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La guerre en Irak est terminée, mais pas la guerre contre le terrorisme

La guerre en Irak est terminée mais la ligne des urgences paranoïaques reste bel et bien ouverte

Si Barack Obama vient d’annoncer officiellement la fin de la guerre en Irak – pilier majeur de la lutte contre le terrorisme – la ligne des urgences paranoïaques reste bel et bien ouverte. Ces derniers mois, les soldats américains ont été de plus en plus nombreux à rentrer au pays, après neuf ans à se battre pour une cause qu’une grande partie d’entre nous n’a jamais vraiment comprise. Cela n’a pas empêché le Sénat américain de promulguer le National Defense Authorization Act, qui donne à l’armée la responsabilité des enquêtes antiterroristes sur le sol US et celle des investigations individuelles. En gros, on peut désormais envoyer dans une prison spéciale n’importe quelle personne soupçonnée d’avoir des activités terroristes – et pas seulement les étrangers visés par le Patriot Act – sans procès et pour une durée indéterminée, au nom de la « guerre contre le terrorisme » censée être terminée à la fin du mois. Si l’on ajoute à cela la découverte, il y a un peu plus d’une semaine, d’un avis de recrutement de sous-traitants publié par la FEMA (Agence fédérale des situations d’urgence) pour de mystérieux « camps temporaires » aux quatre coins du pays, on peut commencer à flipper un peu.

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Pourtant, rien de tout cela n’est vraiment nouveau. Aux États-Unis, le gouvernement sous-traite à peu près tout, depuis l’assurance maladie des ses expatriés au Nigéria jusqu’à la construction d’avions ou la production de cartes du territoire. Décrocher un contrat avec la FEMA n’est « pas vraiment un challenge » si l’on en croit le site de conseils pratiques eHow. D’ailleurs, en ce moment, la FEMA garde sous le coude quelques entreprises qui pourraient réagir rapidement en cas de besoin soudain de barrières, barricades, stations sanitaires, traitement des ordures, eau potable et tout un tas de trucs dans le genre qui, mis bout à bout, pourraient bien constituer des putains de prisons temporaires.

La privatisation des prisons n’est pas non plus une nouveauté. Quarante-neuf pour cent des centres de détention pour les immigrants illégaux appartiennent à des institutions non gouvernementales. La plupart de ces entreprises ont d’ailleurs été créées spécialement pour gérer le business carcéral. Or, pour monter de toutes pièces une boîte qui pourra gérer quelque chose de tellement massif que même le gouvernement n’arrive pas à s’en charger, il faut beaucoup d’argent. C’est là qu’entrent en jeu les grandes firmes d’investissement et les banques comme Lehman Brothers ou Wells Fargo. On peut d’ailleurs faire un raccourci facile en se posant cette question : « Pourquoi les crapules de Wall Street ne se retrouvent pas derrière les barreaux ? » Parce que, quand on allonge la thune pour faire vivre l’industrie carcérale, on ne va pas en prison, et même si on enfreint la loi. Eh oui.

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Dans son discours annonçant la fin de la guerre, Obama parle des raisons pour lesquelles l’Irak est prêt à aller de l’avant : le peuple irakien vote démocratiquement, l’État crée des institutions transparentes et une économie robuste est en train de se former. Parallèlement, il précise que les efforts de la lutte contre le terrorisme vont continuer. Il ne faudrait pas non plus qu’on se sente trop à l’aise. Le concept du profit de la peur a permis de faire durer cette guerre pendant neuf longues années. Il explique également pourquoi nous ne sommes pas près d’arriver à bout de ces initiatives antiterroristes un peu partout dans le monde. Les aéroports sont l’exemple parfait de la paranoïa poussée à l’extrême, du début à la fin du voyage.

Tous les scanners, toutes les fouilles, la façon dont on est traité – comme un potentiel terroriste – simplement parce qu’on essaye de monter à bord d’un avion sont, pour la plupart d’entre nous, une vraie somme d’emmerdes sinon un genre de viol révoltant de notre intimité. Puis, une fois dans les airs, on se retrouve piégé dans un environnement si peu naturel qu’on se sent au summum de la vulnérabilité. L’expérience est déjà suffisamment surréaliste mais, en plus, on doit se coltiner des mesures de sécurité insensées (sans compter les conseils pratiques en cas de crash) qui accentuent notre mal-être. C’est la seule explication que j’ai trouvée à la réaction qu’ont eue les passagers (moi comprise) vis-à-vis d’un mec assis derrière moi lors d’un vol Chicago-Los Angeles. On l’a tous pris pour un terroriste.

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Avant même d’avoir décollé, le mec s’embrouillait déjà avec le mec à côté de lui. Dès qu’on est montés en altitude, il s’est mis à faire des grands signes à une hôtesse avant de lui poser nerveusement tout un tas de questions étranges du style : « Quand est-ce qu’on pourra utiliser nos appareils électroniques ? Lesquels pourrai-je utiliser ? Et pourquoi pas ceux-là ? » Ensuite, il a commencé à lui demander des infos sur la police aérienne : comment se faire enrôler, et si elle croyait qu’il avait ses chances. Qui fait ça, sérieux ? Qui a besoin de connaître autant de détails sur les appareils électroniques autorisés dans les avions ? Je me suis tendue dans mon siège et j’ai essayé de me vider la tête, comme on le fait tous dans ces engins de malheurs.

Quand l’hôtesse a réussi à se sortir de ce traquenard, j’ai regardé derrière moi comme si de rien n’était et j’ai vu que le type en question avait une sacrée pile de bouquins sur l’Islam posée sur sa tablette. J’étais assise côté hublot et à ma gauche, il y avait un gamin de 4 ans. Sa mère, qui m’était totalement inconnue à ce moment-là du voyage, m’a glissé son iPad en douce. Dessus, elle avait écrit ces mots : « Le délit de faciès, c’est pas mon truc, mais c’est moi ou ce mec a l’air un peu taré ? »

J’ai dû me concentrer comme jamais pour ne pas sombrer dans des pensées hyper cliché et complètement dingues du genre : cette fois c’est sûr, je vais mourir dans un attentat aérien. Peu importe l’apparence de ce type ou ses croyances religieuses, l’attitude qu’il avait aurait été flippante chez n’importe qui. Et le fait de savoir que qu’une maman accompagnée de son enfant s’inquiétait tout autant que moi m’a convaincue de me lever pour aller voir l’équipage, au nom de la devise collabo : « Si vous voyez quelque chose, dites quelque chose ».

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Visiblement, tout le monde était déjà en train de se pisser dessus : l’équipage avait identifié l’homme comme une menace potentielle et un pilote sous couverture gardait secrètement un œil sur lui. « S’il vous plaît, n’hésitez pas à nous alerter si vous remarquez un comportement suspect », m’a dit un Stewart avant d’ajouter : « Désirez-vous boire quelque chose ? » Euh ouais, un truc bien fort s’il vous plaît.

Je me suis rassise et j’ai passé le message à la mère à l’iPad. J’ai essayé d’être positive et de me comporter aussi normalement que possible malgré le fait que le type scrutait d’un œil louche les brochures sur les consignes de sécurité et les emplacements des sorties. L’équipage et le pilote/agent secret venaient nous voir régulièrement. Ils ont évoqué à voix basse un atterrissage d’urgence.

Je ne pouvais plus supporter la peur qui montait. Je crois à la bonté humaine. Je ne crois pas au phénomène du « terroriste dans l’avion » et d’ailleurs, je suis persuadée que le 11-Septembre était en grande partie un vaste complot interne. Alors si je devais mourir ou vivre un atterrissage d’urgence pour survivre, je voulais comprendre pourquoi, avant qu’on ne ruine l’existence d’un musulman en l’envoyant à Guantanamo pour toujours. Je me suis retournée et j’ai dit à travers l’espace entre les deux sièges : « Hey, mec, qu’est-ce que t’as ? Ça va ? »

Il m’a expliqué qu’il était énervé parce qu’il avait été retenu, questionné pendant des heures et fouillé entièrement à l’aéroport en arrivant d’Arabie Saoudite, qu’il avait failli rater ce vol et qu’il avait simplement besoin de passer un coup de fil rapide à sa famille pour la prévenir qu’il avait réussi à l’avoir. Il n’avait pas réalisé qu’il ne pourrait pas utiliser son portable pendant le décollage, le mec assis à côté de lui s’était emporté et la situation avait dégénéré. Le « terroriste » était devenu agressif et s’était transformé, du coup, en stéréotype même du musulman vu par les Américains.

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Au milieu de notre conversation, je me suis retournée vers le festival de panique qui se déroulait à côté de moi pour leur annoncer : « C’est bon, tout va bien. » Ils ont décidé d’abandonner l’idée de l’atterrissage d’urgence et c’était super intense de savoir que, pour le reste du vol, tout ce groupe de personnes faisait confiance à mon intuition pour ne pas flipper.

L’intérieur de Five Echo, un ensemble de cellules ultra isolées et minuscules de Guantanamo.

Si je ne m’étais jamais retrouvée en taule sans raison valable, qui sait où ce mec serait à l’heure où je vous parle. J’ai dû raconter mon séjour en prison une bonne centaine de fois – d’ailleurs, mes potes n’en peuvent plus et me lancent des « ouais bon ça va ta gueule » dès que je l’évoque. Mais quand on a déjà foutu les pieds en taule, c’est tellement atrocement déprimant qu’on se le rappelle toute sa vie. Je me suis fait enfermer sans même qu’on me lise mes droits, dans le cadre des arrestations au moment de la Convention nationale républicaine de 2004, à New York . J’ai été retenue pendant 17 heures dans un vieux dépôt d’autobus privatisé dégueulasse et plein d’essence. Ensuite, on m’a transférée dans un commissariat de la ville où j’ai passé plus de 30 heures. J’ai eu le temps de voir toutes sortes de traitements inhumains : des menottes si serrées que les gens se disloquaient l’épaule ou encore des personnes qui pissaient et chiaient dans les coins parce qu’on leur refusait le droit d’aller aux toilettes. J’ai été libérée sans même voir un juge ou un avocat, ne sachant même pas ce que l’on me reprochait officiellement. Ce genre d’expérience vous fait véritablement remettre en question votre sentiment de sécurité et de liberté dans votre pays.

Mais je laisse volontiers les discours sur la peur aux aéroports, aux gouvernements et aux blogs sur l’apocalypse. Les gens tentent de rester optimistes (moi aussi d’ailleurs) en se disant : « Oh, notre gouvernement ne rassemblerait jamais un énorme groupe de personnes sans raison et sans prévenir afin de les envoyer en taule pour une durée indéterminée. » Le problème, c’est que le gouvernement fait déjà ça. Il l’a fait dans le passé (avec les camps de détention des Japonais Américains en 1942), il le fait aujourd’hui (à Guantanamo) et il l’a fait entre-temps de manière ponctuelle (par exemple avec les cellules temporaires pour les arrestations de masse lors des manifs). Alors, je ne vois pas pourquoi ça s’arrêterait. Il faut savoir un chose : si un jour vous vous retrouvez dans ce genre de situation, arrêté sans raison avec tout un tas d’autres mecs, c’est assez facile de faire entrer un appareil photo si vous le cachez bien dans vos vêtements. Une preuve visuelle, et non pas un récit folklorique après coup, est la seule chose qui pourrait faire bouger les choses. En tout cas c’est ce qu’on espère. D’ici là, ne vous laissez pas guider par la peur. La plupart du temps, on s’emballe pour pas grand-chose.

@lizzyarmstrong

PAR LIZ ARMSTRONG