anniversaire. Il a fait l'objet d'un hommage au Comic-Con 2014 en présence de David Fincher et de Chuck Palahniuk, l'auteur du roman. Une suite sous forme de comics devrait même sortir début 2015, histoire de troubler encore plus les adolescents du monde entier en les « mettant face à leurs propres contradictions ».

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Fight Club est un film typique de la fin du XXe siècle. Ce qu'il prédisait à propos de la décadence de la civilisation occidentale est encore à peu près pertinent aujourd'hui. Le chaos qui règne au sein de notre société, les dérives sécuritaires, la fracture sociale et les multinationales mangeuses d'hommes sont autant de sujets auxquels nous sommes familiers et qui auraient dû faire de ce conte de fée nihiliste le film virtuose et visionnaire que des millions d'ados ont cru voir. Mais le résultat n'a jamais été virtuose, ni visionnaire. En réalité, le film est aussi creux et bas de gamme que ce qu'il prétend dénoncer.

Ça fait bien une décennie que je n'ai pas mis les pieds dans une chambre de lycéen ou au rayon posters de la FNAC, c'est pourquoi j'avais fini par oublier l'existence de Fight Club. Mais son regain de popularité ces derniers mois m'a rappelé combien je l'avais aimé à sa sortie. J'ai donc voulu vérifier s'il était bien ce « putain de film », ou s'il n'avait pas fallu juste quelques bastons sanglantes et autres punchlines-gimmicks pour abuser de ma crédulité de jeune en quête de sens.

Après l'avoir regardé à nouveau, j'ai penché pour la deuxième option. Mon moi adolescent avait merdé. Mais bon, tous les jeunes merdent au fond, ça fait partie des trucs dont on ne se vante pas mais qui forgent le caractère, tout comme l'acné, la découverte de la sexualité ou encore la désillusion quand on comprend que l'anarchie n'est pas la solution à tous problèmes de la société.

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Tout d'abord, j'ai fait ce que Brad Pitt aka Tyler Durden aurait fait, à savoir télécharger le film illégalement. « Rage, rage », j'entendais sa voix m'implorer.  Après m'être servi un whisky et allumé une cigarette - là encore, dans une vibration typiquement Durden - j'ai lancé VLC et ai appuyé sur Play.

Le film s'ouvre sur un générique cyberpunk schizophrène ultra daté années 1990 ponctué d'images de synthèse tout aussi dépassées, le tout sur un instrumental électro-organique-big beat typique de cette époque où le futur ressemblait au groupe The Prodigy. On voyage dans le cerveau humain et on se retrouve dans un réseau de synapses, car man, « c'est là que la publicité niche insidieusement nos désirs consuméristes » sans qu'on s'en rende compte. Je rappelle que le film n'a que 15 ans. On se croirait dans un jeu vidéo, ce qui est logique vu que le film visait un public de gens qui, quand ils n'étaient pas occupés à fumer des joints en déplorant les méfaits du capitalisme, jouaient aux jeux vidéo. La première scène montre le personnage principal avec le canon d'un flingue coincé dans a bouche. Ça commence fort. Un esprit conformiste tel que le vôtre est-il capable de supporter une telle intensité narrative dès le début du film ?

Le narrateur insomniaque interprété par Edward Norton constitue cet ersatz d'homme « ni tout à fait endormi, ni tout à fait réveillé » fabriqué par le monde moderne, errant sans but quelque part entre Starbucks et Ikea. En quête de sens, celui-ci rejoint un groupe de soutien aux personnes atteintes du cancer des testicules, où il rencontre d'autres hommes, enfin pas tout à fait des hommes nous dira plus tard le film, puisqu'en plus de faire preuve d'empathie, ils sont aussi capables de pleurer et de se faire des câlins. L'un d'entre eux, Bob, se sent mal car depuis peu, il a des seins. Mais n'en reste-t-il pas un homme pour autant ? Non, il a une paire de seins et mec, c'est certain, cette fiotte ne sait même pas se battre.

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Après avoir failli mourir étouffé entre les excroissances mammaires de Bob, le narrateur assiste à l'entrée d'une femme dans sa vie. Elle est là, et naturellement, elle va tout foutre en l'air. Bien sûr, elle est hystéro ; elle s'allume une clope en pleine réunion de cancéreux, elle traverse en dehors du passage protégé et porte des lunettes de soleil alors qu'il fait nuit. Elle est clairement barrée. C'est LA femme fatale. C'est la seule femme du film.

Cet individu intraitable est le vide du narrateur que Tyler Durden s'apprête à combler pour ne pas qu'elle, femme, lui supprime sa substance vitale. Mais de la substance vitale, Tyler en a encore bien assez pour la baiser dans tous les sens avec la même bestialité dont il fera preuve au sein de son club, club qui exclut par ailleurs les femmes de fait, car celles-ci sont malveillantes. Durden prévient le narrateur que s'il parle de lui à Marla, leur bromance épique prendra fin, il sera chassé de cet Éden et ne pourra plus jamais prendre de bain en sa compagnie. Si seulement le narrateur avait attendu quelques minutes de plus et laissé mourir Marla Singer, rien de tout ça ne serait arrivé, et sa descente aux enfers se serait achevée là.

« Nous sommes une génération d'hommes élevés par des femmes », philosophe alors Durden, allongé dans son bain dans une position lascive pas du tout crypto-gay, à l'attention de la psyché torturée du narrateur. Tous deux ont peut-être été élevés par des femmes mais aujourd'hui, ils n'ont plus besoin d'elles. « Ton père est ton modèle de Dieu. Et si tu ne connais pas ton père, si ton père se taille, s'il meurt ou s'il n'est jamais à la maison, qu'est-ce que tu crois à propos de Dieu ? »

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La réponse, c'est que Dieu est pourvu d'une paire de couilles et que le salut ne viendra certainement pas d'une femme. « Je plains sincèrement les garçons qui s'entassent dans les salles de gym pour ressembler à ce que Calvin Klein ou Tommy Hilfiger leur disent d'être », compatit le narrateur. « C'est à ça que ressemble un homme ? » lance Tyler en réaction à la montre Gucci que tous deux reluquent gaiement. « Chercher à s'améliorer, c'est de la masturbation. » « Place à la destruction. » Là, les deux mecs se foutent torse nu et dévoilent à chacun leur musculature, typiquement celle d'une publicité Calvin Klein, et décident d'un commun accord de se mettre sur la gueule.

La brutalité dont ils font preuve tout au long du film s'apparente presque à de la pornographie. Bien sûr, force est de constater que la société n'a jamais dit d'un homme qu'il ne devait pas se battre ou réprimer son instinct animal pour être considéré comme tel. C'est évidemment l'inverse. War Machine est peut-être devenu ennemi public numéro un, mais le catch et les arts martiaux demeurent les disciplines les plus populaires de notre époque. La violence n'a jamais cessé d'être cool. Putain, alors contre quoi ces mecs-là veulent-ils de se rebeller ? Difficile à dire.

Une scène particulièrement gênante se veut une relecture du Howl d'Allen Ginsberg. Le narrateur explique qu'il a vu les meilleurs hommes de sa génération devenir pompistes, serveurs ou faire des « boulots qu'ils détestent pour se payer des merdes qui ne leur servent à rien. Notre grande guerre à nous est spirituelle. Notre grande dépression, c'est nos vies », prononce-t-il, dans un style vaguement nietzschéen. Notre grande dépression [pause dramatique], c'est nos vies. Durden et la génération dont il se fait le porte-drapeau ont été élevés dans l'espoir de devenir millionnaires et ont échoué. Et devinez quoi ? Ça les fait vraiment, mais vraiment trop chier. « On m'a promis ça, je le mérite de fait, alors pourquoi n'y ai-je pas droit ?!! », semblent-ils implorer sur l'autel du Désespoir comme les gros bébés tatoués qu'ils sont. Fight Club est le Reddit des films.

Lorsque Palahniuk a écrit Fight Club, il a pensé son roman comme une satire sous forme de liste de tous les mensonges que les masses font gober à la jeunesse. À la fin du bouquin - comme du film - le narrateur se tient debout et contemple la destruction dont il est le responsable en se morfondant, plein de regrets. C'est bien, c'est gentil, mais ce n'est pas ce que retiendra le spectateur de base, le spectateur Reddit donc, qui a accroché le poster du film au-dessus de son lit. 90% des fans du film sont surtout fascinés par l'impulsion bestiale et le désir de mort des deux protagonistes (à moins que ce soit… une seule et même personne ?), leurs blagues lourdes, la misogynie involontaire du truc et la violence qui se dégagent des deux heures qui précèdent cette séquence finale. C'est un film qui, alors même qu'il se croit fin et est persuadé de mettre la main sur tout un tas de vérités à propos du monde contemporain, ne dit que des trucs que tout le monde sait déjà en se servant des mêmes instruments que les films/médias/discours qu'il est censé critiquer - ou plutôt, pour paraphraser Durden, détruire.

Certains ados ont envie de voir le monde entier brûler. Et ils pensent que ça fait d'eux des marginaux doublés d'anticonformistes. Ce nihilisme de bébés est un truc intrinsèquement narcissique, mais soit, passe encore. Le truc, c'est que ce n'est pas ce à quoi adhèrent la plupart des fans du film, qui se foutent de la prétendue lutte existentielle de Durden. Ils trouvent surtout que la scène finale est trop cool parce que trop inattendue. Lorsque la plupart des gens n'ont pas capté pas la satire, est-ce que ça reste une satire ? Ou juste une bonne dose de violence sur pellicule enrobée d'un message vaguement révolté pour un film qui s'inscrit parfaitement dans la démarche commerciale que l'auteur du livre critiquait à l'origine ?

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