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Sport

À la rencontre des combattants du Paris Sumo Club

Au gymnase Jean Dame, les sumotoris sont informaticiens ou agents de la SNCF et ne dépassent jamais les 100 kilos.

Deux sumotoris en plein échauffement au gymnase Jean Dame, à Paris. Toutes les photos sont de l'auteur

La salle a l’odeur si spécifique des dojos, un mélange d’effluves de pieds et d’arômes de transpiration masculine. Au milieu du tatami, deux combattants se saluent les yeux dans les yeux, prêts à combattre. Les jambes écartées, les fesses en arrière, ils se concentrent avant de charger. Seul le claquement de la pluie sur les fenêtres du dojo vient troubler le silence. D’un coup, ils posent les mains au sol. C’est le signal de départ. Les deux corps à demi-nus s’entrechoquent dans un ruminement d’effort. Ils s’agrippent comme ils peuvent, glissent quelques gifles pour étourdir l’adversaire et le sortir du dohyo, l’aire de combat. Au gymnase Jean Dame, dans le IIe arrondissement de Paris, on pratique le sumo en amateur, le caleçon sous le traditionnel mawashi, une bande de tissu serrée autour de la taille et de l’entrejambe.

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Les sumotoris professionnels pèsent en moyenne autour de 150 kilos. Les mecs qui sont là au troisième étage du gymnase parisien ne dépassent pas le quintal. Ils bossent la semaine et ne rêvent pas d’en faire leur métier. Ils sont libraires, travaillent dans l’informatique ou à la SNCF. Le Paris Sumo, c’est un peu comme si votre voisin vendeur chez Darty troquait son gilet rouge pour se mettre une étoffe de tissu dans les fesses.

« Le sumo n’attire pas les pratiquants habituels des arts martiaux. Il n’a aucune efficacité dans la vie réelle. Il s’agit simplement de pousser quelqu’un en dehors d’un cercle », résume Antoine Marvier, le fondateur du club.

Romain, un des membres du club, s'emploie à saluer son adversaire avant le combat.

Une simplicité qui n’enlève rien à sa passion. En 2009, à force de chatter sur des forums dédiés à la lutte ancestrale, il décide de créer un club avec d’autres fans. Dans son entourage, les questions ont fusé : « On me disait ‘Mais tu n’as pas le gabarit pour être sumo, ils sont énormes !’  ou encore ‘Tu vas devoir te mettre un string dans les fesses’ ».

Il faut dire que le sumo est largement méconnu en France. Pour suivre la ligue professionnelle aujourd’hui, il faut trouver un bon streaming ou être abonné à Kombat Sport, la chaîne qui diffuse les tournois en France. Contrairement à l’Europe de l’Est où le sport a pris avec quelques milliers de pratiquants, les tricolores participants à des tournois se comptent sur les doigts d’une main. Dans l’hexagone, il n’existe aucune structure dédiée à la pratique, si ce n’est ce club amateur parisien. Et qui dit amateurisme, dit débrouillardise. Quand il arrive dans la salle, Antoine apporte lui-même le dohyo et les mawashis, fabriqués par ses soins.

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Avant d’en venir au combat dans le cercle, les sumos du jour, Guillaume, Mathieu et Alain s’échauffent. Ils évoquent la rentrée littéraire, débattent à propos du prochain roman d’Amélie Nothomb, elle aussi fan du Japon. Après une série de chikos, la position avec les fesses au plus près du sol et les jambes écartées, ils enchaînent avec la « banane flambée » et la « limace mexicaine ». Les apprentis lutteurs avancent sur le dos, sans l’aide des bras ni des jambes. « Je ne sais pas trop comment l’appeler celle-là », avoue le coach. Tous ces exercices, il les a inventés sur le tas, à force de pratiquer. Pour le reste, l’entraîneur un peu dégarni a fouillé sur Internet, à la recherche de tutos pour sumotoris.

Antoine en plein combat face à Romain, un autre membre du club

La dizaine d’adhérents de l’association ne se fait pas d’illusions. Ils ne fouleront jamais les mythiques arènes japonaises. « On est à des années-lumière de ce qui se fait au Japon », lâche Bastien, la « Bible » du groupe. Si tous sont passionnés de sumo et suivent assidûment les tournois japonais, ce barbu originaire de Toulouse est encore un cran au-dessus. Il a écrit deux mémoires consacrés au sujet, dont un sur « l’internationalisation du sumo professionnel ». Une érudition qui l’a conduit à devenir consultant pendant cinq ans sur Eurosport, la chaîne qui retransmettait les combats professionnels jusqu’en 2007.

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Le Gascon a déjà voyagé six fois au pays du soleil-levant. Là-bas, ce sont les entraînements qui l’ont impressionné : « Quand on le voit en vrai, on se rend compte que c’est Sparte ! Ils s’entraînent couverts de sable pendant des heures. Même pour eux, c’est très dur. »

Bastien, en pleine lutte contre Guillaume

Dans le dojo parisien, les lutteurs sont loin d’être des Spartiates mais ils ne négligent pas pour autant l’échauffement. Comme dans tous les sports, la blessure n’est jamais loin. « On a des personnes qui sont sortis avec une côte fêlée simplement sur l’échauffement », prévient Antoine. Ce prof de judo devenu oyakata, celui qui forme les lutteurs, sait de quoi il parle. Pour lui, le sumo est « le sport de contact par excellence. On se retrouve imbriqué sur la masse de l’autre, il faut le soulever, le projeter en dehors du cercle ».  Sans catégorie de poids, les lutteurs peuvent se retrouver face à un adversaire deux fois plus lourd qu’eux. Rapide, les combats ne dépassent pas les 20 secondes.

Romain et Antoine s'échauffent

À côté du dohyo, les yeux rivés sur les lutteurs, Romain reprend son souffle après un combat, serviette rose autour du cou. Comme Bastien, le libraire a déjà visité Tokyo. Il s’est rendu à Ryogoku, le quartier sumo de la capitale où toutes les écuries s’entraînent. C’est le mélange de sport et de tradition qui l’a séduit. « En rentrant, j’ai halluciné en voyant que Paris Sumo existait. Je me suis dit que j’allais essayer, mais qu’ils allaient se foutre de ma gueule vu mon physique ». Au final, ça fait trois ans qu’il vient chaque dimanche. Mais ici, il faut oublier le cérémonial qui entourent les rikishis, le vrai nom des lutteurs au Japon. Il n’y a pas de jets de sels avant le combat et le salut entre les lutteurs est abrégé. « Si on respectait toute la tradition, on n’aurait pas fini », assure Alain, un cinquantenaire avec une coupe digne du joueur brésilien Marcelo.

Alors les sumos français s’autorisent quelques libertés. Romain a même tenté de ramener sa femme alors qu’elles sont interdites de dohyo au Japon. « Elle est hargneuse, alors ça lui a plu. Mais c’est vrai que c’est rare que les femmes reviennent. »

Malgré la curiosité qui draine chaque année quelques nouveaux adhérents, l’objectif principal reste la survie pour Antoine et ses élèves. Un jour, alors que le club participait à une foire à Lyon, les organisateurs ont tenté de joindre le fan de sumotoris le plus connu et le plus influent de France, Jacques Chirac. Mais l’ancien président n’est jamais venu. Alors pour que fleurisse des mawashis dans les dojos français, Antoine Marvier ne voit qu’une solution. « Il faudrait que le sport devienne olympique. Là, tout le monde se mettrait au sumo.»