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LE NUMÉRO HOLLYWOOD

50 000 euros maximum - Une discussion business avec Jean-Pierre Mocky

Jean-Pierre Mocky a beau passer pour un éternel gueulard aviné, il n'en est rien. Non seulement le cinéaste est doux, raisonnable, mais il est aussi l'un des derniers cinéastes français à mériter cet adjectif qu'on donne à tort et à travers, et la...

Jean-Pierre Mocky a beau passer pour un éternel gueulard aviné, il n'en est rien. Non seulement le cinéaste est doux, raisonnable, mais il est aussi l'un des derniers cinéastes français à mériter cet adjectif qu'on donne à tort et à travers, et la plupart du temps à des gens nuls : « légendaire ». Ce râleur impénitent est français parmi les Français. Aujourd'hui âgé de 78 ans, il fait financer ses films par des studios japonais et des universités américaines qui lui achètent systématiquement ses productions ; en ce moment, il en a trois en cours, à la fois.
Mocky connaît tout et tout le monde. Il a été pote avec Bourvil et Michel Serrault, a dirigé les plus grands acteurs français dans des films géniaux faits avec trois bouts de ficelle – L'Ibis Rouge en 1975, Y a-t-il un Français dans la salle ? en 1982 ou encore Le Miraculé en 1987 – et a hurlé sur plus de journalistes, producteurs, agents, réalisateurs, monteurs, petits cons, gros nazes, acteurs et actrices que l'on pourrait en dénombrer. On l'a rencontré un samedi, deux jours après qu'il a fini son dernier film et deux jours avant qu'il ne passe au suivant. Jean-Pierre Mocky vit dans un appart vide à l'exception d'un bureau et des affiches de ses films. Petit détail important, celui-ci se trouve en face du Louvre et ses voisins s'appellent Jaques Chirac et Francis Ford Coppola. VICE : On a essayé de vous contacter via le Brady, le cinéma de quartier du 10e que vous possédiez, mais on a découvert que vous n'y étiez plus.
Jean-Pierre Mocky : Non, j'ai revendu le Brady pour m'installer dans un Action du 5e arrondissement ; je l'ai rebaptisé le Desperado. On y passe plein de vieux films. La semaine prochaine on démarre une vraie intégrale Marilyn. Ensuite ce sera Autant-Lara. Mais j'aimais bien le Brady. Surtout le public noir. Je suis très proche de la communauté noire. D'ailleurs je m'occupe d'associations, mais je ne m'en vante pas. La plupart des gens qui le font le disent et se servent de ça. Moi, je ne le dis pas. On ne peut pas m'accuser. Trop tard, c'est fait.
Non mais je déteste ce qu'ils ont fait des Restos du Cœur. Enfin, c'est pas le sujet. Pour en revenir au Brady, je l'avais transformé en théâtre, parce que c'est un quartier de théâtre, et ça a très bien marché. En cinéma, on foutait rien. Mais c'était un travail de titan de trouver des pièces alors j'ai changé. Aujourd'hui, le Desperado marche très bien. On est un des rares cinémas d'art et d'essai à faire des bénéfices. 48 places par séance parfois, ça fait 300 entrées par jour. C'est bien. En plus on voit des jeunes qui viennent voir des vieux films, qui sont souvent beaucoup mieux que les nouveaux… Ah non, ça va pas commencer !
Non mais ce que je veux dire, c'est en règle générale. À l'époque, sur 200 films, 199 étaient intéressants grâce aux acteurs. Il y avait aussi des mauvais films, mais au moins les acteurs faisaient le travail. Vous évoquez les acteurs et ça tombe bien parce que vous êtes connu pour être un grand ami des acteurs. Pas sûr que ce soit le cas des réalisateurs, en revanche.
Bien sûr que j'ai des amis réalisateurs, à commencer par Jean-Luc Godard, qui est un de mes meilleurs amis. Mais j'en ai eu pas mal, surtout chez mes aînés. J'ai connu Buñuel, Orson Welles, Fellini à ses débuts. Welles au contraire, je l'ai plutôt connu à la fin de sa vie. On a longtemps traîné ensemble avant qu'il ne reparte aux États-Unis où il est mort en faisant une publicité pour du bordeaux. Vous parlez de Godard. Vous êtes tous les deux connus pour être de grands tombeurs. Il y avait une compétition entre vous ?
Non pas vraiment parce que Godard était un dragueur marié. C'est-à-dire que, quand il rencontrait une femme – comme Polanski ou Besson –, il s'attachait. Ce sont des gens qui ont fait ce métier pour avoir des femmes, mais une fois qu'ils en ont eu une, ils l'ont gardée. Moi, j'étais beaucoup plus volage donc c'est pas du tout la même façon de draguer. J'ai lu que vous étiez à l'origine du mot dragueur. Ça me paraît incroyable.
C'est-à-dire que je ne suis pas tout à fait à l'origine du mot. En fait, on était un groupe de comédiens qui cherchions du travail. On traînait dans un café qui s'appelait le Madrigal [ndlr : aujourd'hui rebaptisé l'Unisex] dans le 8e parce qu'à l'époque, toutes les sociétés de production s'y trouvaient. On était en terrasse et on voyait les filles passer. L'idée est venue d'un type un peu voyou qui s'appelait Tarzan. Il a proposé qu'on « drague » les filles pour leur payer un coup. C'est comme ça que le terme est apparu. Comme on « drague » le poisson, il s'agissait de « draguer » la fille dans le groupe. Mais ce n'est pas moi qui l'ai inventé. On était une quinzaine. Disons que c'est vous qui l'avez popularisé.
Oui. J'ai fait ce film qui s'appelait Les Dragueurs en 1959 et qui a eu un énorme succès international. Comme le film était une sorte de méthode de drague, ça a très bien marché. En Italie, j'ai battu les gros trucs du genre Ben-Hur. Pour un film d'1h19, c'était pas mal.

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Vous avez émergé avec la Nouvelle Vague, mais étonnamment, quand on évoque la Nouvelle Vague, on n'évoque jamais –
Ni moi, ni Roger Vadim, ni Robert Hossein… Oui. Mais eux n'ont pas continué à faire des films pendant cinquante ans.
Non mais le problème avec la Nouvelle Vague, c'est que le terme est faux. Pour commencer, celui qui a inventé la Nouvelle Vague, c'était un vieux. C'était Jean-Pierre Melville, avec Le Silence de la Mer en 1947. Ce qu'on appelle la « Nouvelle Vague », c'est une bande de journalistes qui se sont révoltés contre plusieurs films un peu larmoyants sortis après la guerre. Ils ont mis dans le même sac tous les gens de cette époque et se sont lancés dans le cinéma sans avoir jamais mis les pieds sur un plateau. Moi, j'étais déjà assistant. J'ai été le premier spectateur des 400 Coups et du Beau Serge. Comme ils étaient journalistes, ils ont été appuyés par les autres journalistes et ça a débouché sur cette appellation de Nouvelle Vague à laquelle ni Melville, ni Vadim, ni Claude Berri, ni moi n'appartenions. Vous n'aviez pas le même parcours.
Oui, mais je ne suis pas vraiment un indépendant. Je suis indépendant comme Tarantino ou Cassavettes. On fait des films classiques. La Nouvelle Vague, eux, ils faisaient des films tordus, avec des machins… enfin… c'était leur style… Mais ils ont tous fini par faire des films normaux. Je ne veux pas critiquer le critique mais quand je vois trois étoiles sur une affiche, ça me rappelle l'école. Moi, je suis contre l'école. Je trouve qu'on devrait la supprimer. Pourquoi ?
Parce que l'école tue l'enfant. Regardez, en sortant de l'école, ils font quoi les enfants ? Ils se réunissent, ils fument du cannabis et regardent des films porno. Ou bien ils deviennent pédants. Et vous vous êtes retrouvé de quel côté ?
Mais moi à 10 ans je savais ce que je voulais faire alors c'est pas pareil. Faut pas se mentir, il n'y a que cinq métiers intéressants au monde : musicien, médecin, cinéaste, auteur et paysan. Vous auriez été paysan, vous ?
Si j'avais été handicapé, oui. C'est toujours mieux que de travailler dans un abattoir. C'est marrant que vous parliez d'abattoir parce que ça me rappelle Le Sang des bêtes et je voulais que vous me parliez de Franju, qui a réalisé La Tête contre les murs à votre place.
À l'époque on considérait que j'étais trop jeune pour diriger Paul Meurisse et Pierre Brasseur. Pourtant je tenais beaucoup à faire un film dans un asile ; mes parents sont sortis fous des camps de concentration. Ils n'étaient pas morts, ils étaient devenus fous et je leur rendais visite à l'asile. On m'a demandé de trouver quelqu'un pour faire un film sur l'aliénation. J'ai commencé par demander à Alain Resnais, qui était mon ami… Il avait déjà tourné ?
Un court métrage. Alain était quelqu'un de très pointu et il m'a dit : « C'est très bien ton histoire de fous, mais moi ça m'intéresserait de le faire du point de vue des infirmiers. » Du coup, je suis allé chercher Franju, qui avait 50 ans à l'époque, parce que j'aimais ses documentaires. Comme j'étais producteur, je lui ai dit : « Bonjour monsieur Franju, j'aime beaucoup vos documentaires, et je suis prêt à vous donner votre chance dans la fiction… »

Du haut de vos 24 ans.
Oui, ça a été l'un des problèmes. Mais le premier problème est arrivé le troisième jour du tournage. Franju était alcoolique et il était traité. Sa femme lui donnait des petites pilules blanches. On tournait dans un asile en été et un malade coupait les cheveux d'un autre malade dans le jardin. Et brusquement, le gars qui coupait les cheveux de l'autre prend son rasoir et lui coupe la gorge. Le sang a giclé sur Franju. Pas beaucoup. Deux ou trois gouttes. Mais il était très émotif et l'incident l'a tellement choqué que le soir il s'est remis à boire. Mais comme il avait pris ses pilules, la réaction a été fatale. On l'a hospitalisé pendant deux jours alors le chef opérateur, mon assistant et moi, on a tourné trois jours parce qu'il fallait continuer. Et Franju ne l'a pas supporté ?
C'est-à-dire qu'il ne faut pas travailler avec quelqu'un qui pourrait être son père. Le film n'a pas marché mais il a eu douze prix. Alors Franju se l'est approprié. Il a commencé à dire que je n'étais pas terrible dans le film et à me casser du sucre sur le dos. De son côté, Godard m'a défendu. Le temps a passé et Franju a fini par s'excuser avant de mourir. Il avait eu un problème de paternité, si l'on veut.

C'est bizarre que vous qui étiez si plongé dans le cinéma en France, qui fréquentiez tant de gens, soyez devenu en quelque sorte « marginal ».
Tout marchait très bien jusqu'en 2003 où je suis rentré en clandestinité. J'étais tellement atterré par la bêtise des films que je voyais. Je voyais des enfants crever de faim, des SDF dans la rue et des mecs prendre 10 millions d'euros pour tourner dans une chambre. Ça me rendait malade. Je crois que ça vient du fait que les producteurs prennent 7 % du budget ; plus le budget est conséquent, plus ils touchent. Si je tourne avec 50 000 euros, le producteur prendra 3 500 euros. Ça n'intéresse personne, mais moi, je ne veux pas tourner avec plus. 50 000 euros, maximum. Ça ne vous empêche pas d'avoir un casting de grosse prod dans le dernier : Virginie Ledoyen et Sylvie Testud.
C'est parce que je garde des amis chez les acteurs. Ils acceptent de tourner pour moi sans être payés.

C'est comme ça que ça fonctionne ?
C'est tout un système. Moi, j'ai un cinéma. Je vais peut-être même en ouvrir un autre avec Coppola – qui habite à côté – parce qu'il en a marre de faire des gros films lui aussi. Même Lynch a acheté une salle à Londres. Ces types finissent par m'envier parce que je contrôle tout mon réseau. Personne ne vient m'emmerder. Et vous n'aimez pas qu'on vous emmerde.
Non, mais je suis très content de ma situation. Vous voyez, là, j'ai fini trois films, et je ne les sors pas. Ça me plaît beaucoup ! Moi, je vis grâce aux Japonais et aux universités américaines. Les Japonais achètent tout et n'importe quoi et les universités américaines me payent chacune 800 euros en droits de diffusion. Rajoutez ce que je touche avec Pathé, et au final, je n'ai même pas besoin de sortir mes films ; ils sont déjà amortis. Ils me coûtent ce qu'ils me rapportent. Ceux qui les veulent peuvent les acheter en DVD, ou je les projetterai peut-être dans mon cinéma. D'ailleurs, je vais vous donner un scoop. J'écoute.
Je suis en train de travailler avec un scientifique sur un téléphone portable… Celle-là, on nous l'a déjà faite.
Non mais il y a déjà eu des films faits au portable, et ils sont de très mauvaise qualité. Là, il s'agirait de faire de la HD. Si ça réussit, je prends un ingénieur du son et je fais le cadre parce que le téléphone ferait le point tout seul ; je gagne la liberté de l'écrivain et du musicien. Je peux faire Les Deux Orphelines avec un téléphone. Je peux engager Depardieu, j'ai juste à prendre un téléphone. Ah, ah. C'est pas mal.
Non mais ce que je veux dire, c'est que cette situation m'emplit d'aise. Quand je pense à ces jeunes réalisateurs qui font des films pour 3 millions d'euros qui ne sortent jamais ! Et puis, toutes ces conneries à la télé qui vous forcent à rire… Quoique Mon Oncle Charlie, ce serait peut-être pas mal sans les rires. Mais là, c'est pas possible. Le problème c'est que les types qui font ça sont obligés de le faire ! Quand ils s'endorment le soir, ils sont obligés de s'endormir en pensant qu'ils ont tourné une connerie… Et vous, vous n'en avez jamais fait, de connerie ?
Si, j'en ai fait une de connerie. Ça s'appelle Le Dossier Toroto. Mais je l'ai faite exprès ! Ce qui est grave, c'est quand c'est cher, que c'est con et que le type ne sait pas que c'est con. J'ai sorti Le Dossier Toroto l'an dernier, il a fait 3 000 entrées. Pas en un jour. En un an.