Allez vous faire foutre avec vos cagnottes Leetchi
Toutes les illustrations sont de Robin Renard.

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Tribune

Allez vous faire foutre avec vos cagnottes Leetchi

Pourquoi je suis contre ce racket organisé et les enfoirés qui vous l'imposent.
Paul Douard
Paris, FR

Il y a un truc sur cette planète que je déteste plus que tout, c'est perdre de l'argent. Littéralement. Vous savez, laisser un billet de 20 euros dans la poche de son jean pendant un lavage, oublier ce même bout de papier au distributeur ou encore le perdre connement au hasard d'une rafale de vent. Quand un truc pareil se produit, je ne souhaite qu'une chose : voir le monde brûler puis le contempler aspiré par un trou noir supermassif.

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Je ne suis pas attaché à l'argent. Mais comme beaucoup d'entre nous, le gagner requiert de longues heures de travail plus ou moins chiantes. Donc bon. Le vrai problème en fait, c'est que cette sensation de désespoir qui m'anime lorsque mon argent s'envole injustement, je la retrouve à chaque fois que je participe à un truc bien précis : une cagnotte Leetchi.

Si vous avez quelques amis qui arrivent encore à vous apprécier, ou des collègues de bureau à qui vous n'avez pas encore dit qu'ils étaient de gros beaufs, vous connaissez ce fléau. Les cagnottes Leetchi, censées faciliter l'achat de tel ou tel cadeau à un ami commun, ne sont – au mieux – que du racket légal, moderne et encouragé effectué en bande organisée.

À la base, constituer une cagnotte dans le but d'offrir un cadeau n'est pas une mauvaise idée en soi. Cela permet d'offrir quelque chose de plus cher – donc de mieux – à une personne qui a déjà tout. Car de mon expérience, les cagnottes sont rarement utilisées pour des gens qui n'ont pas un rond. L'argument de « on peut faire un beau cadeau à quelqu'un qui a peu de moyens » est beau et louable, sauf que ça n'arrive jamais. Les cadeaux sont toujours adaptés au style de vie de la personne. C'est comme ça . Une cagnotte est donc toujours et surtout synonyme de stress et de culpabilité pour celui qui donne. À moins que celle-ci concerne votre meilleur ami(e) – ce qui est rare – vous vous demanderez toujours : est-ce que vous devez donner, combien, que vont penser les gens si vous refusez d'obtempérer à cette forme particulièrement lâche de racket, etc. Concrètement, c'est l'enfer, mais ce n'est que le début.

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Étrangement, depuis que ce système de cagnotte existe, je suis invité à nettement plus d'anniversaires qu'auparavant. Je suis aussi présent dans un nombre insensé de boucles Messenger avec des gens que je ne connais pas. Ou au mieux, que j'ai aperçu à la cantine du lycée il y a genre, dix ans. Au fond, je suis incapable de me souvenir de toutes les cagnottes auxquelles j'ai participé à ce jour, ou simplement été convié. Et pour cause : il y en a trop. Même chose pour leurs destinataires. Si vous connaissez une personne qui est capable de se souvenir de toutes celles qui ont participé financièrement à son cadeau, appelez-moi. Souvent, l'histoire se termine par un simple texto commun de remerciements.

La fameuse cagnotte n'est jamais organisée par la personne qui s'apprête à recevoir l'argent ou le cadeau en question, évidemment. Souvent, une copine bienveillante qui aime beaucoup « organiser » se fera un plaisir d'être riche par procuration le temps d'un après-midi shopping, au grand bonheur de tous les autres participants qui ne manqueront pas par la suite de se vanter d'avoir donné 50 euros, confortablement assis le cul sur leur chaise de bureau. Cette copine va aussi prendre le temps de créer un message Facebook ponctué de nombreux points d'exclamation, d'hyperboles et d'inanités crasses, poussant ses destinataires au bord de la folie ; sans oublier d'y ajouter le plus de monde possible, afin de récupérer le plus d'argent possible.

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Cette méthode marche un peu de la même manière que le crowdfunding d'une start-up qui développe la prochaine lampe de chevet transformable en cuvette de chiotte portable. Et comme n'importe quel crowdfunding, il est impossible d'y échapper.

De fait, on va régulièrement vous relancer via divers messages culpabilisants où l'on vous expliquera qu'il faut donner, parce que ça se fait, parce que cette fille est super chouette mais aussi, parce qu'elle vous a invité à une soirée au cours de l'été 2011 durant laquelle vous avez mangé ses chips. Le tout accompagné d'un ultimatum – à savoir la date de l'achat du cadeau. Le but étant de vous faire casquer avant que la fatigue et le désespoir prennent le pas sur votre raison, qui précisément est : vous n'êtes pas vraiment ami avec cette personne – ou de loin –, vous allez donner de l'argent pour une soirée où vous ne serez même pas présent, pour un cadeau nul que vous ne verrez jamais.

La pression sociale liée à ce système de cadeau fait que vous préférez lâcher 10 euros pour un cadeau et ne pas aller à la soirée, plutôt que de vous pointer à la soirée en faisant partie des trois pauvres types qui n'ont pas daigné lâcher dix misérables balles.

Il faut néanmoins répondre quelque chose. Et vite, car l'organisatrice peut voir si vous avez lu son message. Et si vous avez lu son message et que votre nom n'apparaît pas – accompagné d'un chiffre – sur le site de la cagnotte, vous êtes rangé dans la case « radins et autres pauvres types ». Heureusement, certains ont plus de courage que d'autres, et j'envie ces derniers. Car il arrive parfois que dans le lot, quelqu'un se contente d'un simple « Sébastien a quitté la discussion » comme réponse. C'est d'une insolence et d'une pureté sans nom. Mais la pression sociale liée à ce système de cadeau fait que vous préférez de toute façon lâcher 10 euros pour un cadeau et ne pas aller à la soirée, plutôt que de vous pointer à la soirée en faisant partie des trois pauvres types qui n'ont pas daigné lâcher dix misérables balles.

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Mais refuser de participer à la croisière d'Alban et Magalie au Brésil ne fait pas de vous un égoïste. Peut-être que qu'Alban et Magalie, vous ne les avez croisés que trois fois dans votre vie. Peut-être qu'ils ne savent même pas quel job de merde vous faites, ni que votre copine vous a largué il y a six mois déjà. Peut-être aussi que vous êtes au chômage et que vous, personne ne se presse pour vous organiser une cagnotte. Ou peut-être que vous aimeriez tout simplement qu'ils se souviennent d'où vient ledit cadeau.

L'idée même du cadeau n'est pas sa valeur. C'est l'effort consenti pour offrir quelque chose à quelqu'un. En offrant un cadeau, on offre surtout un souvenir, un moment précis entre deux personnes. La cagnotte de mon point de vue, offre plus une sensation, une sorte de fixe, puissant mais éphémère. Elle peut éventuellement virer au concours de bite ; gloire à celui qui mettra le plus d'argent dans la caisse, en prenant bien soin de l'afficher aux autres. Pourtant, ceux qui vont passer pour les plus généreux ne sont pas forcément ceux qui seront là le jour où vous aurez besoin d'un ami pour cacher un corps.

Le pire, comme toujours, arrivera dans tous les cas au moment du dénouement. Celui où l'on offrira le cadeau pendant la soirée. Là, la personne reçoit un cadeau anonyme – genre une paire de chaussures qu'elle revendra si celle-ci ne lui plaît pas – et va devoir faire la bise à tout le monde pour les remercier de leurs efforts. C'est-à-dire d'avoir pris deux minutes de leur vie pour entrer leurs coordonnées bancaires dans un serveur informatique.

Ce tour de bise pose aussi l'illusion que nous serions tous sur un pied d'égalité. Évidemment que non. À ce moment précis, les plus expressifs sont toujours ceux qui ont donné le plus. On peut s'en rendre compte à la bienveillance outrée de leur bise ou de leur accolade. Ils se sentent bien sûr plus légitimes que les autres. Les autres qui eux ont attendu les dernières minutes imposées par l'organisatrice pour donner 5 euros, se retrouvent subitement en arrière-plan et gênés d'être là. Comme s'ils devaient se justifier d'avoir donné peu. Car ne soyez pas naïf : l'invité finira toujours par savoir qui a donné et qui n'a pas donné.

Finalement, le résultat est souvent médiocre. Toute l'organisation de la cagnotte n'aura tourné qu'autour de l'argent et du niveau de pouvoir d'achat des convives. Les plus généreux en sortent gagnants – quand bien même ces derniers ne savent rien de la personne chez qui ils se rendent. Une sorte de mafia qui fait de l'amitié et de la fainéantise humaine un business comme un autre. À croire que l'argent achète vraiment tout.

Paul est sur Twitter.