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Culture

L'Histoire de l'actrice qui a trompé tous ses maris avant de mourir seule à 33 ans

Adah Isaacs Menken a connu la gloire et le succès à Broadway, avant de décliner, puis de périr.

Quelques jours avant sa mort à l'âge de 33 ans, Adah Isaacs Menken laissait derrière elle une mystérieuse lettre – comme un testament. Elle déclarait la chose suivante : « J'ai dit adieu à l'art et à la vie. Je peux dire aujourd'hui que j'ai vécu et profité plus que n'importe quelle autre femme ne pourrait le faire en un siècle. Je devrais avoir le droit de devenir vieille comme les autres. » À la fin de sa vie, l'actrice la mieux payée des années 1860 vivait à Paris dans la misère. On affirmait qu'elle avait perdu tout son argent au jeu.

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Si l'on dit parfois que le concept de célébrité est une invention récente, la culture américaine n'a pas attendu 2016 pour aduler, glorifier puis sévèrement congédier ses stars féminines. Ça a commencé dès le XIXe siècle. L'une de ses victimes se nomme Adah Isaacs Menken, dont la grandeur et la décadence ont été scandaleuses même pour nos standards actuels. Son histoire familiale n'a jamais été connue avec précision. Parfois, la jeune femme prétendait être née créole catholique en Louisiane. Parfois, elle disait venir de New York ou de La Havane. Parfois, son père était un esclave noir affranchi. Parfois, il était juif. Ce qui est sûr, c'est que Adah Isaacs Menken a eu au moins cinq maris tout en entretenant de nombreuses liaisons extraconjugales. Elle a été accusée de bigamie, n'a pas manqué de rédiger de la poésie, d'adopter un style androgyne et d'entretenir des relations amicales avec des auteurs comme Walt Whitman. Elle menait une vie de bohème, tout simplement.

Alors que sa célébrité et ses excès éclipsaient peu à peu sa carrière d'actrice, Adah Isaacs Menken a rejoint l'Europe après avoir été clouée au pilori par la presse outre-Atlantique. Les journaux de son pays d'origine soulignaient constamment sa superficialité, liée selon eux à sa sexualité libérée. Pour la presse de l'époque – mais est-ce vraiment différent d'aujourd'hui ? – une actrice se devait d'être polie et affable. Il était tout à fait grotesque et tapageur de faire étalage de sa richesse et de sa sexualité lorsque vous étiez une femme aisée et célèbre.

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Au XIXe siècle, les femmes ne pouvaient que très rarement travailler, encore sous le joug d'un système patriarcal qui les maintenait au sein du foyer. La maison était un lieu jugé prospère et respectable. Les femmes discrètes étaient celles qui restaient auprès de leurs enfants. Celles qui étaient contraintes de travailler – bien souvent pour survivre – étaient étiquetées très rapidement. Elles ne pouvaient être que des prostituées. Néanmoins, l'industrialisation de l'Amérique a poussé des milliers de femmes dans les usines, ne pouvant plus survivre du seul travail domestique.

Le travail à l'usine était intense, dangereux et déprimant. Les salaires étaient misérables et la mobilité économique et sociale absente. Dans les années 1860, les femmes qui travaillaient dans les usines à New York percevaient un salaire moyen de deux dollars par semaine alors qu'une opératrice en confection gagnait entre quatre et cinq dollars par semaine, sans compter le logement. En comparaison, selon les propos d'Olive Logan, une actrice contemporaine à Menken et citée par Claudia D. Johnson dans American Actress: Perspective on the Nineteenth Century, une actrice « ordinaire » de cette époque pouvait gagner de 40 à 60 dollars par semaine. Une actrice célèbre empochait jusqu'à 20 000 dollars par an.

Tandis que se développait l'idée selon laquelle les acteurs étaient des gens tout à fait respectables, de nombreuses femmes ont intégré la profession. Malgré cette professionnalisation, les actrices étaient toujours très mal vues, méprisées en comparaison des couturières ou des institutrices. Depuis que le théâtre est défini comme un « art vivant » – le corps de l'acteur étant engagé comme moyen d'expression – il a souvent été comparé à la prostitution. N'importe quelle femme qui montrait qu'elle avait conscience de son corps faisait donc face à de vives critiques. Très peu d'artistes ont su conserver leur apparence de vertu féminine tout en connaissant une carrière à succès. On pourrait citer l'exemple de la chanteuse d'opéra Jenny Lind, qui a prouvé qu'une communication adaptée et un travail de philanthropie adéquat pouvaient vous tenir éloignée d'une mauvaise réputation. Lind a toujours su s'acheter une conduite irréprochable : elle donnait une partie de son argent à des œuvres de charité et a favorisé la construction d'écoles gratuites dans sa Suède natale ou d'églises à Chicago. Dans la plupart des cas, les actrices étaient toujours tiraillées entre vie publique et privée, respectabilité et notoriété, richesse et pauvreté.

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Menken dans « The French Spy » en 1863. Photo via Wikimedia Commons

Si Adah Isaacs Menken est devenue célèbre dans tout le pays lors de la révélation de ses relations extraconjugales, on se souvient surtout d'elle pour sa performance d'Ivan Mazepa, le héros tragique de Lord Byron. Elle a fait sensation en se présentant sur scène dans la peau d'un homme, vêtue d'une simple combinaison couleur chair. On aurait dit qu'elle était complètement nue. Accrochée au dos d'un cheval lancé au galop, elle ne maîtrisait pas le saut de celui-ci au-dessus d'une rampe. La presse, les critiques et le public l'ont encensée pour sa performance, à la fois très élaborée et dangereuse. Suite à cette prestation, les contrats se sont enchaînés. Sa carrière était lancée, tout comme sa réputation d'actrice talentueuse.

« Nous avons été secoués par le génie de cette femme en haut de l'affiche », pouvait-on lire dans une critique du Milwaukee Daily Sentinel en 1861, soit l'année de la première interprétation de Mazepa par Menken. « Que ses origines soient basses ou élevées elle possède dans son essence même les attributs de la noblesse. » Dans cet article et dans bien d'autres encore, Adah Isaacs Menken est décrite comme une femme ayant la capacité fascinante de passer d'une classe sociale à l'autre – dans l'article, les origines « basses » peuvent aussi bien se référer à la pauvreté qu'à la prostitution.

De tels articles ont rapidement fait de Menken une idole auprès des lecteurs. Tous évoquaient sa beauté, faisaient part de ses nombreux talents, dissertaient sur ses affaires extraconjugales et livraient tout un tas de détails intimes sur sa vie. Après avoir endossé le rôle de Mazepa, Menken ne pouvait plus rester anonyme. Elle était devenue « la Menken ».

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Fascinante et provocante, elle n'était pas encore assez riche ou puissante pour être au centre de l'hystérie collective. Elle ravissait les foules des États-Unis jusqu'en Europe. Mais comme le rappelle Renee Sentilles dans son ouvrage Performing Menken, cette situation n'a pas duré. « Une fois qu'elle était au sommet de la gloire, son comportement frivole est devenu dangereux aux yeux des conservateurs », écrit cette historienne.

Alors que sa célébrité atteignait des sommets, Adah Isaacs Menken se transformait en un symbole de l'excès au féminin. Sa réussite financière était détaillée dans de nombreux journaux, journaux qui ne manquaient pas de se moquer d'elle et de ternir sa réputation. Plus l'actrice gagnait d'argent, plus elle concentrait les critiques.

En moins de cinq ans, Menken est passée de star aimée de tous à has been honnie. En 1866, le Daily Columbus Enquirer publiait une critique acerbe de la représentation de Mazeppa au Broadway Theater.

La plupart des critiques théâtrales se pâment devant la performance ''à moitié dénudée'' de ce remarquable animal qu'est Mademoiselle Adah Isaacs Menken. Ce costume de dame est évidemment adapté en cas de fortes chaleurs ou dans quelques civilisations lointaines. Son modèle semble bien être Ève en personne, dans le jardin d'Éden, à l'exception de la feuille de vigne. Menken ne se donne point la peine de revêtir cet habit pudibond qu'elle juge superflu, allant à l'encontre de la bienséance de mise à Broadway.

Si les critiques ne la prenaient plus au sérieux, comment le public aurait-il pu résister à cela ? Le journaliste ne se contentait pas de critiquer ses performances et de remettre en question ses talents d'actrice en la comparant à une bête de foire. Il allait plus loin et la comparait au cheval qu'elle chevauchait sur scène – une pique évidente à sa sexualité animale.

Une autre critique acerbe a été publiée en 1866. L'auteur commence son article en associant Menken et ses achats luxueux : « Ses diamants, ses placements, sa femme de chambre, et son imposante garde-robe. » Après avoir qualifié Menken de femme extrêmement riche ayant un penchant pour la cupidité, l'auteur complète ce catalogue : « Ses bijoux et ses robes de prestige, ses éventails parés de bijoux. Ses cheveux, son cou et sa poitrine poudrés avec de la véritable poussière de diamants. »

Lorsque Menken est morte à Paris en 1868 d'une maladie mystérieuse (certains évoquent la tuberculose quand d'autres parlent d'un cancer), on lui prêtait une relation avec Alexandre Dumas, bien plus âgé. Elle n'a rien laissé derrière elle. Peut-être avait-elle tout perdu aux jeux d'argent comme le prétendent les rumeurs. On peut voir ça comme le triomphe de l'ironie : elle était si riche qu'elle aussi pouvait, comme un homme, se risquer aux jeux d'argent et y laisser toute sa fortune. Après tout, l'intégralité de sa carrière n'était rien d'autre qu'un risque permanent.