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A Fist in the Face of God : une interview de Frank Henenlotter

La légende du film d'horreur 80s tourne un docu sur l'histoire de la Sexploitation

En ce moment, c’est Cannes. Tous les gens ayant plus ou moins un rapport avec le cinéma se ruent dans le sud de l'hexagone, enfilent un costume et passent une semaine à siroter des cocktails sucrés sur des yachts ridicules. Aussi, il se demandent quels films nous feront pleurer sous notre couette quand Netflix sera enfin disponible en France, quand il n'écoutent Pete Doherty déclamer des phrases ridiculement prétentieuses devant un parterre de journalistes gênés.

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Parmi les absents figure un type qui n’aura jamais l’occasion de discuter des mérites de Up The Bracket sur un bateau à plusieurs millions d’euros. Ce type, c’est Frank Henenlotter, le réalisateur des classiques d'horreur Basket Case, Brain Damage et Frankenhooker. J’avais vu les deux premiers il y a quelques années, et même si je dois dire qu’ils m’avaient impressionnés, ce n’est qu’après avoir visionné le dernier que je me suis rangé parmi ses fans inconditionnels.

Je ne suis pas arrivé à trouver une interview décente de lui sur internet, donc j’ai décidé de l’interviewer moi-même. Frank est en train de réaliser un documentaire sur la sexploitation, et j’ai eu la chance de le rencontrer un jour où il n’était pas occupé à filmer des gonzesses à poil, histoire d'évoquer sa vie, et les gonzesses à poil.

VICE : Salut Frank. C'est quoi ce documentaire sur lequel tu travailles en ce moment ?

Frank Henenlotter : On l'a commencé il y a deux ans. Ça s’appelle That’s Sexploitation, et ça raconte 40 ans de sexploitation, en marge d’Hollywood.

Ça a un rapport avec les gens de Something Weird, non ?

Oui, bien sûr. Mike Vraney [de Something Weird] et moi avons passé une année entière à sélectionner des extraits de films. On voulait les meilleurs passages, pas juste une scène avec un couple en train de baiser, un autre au pieu, etc. Ce qu’on veut c’est genre, une fille à poil dans son salon, avec des palmes et un putain de tuba. Que le public se demande, « Merde, qu’est ce que c’est que ce délire ? » Ou alors, une fille un peu enrobée, qui avant de se coucher, lit un livre sur les fusils Winchester. Elle s’endort, et le matin, on la découvre recouverte de figurines de cowboys et d’indiens, filmés en gros plan.

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Ah, ouais.

Tu vois ce que je veux dire. Comment les gens réagiront-ils à ça ? Le porno en tant que tel ne m'intéresse pas du tout ; je préfère la suggestion, qu’on ne me montre pas tout. Aux États-Unis, les premiers films avec des scènes de sexe explicites étaient ces courts métrages pourris qu’on appelait « white coaters ». En réalité, c’était des films à but médical, genre, « Ouais, on va résoudre vos problèmes de couple en vous montrant comment copuler. » Quel gros ramassis de tas de merde ! Mais je dois avouer qu’ils sont quand même assez marrants, même si certains d’entre eux ne durent pas plus d’une minute.

Ils te fascinent toujours autant ?

Toujours autant, ouais.

Frank fait joujou avec du faux sang pour la scène d’ouverture de Frankenhooker.

J’imagine qu’on te demande tout le temps comment tu as fait tes premiers pas dans le milieu ?

Vers la fin des années 1970, j’ai réalisé un court-métrage, Slash Of The Knife. C’était une parodie de ces films médicaux dont je te parlais. Je voulais donner l’impression qu’il avait été tourné en 1952 et qu'il était destiné à venter les mérites de la circoncision. J’avais un ami qui jouait le toubib fou, et on a tourné quelques séquences d’anthologie. C’était hyper drôle et bizarre à la fois. J’étais fan de sexploitation bien avant de rencontrer [la star de série B] Dave Friedman. J’allais déjà voir ce genre de films avant mes 18 ans.

Dans tout le comté de Nassau, où je vivais, il n’y avait qu’un seul cinéma qui passait ce genre de films. Ça s’appelait le Fine Arts Theater, à Hempstead, Long Island. On devait prouver qu’on avait plus de 18 ans pour entrer, mais on m’avait dit que la vieille dame à l’entrée était myope comme une taupe. Même si j’avais l’air d’avoir 15 balais, j’ai quand même tenté ma chance au guichet, et j’ai essayé de me faire passer pour un adulte, en fronçant les sourcils et en me donnant un air grave.

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Froncer les sourcils ? C’était ça pour toi être adulte ?

C’est ce que je pensais. Je me suis dit qu’en ayant l’air un peu sévère, j’aurais l’air plus âgé. Je suis allé au guichet, je lui ai donné la monnaie, et  – paf ! – elle m’a donné un ticket. J’ai pu rentrer, et j’ai vu mes deux premiers films avec des filles nues. J’ai essayé de les retrouver depuis, mais j'ai jamais réussi. Ils s’appelaient House Of Cats et Prowl Girls. J’aimais déjà le cinéma bis, les trucs un peu crades et débiles, mais ces deux films dépassaient tout ce que j’avais pu voir jusque là. Je me rappelle, ça m’avait presque choqué. À l’époque, voir une paire de nichons à l’écran, c’était déjà rare, surtout des nichons géants qui remuaient. On voyait encore plus rarement des poils pubiens, mais il y avait toujours une scène, habituellement dans la douche, où la fille se lavait, et pendant un très court moment – peut-être un quart de seconde – on voyait une foufoune, et tout le public  était là… [il déglutit] Ah, ah ! C’était un peu comme accéder au Saint Graal, l'espace d'une poignée de secondes.

Qui étaient tes héros à l’époque ? Il y avait-il un réalisateur, ou un acteur, que tu aimais en particulier ?

Je me rappelle un soir où je suis allé voir six ou sept films à la suite. L’un d’entre-eux commençait avec un prêtre cinglé sur une route déserte, et j’ai immédiatement vu le génie dans celui-ci. C’était mon premier Russ Meyer, Lorna. Je me souviens qu’en sortant du cinéma, je suis allé voir l’affiche, pour essayer de retenir son nom ; je répétas dans ma tête «Russ Meyer, Russ Meyer, Russ Meyer…» J’ai voulu savoir si il avait réalisé autre chose, mais à l’époque, il n’y avait ni internet, ni livres sur le sujet ; personne n’avait écrit sur la sexploitation. Comment j’aurais pu savoir ?

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Quelques semaines plus tard, alors que je lisais le Village Voice, je vois qu’à New York un cinéma passe Good Morning… and Goodbye, de Russ Meyer ! « Ouah, ce mec est génial. » Un an plus tard, je vois Vixen, encore un choc. Puis Beyond The Valley Of The Dolls ; j’étais au paradis. J’adorais explorer comme ça. J’aimais surtout le fait que personne ne me conseillait, personne ne me disait « Va voir les films de Russ Meyer ! » J’étais tombé dessus par hasard. Il n’y avait pas Yahoo Answers et personne n'avait jamais demandé « Quels sont les cinq meilleurs films de Russ Meyer ? » Les gens s'en branlaient ! Ah, ah.

Internet a certainement rendu les choses plus faciles pour les gros pipes qui préfèrent passer leur vie devant un MacBook.

Ouais, ouais… j’ai cru comprendre. Mais comment peut-on regarder un film sur YouTube ? J’ai découvert tous ces films en allant au cinéma, et j’y allais parce que les films qu’ils proposaient ne passaient jamais à la télé, et s'ils y passaient, il étaient charcutés. J’étais obsédé par ces films. Je n’aurais jamais cru qu’un jour je possèderais ces films, c’est toujours aussi dingue pour moi. J’allais les voir des dizaines de fois, pour les connaître sur le bout des doigts, parce que je savais qu’un jour, ils auraient disparu de la circulation, et je ne pourrais plus les voir.

Comment as-tu commencé à réaliser des films ?

Mon père avait une caméra 8 mm, qui lui servait à nous filmer pendant les pique-niques du dimanche, et lors de nos sorties en famille. Je l’ai récupérée, et j’ai fait un premier film de trois minutes, à propos des hamburgers maléfiques. J’ai trouvé ça assez facile. Évidemment, je n’y connaissais rien niveau mise au point, exposition, et ça a duré encore quelques années avant que je comprenne comment ça marche. Mais je n’avais aucune intention de gagner ma vie avec mes films. Je voulais faire mon truc, un peu fou, sans complexe et c’est ce qui me plaisait – être libre et faire ce que je voulais. Puis j’ai fait Basket Case, et je suis passé dans le côté obscur, celui des réalisateurs.

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Comment es-tu passé de réalisateur amateur à Basket Case ?

J’étais en train de réaliser Slash Of The Knife, quand j’ai fait la connaissance d’Edgar Ievins, qui m’a dit, « Ça te dirait de faire un vrai film ? Faisons un film d’horreur. » Je n’avais pas vraiment d’idée en tête, parce que les films que je faisais n’étaient pas des films d’horreur à proprement parler – c’était des espèces de comédies macabres et bizarres. La première idée qui m’est venue, c'était celle d'un monstre qui vivrait dans un panier, et c’était une idée tellement débile que je me suis dit « putain, je dois faire ça » parce que visuellement, ça marchait trop bien. Une sorte de diable sur ressorts qui, quand tu ouvres la boîte, te bouffe tout cru. Je trouvais ça trop marrant.

Comment avez-vous trouvé l’argent pour faire le film ?

Il n’y avait pas moyen de trouver de l’argent. J’avais 8 000 dollars sur mon compte, et Edgar en a rajouté 8 000 autres de son côté. On a commencé à tourner, et au fur et à mesure, on a pu trouver de l’argent – il a couté 35 000 dollars au total. Mais c’est ce qui fait le charme du film. Je n’aurais jamais pensé qu’autant de gens le verraient, je croyais qu’il allait juste être montré sur la 42ème rue et dans quelques autres cinémas de quartier, puis on n’entendrait plus jamais parler de lui. Ça m’a fait un peu flipper quand il a obtenu ce statut de « film culte », et d'ailleurs, ça me fait toujours bizarre aujourd’hui. Mais bon, qu’est-ce que tu veux ?

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Écoute, je suis très content de son succès. Mais j’ai envie de le tourner à nouveau à chaque fois que je le vois, il est truffé d'erreurs. Le public aime ce film parce qu’il est primitif, stupide, et tourné n'importe comment. C’est un film pour se marrer entre potes, quoi.

Gabe Bartalos fait le con sur le plateau.

Il s’est passé six ans entre Basket Case et Brain Damage - les effets spéciaux de ce dernier sont incroyables.

Ouais, c’est l’œuvre de Gabe Bartalos.

La scène où la lumière sort de sa tête ouverte m’a complètement traumatisé. Ce truc m'a angoissé pendant des semaines.

En fait, le film entier a été conçu comme un long bad trip. J’ai pensé que ça serait marrant. Mais pendant le tournage, on n’avait pas encore idée de comment terminer le film. Je suis tombé sur cette chanson de Magazine, « The Light Pours Out of Me » et je me suis dit « Ça y est. J’ai trouvé la fin qui nous manquait. »

Et les spaghetti à la cervelle ?

C’est vrai qu’on voit pas ça souvent, mais c’est inspiré d’une vraie hallucination que j’ai eue une nuit. J’étais complètement défoncé, je bouffais de la glace vanille-cerise, et les petites cerises ont commencé à se transformer en cerveaux. J’ai tout de suite pensé « Wouah, trop cool ! J’en mangerai plus jamais, mais c’est trop cool ! »

Jeffrey Franken se prend la tête sur les mesures du nouveau corps d’Élisabeth.

Parlons un peu de votre chef d’œuvre Frankenhooker. L’histoire est plus ou moins tirée de Frankenstein.

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Ouais, mélangée avec Le Cerveau qui ne voulait pas mourir. C’est un de mes films préférés. J’adore quand il ne reste plus que la tête qui insulte le pauvre type pour qu’il aille chercher les autres parties du corps, ah, ah.

Comment avez-vous eu l’idée de la scène finale ?

Hé bien, on ne savait pas très bien où tout ça allait nous mener. Je crois me souvenir qu’on avait 70 pages de script, mais comme d’habitude, toujours aucune idée de la fin.

Vraiment ? Jusqu’où êtes-vous allés avant de vous dire, « Hé, on aurait peut-être besoin d’une fin. »

J’ai écrit le scénario avec Bob Martin, et il y avait deux choses qui manquaient dans le script : la façon dont Jeffrey tue les filles, et comment conclure. Le reste était facile, mais ces deux problèmes demeuraient. S'il butait les filles avec un couteau de boucher, personne n’aurait de sympathie pour lui. Il nous fallait un moyen pour que le personnage principal ne paraisse pas antipathique aux yeux du public. À l’époque, le crack venait de faire son apparition à New York. On en trouvait partout, les pipes usagées se ramassaient à la pelle. C’était horrible, une vrai épidémie, partout on ne voyait que ça : du crack, du crack, du crack. C’est là que j’ai eu cette idée : qu’est-ce qui serait pire que le crack ? Le Super-Crack ! J’ai soumis cette idée à Bob, et il s'est marré comme c’est pas permis, mais on savait toujours pas comment finir le film.

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Jeffrey en train d'examiner son Super-Crack.

Vous étiez un scenester dans les années 1980 ? J’imagine qu’on a souvent comparé vos films à des trucs type Re-Animator.

J’ai adoré Re-Animator, mais je ne me suis jamais considéré comme faisant partie d’une « scène », pour la simple et bonne raison que je ne savais pas où j’allais avec mes films. Pour moi, c’était juste un job.

Quels films vous ont particulièrement impressionné dans les années 1980 ?

Tu as parlé de Re-Animator. Celui-ci donc, et From Beyond… Tu me prends un peu au dépourvu, mais disons que les films qui ont eu le plus d’influence sur moi sont ceux que j’ai vus étant gamin. Les films que tu vois très jeune sont ceux qui font le plus de dégâts dans ton cerveau. J’étais assez impressionnable à cet âge là, je croyais tout ce qu’on me disait, pas exactement le genre de gosses qu’il faut coller devant Circus Of Horrors ou Brides Of Dracula. Ces deux films m’ont rendu taré, surtout Brides Of Dracula, que j’ai vu quand j’avais dix ans. J’ai trouvé ce film très sexuel, même si je n’avait aucune idée de ce qu’était le sexe à l’époque. Pareil pour Circus Of Horrors, j’étais raide dingue de la fille, et de son obsession pour les cicatrices. J’avais dix ans, qu’est-ce que j’y connaissais au sexe ? Il se dégageait un sentiment bizarre de ces films ; je ne savais pas ce que c’était, mais je savais que j’aimais ça.

Jeffrey cherche une paire de nibards décente avant de ressusciter sa dulcinée.

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Tu as aussi eu de la chance de trouver des bons acteurs. Le rôle de Jeffrey Franken est joué à la perfection.

Le succès de Frankenhooker repose en grande partie sur les épaules des deux acteurs James Lorinz et Patty Mullen. Ils ont joué comme des pros. Lorinz était particulièrement bon, surtout dans Street Trash, c’est comme ça que je l’ai repéré. Patty Mullen était délicieuse. Je ne voulais pas avoir ce qu’on appelle dans le milieu une « scream queen, » une bimbo hystérique qui passe son temps à hurler. C’est vraiment trop cliché. Je pensais que ce serait plus intéressant si Elizabeth était douce et gentille, avec un côté girl next door. Ce qui est amusant parce qu'…

… elle a été élue Playmate de l’année par Hustler en 1988 ?

Oui ! Mais on aurait pas dit, en la voyant dans le film !

Non, on ne s’en doute pas un instant.

C’est ce qui m’a séduit chez elle. À l’instant même où elle est entrée dans mon bureau, je savais que j’avais trouvé la perle rare. C’était un vrai plaisir de travailler avec elle, même si elle était très tendue au début. Elle n’avait tourné qu’une seule fois dans un film, et me répétait, « Frank, je ne sais pas jouer ! » Mais je savais qu’elle avait du talent. On s’est un peu perdus de vue à une époque, mais on s’est retrouvés récemment, et à chaque fois qu’elle m’appelle et qu’elle tombe sur mon répondeur, elle ne me laisse jamais un message à la con type « Salut, c’est Patty ! » Elle est plus du genre à laisser un message du style « Going out ? Wanna date ? Looking for some action ? Got any money ? » Ça c’est la Patty que je connais.

Toutes les captures des films de Frank sont publiées avec l’aimable autorisation de l’incroyable site Hotel Broslin.