La BD de A à Z, selon le boss de AAARG!
Toutes les images sont extraites du dernier numéro de AAARG!, sauf mention contraire.

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Comics!

La BD de A à Z, selon le boss de AAARG!

On a demandé à Pierrick Starsky, fondateur du meilleur magazine français de BD, de nous filer un abécédaire complet de ses influences.

Si vous appartenez vous aussi à une génération de petits cons qui ne vont plus « dans les kiosques » parce qu'il trouve ça 1/ inutile – attends, mec, tu peux t'abonner sur Internet, pourquoi te faire chier ? – et 2/ ringard, désolé, mais il serait temps d'y retourner. OK, vous faites les types cultivés lorsque vous débarquez au bureau avec un exemplaire du dernier Society/Le Monde Diplomatique/Philosophie Magazine sous le bras, mais demandez-vous une chose : depuis quand n'avez-vous pas lu un truc qu'on ne vous avait pas conseillé ? Votre dernier recueil de poésie ? L'idée venait de votre prof de prépa. Votre dernier David Foster Wallace ? L'ensemble des médias dits de gauche vous a forcé la main. Votre dernier Paris Match ? Ça ne compte pas, il s'agissait d'une lecture ironique effectuée dans la salle d'attente d'un orthodontiste acariâtre.

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Perso, c'est en traînant dans un kiosque que je suis tombé pour la première fois sur un exemplaire de AAARG!, à l'époque où le magazine sortait tous les deux mois. Comme quoi, nos petits commerçants ont encore du talent – ou plus d'originalité que l'industrie culturelle qui prospère médiatiquement, c'est selon. Cette revue de bande dessinée ne m'a plus jamais quitté, du moins jusqu'au mois de mai 2016, date à laquelle sa diffusion a été mise entre parenthèses à cause de sombres problèmes de thunes.

Après plusieurs mois de pourparlers, AAARG! revient en kiosque – et oui ! On y trouvera une BD de Yimel Garcia Gongora & Cha consacrée à un anulingus foireux, un texte de Melvin Zed sur l'évocation de la guerre par Hollywood entre 1945 et 1960, ou encore un long portrait de Pascal Rabaté par Mina Zampano. Au lieu de pondre une énième interview, j'ai décidé de laisser libre cours à l'imagination du fondateur et rédacteur en chef du magazine Pierrick Starsky. Sa seule contrainte ? Que le résultat prenne la forme d'un abécédaire. Le voici.

A comme AAARG!

Évidemment. Ne serait-ce que pour présenter le canard aux néophytes. Donc, AAARG!, magazine de bande dessinée & culture à la masse, sort pour la première fois en octobre 2013 sous forme d'une revue bimestrielle diffusée en librairie. En parallèle on monte une maison d'édition, et durant deux ans, on bosse comme des acharnés à faire tourner boutique à trois.

Ça dure 11 numéros, puis en janvier 2016, AAARG! se transforme en magazine mensuel, diffusé en kiosque, boosté par une campagne crowdfunding ; ce qui nous remet à peu près à zéro. Car oui, on perd du fric, d'autant que le choix est fait de payer les auteur.es dès le début. Malheureusement, à cause de notre diffuseur/distributeur sur l'édition, notre trésorerie est repartie très rapidement dans le rouge. Le magazine a été mis en stand-by après le numéro 4, publié en mai, en attendant qu'on trouve une solution pour les abonnés et pour la boîte. Au final, l'édition du magazine a été reprise par la Financière De Loisirs – qui a récupéré nos abonnés – tandis qu'on a déposé le bilan avec la maison d'édition.

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Aujourd'hui, le magazine ressort avec une formule intermédiaire : en kiosque, toujours, mais de nouveau bimestriel, 132 pages, et un cadeau à chaque numéro. Toujours la même team d'auteur.e.s, un objet un peu plus dense, et toujours ce savant mélange des genres (humour, polar, fantastique, SF, intimiste, etc.) et l'ouverture à la littérature, la photo, l'actualité.

Ceci étant, à la lettre A, j'aurais aussi pu parler d'Amour, car comme le dit si bien Robert McLiam Wilson en ouverture de son roman Eureka Street : « Toutes les histoires sont des histoires d'amour. »

B comme Black Hole

Depuis tout gosse je lis de la BD, je m'y intéresse, ça fait partie de mon environnement, tout comme la littérature, le cinéma… La musique m'est venue après, je fais partie de ces gens qui n'ont pas été biberonnés aux trente-trois tours, et je suis arrivé au lycée assez inculte à ce niveau-là. Je m'y suis mis avec le rock et le punk de cette époque, et j'ai appris à grattouiller. En 1998, après avoir démissionné du bahut le matin du Bac, pensant vivre d'amour et d'eau fraîche (l'ingénuité parfois, c'est quelque chose), je me suis consacré uniquement à mes groupes. Bon, durant cette période, j'ai fait aussi de la radio, du fanzinat, et je me zigouillais à petit feu à l'usine.

C'est vers 2005 que la mère de mon fils, qui n'était à l'époque encore qu'une amie-que-j'aimerais-bien-plus-quand-même-mais-elle-me-dit-non-restons-amis-ralala-je-vous-jure me met Black Hole de Charles Burns entre les paluches. Bim. La claque. Je découvre quelque chose de complètement différent de la BD adulte que je connais. S'enchaîne tout ce qui me tombe sous la main, tout ce à côté de quoi je suis passé. Je me suis gargarisé de bandes dessinées. J'ai fini par en devenir éditeur en 2009 (avec les Éditions Même pas Mal , qui officient encore sans moi) et je n'ai cessé d'évoluer dans ce monde depuis. Je me replonge régulièrement dans Black Hole et j'ai beaucoup de plaisir à lire le boulot de Burns, mais aussi celui de Adrian Tomine, de Daniel Clowes, de Mezzo, de Peeters…

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C comme Robert Crumb

J'ai failli mettre « C comme Cavanna » et causer de son boulot d'écrivain et de Hara Kiri, mais je le fais déjà dans le numéro 5 de AAARG! magazine-en-kiosque-en-ce-moment-même-courez-l'acheter-courez-y-je-vous-jure-ça-en-vaut-la-peine. Et lisez quand même Les Ritals et Les Russkoffs si vous avez la flemme d'aller piquer le canard.

Je suis loin de connaître toute l'œuvre de Robert Crumb, il faudrait une vie pour s'y consacrer. Le mec a produit comme il respirait, toute sa vie, et il a révolutionné la bande dessinée. Je suis particulièrement friand de ses illustrations, ou de ses BD plus « sérieuses », comme celles qui sont recueillies dans le bouquin Nausea, chez Cornélius. Le documentaire sur la famille Crumb, réalisé par Terry Zwigoff, est carrément hallucinant. Assez anxiogène, aussi. il s'appelle sobrement Crumb. Zwigoff a par ailleurs adapté le génialissime Ghost World de Daniel Clowes au cinéma. Pour revenir à Crumb, sa fille Sophie Crumb dessine aussi. Elle a dit qu'on était son nouveau magazine préféré, ça m'a fait rudement plaisir.

D comme Eric Drooker

Je suis le boulot d'Eric Drooker depuis un sacré bail, il a toujours su insuffler à son dessin des aspects super narratifs, poétiques et politiques. Son premier livre, Flood, muet, très inspiré par les gravures de Masereel ou de Lynd Ward notamment, est super. On voit son style évoluer au fil de l'histoire, le livre s'étant dessiné sur plusieurs années. C'est un pamphlet urbain, ça cause de gentrification, de répression, de paupérisation, de réappropriation populaire de l'espace urbain, c'est mélancolique et beau.

Son livre suivant, Blood Song, est plus abouti, superbe. Chaque case est magnifique, il mélange deux procédés, la perspective occidentale, avec point de fuite, et la perspective atmosphérique, qui comme sur les estampes japonaises donne la profondeur par superpositions de couches, les plus claires étant éloignées. À lire ! J'adore également son travail de peintre, son travail d'illustrateur. Ses couvs pour le New Yorker sont à pleurer.

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A la lettre D, j'aurais aussi pu parler de The Devil Makes Three ou des Dead Brothers, qui sont les groupes que j'écoute le plus en ce moment.

E comme Enfance

Parce que tout part de là. Les premiers émois. Les premiers troubles. Les premiers films. Les premiers livres. Les premières passions. Les premières joies. Les premières questions…

C'est une sacrée mission que de faire partie de l'environnement direct d'enfants. C'est quelque chose qui m'importe vachement, le legs, le partage de compétences, de passion, du sens qu'on donne aux choses, de l'esprit curieux. J'ai des souvenirs très précis de mon enfance, ça me bouffe beaucoup de place sur le disque dur, mais je m'y accroche. La découverte de l'existence, quelle aventure !

Il y a une période de ma vie de jeune adulte, j'aurais eu honte de rencontrer le moi môme. J'avais tout gâché, j'étais éteint. Comme quoi rien n'est jamais foutu. Et même quand on est bien bastonné par la vie, on a droit à un petit peu d'innocence, encore, là au fond. J'aime bien donner la main à l'enfant que j'ai été. Même si c'est souvent l'inverse.

F comme John Fante

C'est l'un des seuls écrivains dont j'ai lu plusieurs fois les mêmes romans. Il est tatoué sur mon avant-bras, avec un passage de Demande à La Poussière, chef-d'œuvre s'il en est. Si vous ne connaissez pas, il faut les lire dans l'ordre d'écriture. Et donc commencer par la trilogie Arturo Bandini, l'alter ego de Fante. Et ça commence fort avec La Route De Los Angeles , publié après sa mort, car jugé trop provoquant pour les années 1930. Quel livre ! Puis Bandini, où il réhabilite son père, oublié dans le premier bouquin, et c'est une pierre angulaire à son œuvre, ce rapport au père… Et le grandiose Demande A La Poussière.

Bien plus tard, sur son lit de mort, il aura ressuscité Arturo Bandini le temps d'un livre, dicté à sa femme (il est alors aveugle et a perdu ses jambes à cause du diabète), Rêves de Bunker Hill. Bon, entre-temps, il en a écrit une dizaine, et tout est bon. J'aime particulièrement Les Compagnons de la Grappe. À chialer. Mon Chien Stupide, aussi, plus léger, quoi que… Lisez tout. Tout Fante et tout Steinbeck. C'est mon autre préféré. À l'Est d'Eden, c'est juste incroyable.

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Pierrick Starsky. Photo de Dams

G comme Guitare

C'est la lettre que j'ai eu le plus du mal à trouver. Bon, je joue de la gratte depuis mes dix-sept ans, je crois. J'ai pris quatre cours d'arpèges, ça m'a fait chier, alors j'ai continué à apprendre tout seul. En concert je regardais comment les mecs et les filles plaçaient leurs doigts. J'ai chopé des tablatures d'accords puis je décortiquais à l'oreille (laborieux avec les miennes, d'esgourdes). Du coup, à trente-cinq bâtons, je ne suis pas un bon guitariste vu le nombre d'années que je gratte. Mais je m'en sors pour faire ce que je veux faire. Des chansons.

H comme Werner Herzog

C'est vraiment un type hallucinant, en plus d'être un grand réalisateur. Il n'a pas fait que des chefs-d'œuvre ces dernières années, certes, mais c'est un passionné, un jusqu'au-boutiste. Au-delà de l'œuvre, des pépites comme Fitzcarraldo (dont le documentaire sur le tournage est au moins aussi intéressant que le film), c'est l'individu que je trouve passionnant. Les documentaires qui lui sont consacrés sont géniaux. Ce mec est fou. Pas le même genre de folie que Klaus Kinski, qui était un vrai psychopathe (et un vrai connard). Quelque chose de diffus, de brillant. C'est un marcheur. Un cogiteur. Et il réfléchit en marchant. Dans les années 1970, il a appris qu'une amie à lui était très malade, elle risquait de mourir. Il a décidé d'aller à son chevet à pied, Munich-Paris, persuadé qu'elle serait encore vivante à son arrivée. Il a tenu un carnet de route, qui a été édité, durant cette marche. Le Chemin Des Glaces. Je ne l'ai pas lu.

Il a monté une école de cinéma pirate, et dans cette école, pas question d'enseigner quoi que ce soit ayant trait à la technique cinématographique. Il enseigne comment faire des films dans un monde régi par l'argent et où l'indépendance est une gageure. Donc, à faire de fausses autorisations de filmer, à crocheter des serrures, etc…. Ce type est génial.

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I comme Ivresse

Je ne suis pas alcoolique, je suis un buveur (ils disent tous ça). Je suis accro à l'ivresse, à tout ce qui fait tanguer la vie et la fait ressembler à un film, un roman, un rêve. Heureusement, l'ivresse est partout. Dans chaque instant voluptueux, chaque souvenir chaud, chaque caresse, chaque sourire, chaque poème, chaque roman, chaque baiser, chaque orgasme… Eh. La plus belle ivresse, c'est l'amour.

J comme Joe Strummer

Si The Clash a eu un vrai impact sur ma vie, je me suis mis beaucoup plus tard à écouter sérieusement The Mescaleros. Quel songwriter ! Quelles chansons ! Quelle présence ! Strummer a un parcours vraiment intéressant, il a glissé dans quelque chose de pas terrible à l'époque de Combat Rock, il s'est starifié, il ne se sentait plus pisser… Puis il s'est reconstruit d'une bien belle façon. Le docu Future Is Unwritten raconte plutôt bien le bonhomme, sans complaisance, et retranscrit bien sa vision bienveillante des choses. L'avenir nous appartient.

K comme Stanley Kubrick

C'est à mes yeux le plus grand cinéaste des 50 dernières années. Il y a tout, le fond, la forme… Kubrick était un obsessionnel, il ne laissait aucun détail au hasard, et le résultat s'en ressent. Aucun de ses films n'est pas magistral (excusez l'euphémisme). C'est rarissime. Il y a peu de cinéastes qui ont une œuvre à la foi ultra cohérente, identifiable à ce point, en ayant pourtant touché à tout, et en s'étant permis de telles choses.

J'ai revu Shining et Full Metal Jacket récemment, et après vingt visions, je ressens toujours le même choc.

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L comme Littérature

Je ne voyais pas AAARG! sans littérature, ni cinéma, même si c'est un magazine de bande dessinée. La lecture est un acte super important, c'est un acte de solitude choisie, c'est un acte de bienveillance avec soi. La BD, c'est un médium formidable. Mais la littérature est la forme d'art qui amène le plus à l'introspection, à un développement personnel de l'imaginaire. On est seul avec ses images, sa vision du livre. Sur six milliards d'humains à lire le même livre (théorisons), aucune perception, aucune interprétation mentale, aucune projection d'images ne sera la même. Et pourtant, on peut en parler, échanger ensemble ensuite…

J'ai commencé avec Roald Dahl. À sept ans, il m'a ouvert une fenêtre sur un monde fabuleux, celui de l'immersion dans un roman (merci Maman). Je n'ai jamais arrêté.

Parmi mes dernières grandes découvertes tardives, il y a l'excellent James Crumley et son Dernier Baiser , préfacé par un magnifique poème de Richard Hugo ; Mark SaFranko dans la veine « les tribulations de mon alter ego minable mais attachant » ; David Vann, que j'ai rencontré, qui est d'une gentillesse incroyable, et dont on a du mal à se remettre de la lecture de ses livres ( Sukwann Island, nom de Dieu) ; Donald Ray Pollock, monstrueux. Deux livres, et déjà une œuvre. Son troisième bouquin sort là, incessamment…

M comme Menthe à l'eau

Je dois avouer aimer beaucoup la bière et le vin. Mais la menthe à l'eau a changé ma vie et réchauffé mes nuits. C'est une longue histoire, je la raconterai un jour.

(voir la lettre I)

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N comme Non

Parfois, qu'est ce que ça peut être dur de dire non. C'est un mot d'une puissance incroyable. Il peut être aussi violent qu'une gifle, aussi perçant qu'une balle. Certain.es sont mort.es pour avoir eu le courage de dire non. J'aime le non du refus, de l'insoumission, celui qui traîne des wagons de oui sur son passage, qui est force de proposition, qui est un affront à l'ordre établi, à l'injustice, à la bêtise la plus crasse. Par contre, les non vides, qui n'érigent qu'un mur contre lequel s'abattre, le non couperet de celui ou celle qui use de son pouvoir, ou de sa méchanceté, je l'exècre. Le non mesquin, le non injuste… Le non des cons. Là je dis non.

O comme Ogre

Je suis assez excessif, que ce soit dans la vie, à table, au bistrot, quand je m'exprime, ou dans ma façon d'appréhender les choses, dans mes projets, mes sentiments… On m'a déjà qualifié d'ogre, mais je ne mange personne qui ne serait consentant ! Évidemment, j'aurais pu parler d' Orgasme, mais je l'évoque déjà ailleurs (voir I et M), et il faut bien rester révérencieux…

P comme presse

J'ai toujours aimé la presse, les magazines. À commencer par les Pilote, Charlie et Métal Hurlant de mes darons, tout en lisant Spirou, en parallèle, auquel j'étais abonné. Très vite, gamin, je claquais mon fric en magazines, quand je ne les piquais pas. Le journal télé, qui me permettait de savoir quels films j'allais découvrir et enregistrer. Puis les magazines cinoche, avec une petite préférence pour Première, Mad Movies et l'Écran Fantastique. Ça n'a jamais cessé. Puis maintenant, je fais un magazine moi, comme un grand. Celui que j'aurais voulu lire.

Q comme Questions

Dans mes soliloques intérieurs, je ne cesse de me poser des questions. Bonnes ? Mauvaises ? Je l'ignore. Certaines font avancer, d'autre stagner, parfois même reculer… Mais en général, ne serait-ce qu'empiriquement, j'avance grâce à elles, même si parfois j'en chie. Je déteste les certitudes immuables, celles qui te bétonnent pieds et âme. La certitude, c'est la mort. Comme le dit Nietzsche dans Ecce Homo, alors qu'il analyse Hamlet et en accord avec l'auteur : « C'est n'est pas le doute qui rend fou, c'est la certitude. »

R comme Rêves

Je n'ai qu'un héritage digne de ce nom à léguer à mon fils, c'est une idée à laquelle il faut s'accrocher à tout âge, même lorsque le monde entier te hurle le contraire : crois en tes rêves. Et bas toi pour ce en quoi tu crois.

Du coup, avec la lettre R, je peux aussi parler de l'éternel Retour, et encore de Nietzsche. Et si la vie se répétait éternellement, en boucle… ? Que tu devais en revivre chaque instant, indéfiniment. Tant que possible, mène ta vie en sorte que tu puisses souhaiter qu'elle se répète éternellement.

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C'est une sacrée gageure que d'être copain avec soi, assez pour être heureux, et c'est jamais gagné… Mais c'est comme ça qu'on se Réalise, non ?

S comme Spaghettis

Ceux qui me connaissent un chouilla ont l'habitude de me voir finir mes éditos, mails, lettres, et même listes de courses par une maxime qui est mienne, « Amour & Spaghettis ». J'aime bouffer. J'aime tout ce qui est de l'ordre de l'hédonisme. L'ivresse (cf. plus haut), les plaisirs charnels (voir plus haut), ceux de l'esprit (voir plus… bon voilà quoi). Les spaghettis, c'est ma marotte. Ça fait slurp, ça glisse, c'est emmêlé, et c'est bon, c'est bon ! Avec de l'ail, avec du frometon, avec de la tomate. C'est une idée de la vie. C'est simple et sophistiqué.

Puis, quand je dis spaghettis, je parle de la bouffe en général, et la bouffe, c'est l'amitié, c'est les copains-les-copines autour d'une table, avec du rouge, des débats, des rires et des œillades. La bonne franquette et les tapes dans le dos, refaire le monde dans des slurps et des glous et des glous et des… enfin voilà quoi. Oui, c'est la vie dans ce qu'elle a de chouette. J'ai une pensée émue pour le restaurant le Vin Sur Zinc et son taulier, Mouillette, à qui je dois certains des plus chouettes moments de ma vie des dernières années – et dix kilos sur le bide.

T comme Télévision

Je n'ai pas de télé chez moi. Avec le net, pas besoin. Je l'ai jetée un jour, cet appareil démoniaque, chronophage, inutile, cette machine à rendre les gens cons et serviles. Et pourtant, je l'ai aimé, mon tube cathodique (celui de mes parents), marié à un magnétoscope. Gamin, j'enregistrais tous les films possibles, je voulais tout voir. Ça passait, je matais. Ça a commencé au CE2, Au lycée, j'avais pas mal de vidéos à force, t'imagines bien, et par l'intermédiaire d'un copain, je les louais à un prix défiant toute concurrence, ce qui me permettait de racheter des cassettes vierges. La télé, ce petit cinéma à portée de main, c'était aussi les dessins animés de chez Berlusconi, sur La Cinq. Et par la Péritel passait aussi le cordon de la Nintendo, et mon copain Mario, ralala, c'était bien… Aujourd'hui, avec la HD, tu regardes un Terence Mallick avec une photo de ouf, tu as l'impression de mater Hélène et les garçons . Poubelle la téloche. Par contre j'ai deux ordis et une tablette. Ah le con.

U comme Ulysse

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage. Si j'ai vu beaucoup de beaux paysages, je n'ai jamais trop voyagé, du moins à l'étranger. De la France, j'ai écumé les rades, les caf'conce' les squats quand on partait en tournée avec mon groupe. Mais un peu trop casanier. Je n'ai pas de regrets, pas encore, mais j'ai envie de commencer à aller voir un peu plus loin ce qu'il se passe. J'ai raté une belle occasion au Portugal, récemment. Ah le con…

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V comme Boris Vian

Pour sa musique, pour ses romans, pour ses nouvelles, pour ses poèmes. Quelqu'un de grand. Je Voudrais Pas Crever, me fait tomber à terre, Le Temps de Vivre itou… Quel bonhomme, insondable et pourtant si prolifique, si bon. « Je voudrais pas crever avant d'avoir usé ma bouche avec sa bouche, son corps avec mes mains, le reste avec mes yeux… » (voir lettre M). Tiens, je vais finir cet abécédaire en me balançant le disque. Pas par la fenêtre, rassurez-vous, c'est une image. Ah les cons.

W comme Wes Anderson

C'est un réalisateur, un auteur aux influences multiples, qui a réussi à digérer tout ce qui l'a passionné. Il a créé un univers unique, propre à lui. Kubrick, Stefan Sweig, Roald Dahl, Terry Gilliam, Truffaut, Louis Malle… S es films sont reconnaissables à dix mille kilomètres, et pourtant, on est toujours surpris, c'est toujours excellent. Les pièces de son œuvre se ressemblent mais ne se répètent pas. Fantastic Mister Fox est un film que tous les enfants (et tous les adultes) doivent voir. Puis c'est d'après Roald Dahl, on y revient, la boucle est bouclée. Alors… Grand Budapest Hotel, La Famille Tenenbaum… C'est toujours malin, fin, drôlissime, émouvant, et avec un rapport à la mort très intéressant. La gestion de la mort des personnages s'inscrit toujours dans un continuum, triste certes, mais en rapport avec la vie, sans gravité… Bref, j'adore.

X comme Suggestion

Alors X comme pornographie ? Ça ne m'a jamais intéressé. Je crois que dans tous les domaines, la suggestion est ce qui est le plus efficace. Dans un film d'horreur, on a plus peur de ce qui est tapi dans l'ombre que ce que l'on voit, parce que l'imagination fait le boulot, et elle sera toujours plus efficace que l'image, et plus adaptée à un comportement psychique qui nous est propre. En sexualité, en désir, c'est la même chose en ce qui me concerne. Je n'ai pas besoin de voir des scènes en gros plan, au contraire. L'impression d'être à la boucherie. J'ai tout ce qu'il faut à l'intérieur. J'ai une imagination turgescente.

Y comme Y'en re n'a

Parce que quand il n'y en a plus, si l'on est patient, après y'en re n'a.

Z comme Z

Un film de Costa Gavras à revoir, surtout en ces périodes troubles.

J'aurais aussi pu dire Z comme Ze End, parce qu'il faut bien finir. Et la fin d'une chose est toujours le début d'une autre. Un projet, une période, un amour, un cycle… Il n'y en a qu'une, de fin, qui sonne le glas, qui ne propose pas de suite, du moins j'en ai bien peur, c'est la vilaine faucheuse, la casseuse de pipes. Alors quoi, profitons de la vie, elle est belle. Et si Nietzsche a raison, ce sera reparti pour un tour.

Amour & spaghettis

Si vous désirez choper un exemplaire du dernier AAARG! dans un kiosque, allez voir par ici.

Sinon, allez sur le site officiel du magazine.

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