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Analyser les participants du Salon du trading à domicile 2013

Bienvenue dans le Wall Street des nerds français.

Dans la liste des gens les plus détestés au monde, ces gros bébés irresponsables et égocentriques que sont les traders tiennent chaque année le haut du pavé.

Mais, loin des kilo-euros et des bulles spéculatives, il existe d’autres traders, plus cheap, qui manipulent des sommes minuscules et le font depuis leur appartement : il s’agit des traders à domicile. C’est une ligue à part, comme jouer en N3 en foot. En plus d’investir leur argent depuis leur ordinateur de bureau, les traders à domicile organisent également des rencontres pour discuter de leur passion à des gens aussi normaux (et tout aussi avides de petits profits) qu’eux.

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Vendredi 20 septembre, je me suis donc pointé à l’Espace Champerret, dans le 17e arrondissement, pour assister à la 8ème édition du Salon du trading à domicile français. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette zone grise du territoire parisien, il s’agit d'une espèce de grand salon au sous-sol d'un quartier déprimant entouré d'écoles de commerce, de banques et d’ascenseurs. Devant l’entrée, dès 11h, quelques mecs en costard-cravate fumaient leur clope, visiblement concentrés.

L'iconographie de l'événement était en effet, plutôt sommaire.

Le lieu grouille de mecs grisonnants promenant leur mallette d’un stand à un autre, et je suis d’abord incapable de capter le feeling de cet endroit qui sent la voiture neuve. Sans surprise, les traders à domicile ont tous l’air plus ou moins paumés. Il faut dire qu’ils ont payé 250 euros pour trois heures de séminaire. À proximité de l'entrée, des tonnes d'invitations attendent un public qui ne fera pas le déplacement.

À l’intérieur, j’aperçois deux salles de conférence et une dizaine de stands, dont une librairie – les autres étant dédiés presque exclusivement aux logiciels de trading. Un écran nous présente une démo de je ne sais quel programme dédié au trading. Sur l'écran, à gauche, un fil RSS apparaît et avec lui la mention « Harcelée sur internet, elle se suicide ». Aucun doute : ces mecs se font de la thune tout en s’intéressant à l’actualité. Parfois le pointeur de la souris bouge et l'on découvre une liste de navigateurs à destination des apprentis boursicoteurs : Heikin-Ashi, Bears, Zig Zag, etc. Après la première conférence, ces mots barbares n'auront plus de secrets pour moi.

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Un journaliste en train de couvrir l’événement (à droite) et un participant (à gauche).

À chaque stand, un type en costard tente de nous refiler un logiciel de trading pour particuliers (et dans le monde de la finance, tout le monde est un particulier). Ces programmes servent de fenêtre sur le marché ; vous faites vos trucs puis, en direct, le programme se charge de transférer ces opérations vers le vrai marché. À votre disposition, une bibliothèque de signaux et de stratégies à appliquer. Ces stratégies ont des noms difficiles à retenir. « Celle-ci est très utilisée », nous précise l’un des types en costard. « Elle s’intitule : 3p56q. »

Il est interdit de se tenir à l'entrée de la salle de conférence numéro 1, séparée du reste du salon par deux panneaux en plastique. La conférence numéro 2 se tient à une dizaine de mètres, si bien que l’on entend les deux conférences en même temps. Un vigile, déterminé, vire les gens de la salle de conférence numéro 1 avec un plaisir sinistre. Difficile de ne pas être fasciné par les regards vides des quadragénaires en chemise violette, alternativement consternés et terrifiés par les mises en garde toniques du vigile.

Un aperçu de la conférence numéro 2.

La conférence numéro 2 débute à 11h45, et est présentée par Frédéric Liefferinckx, manager partner chez XSRETURN, entreprise basée à Bruxelles. Il s’agit d’une conférence de niveau « néophyte » – et non pas de niveau « medium » ou « confirmé » comme d’autres organisées le même jour. Première constatation, il ne s’agit pas d’une conférence où il serait question d’apprendre quelque chose. Il s’agit en réalité d’une présentation pour un nouveau programme de trading. « Sans exagérer – [rires dans la salle] – ce programme est de loin – [silence] – le produit le plus performant de sa catégorie sur le marché », nous précise, hilare, le conférencier Frédéric.

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95% des gens dans la salle sont de sexe masculin. Les 5% restant, des femmes en tailleur, ne dégagent pas la moindre tension sexuelle. Toutes les pensées sont ici tournées vers une seule cause : l’argent. « Mais attention, ce n’est pas un logiciel miracle ; c’est du boulot. Et ce boulot – [coupure] – c’est vous qui devez le produire. »

Le salon se divise entre mecs en costards bien coupés (en gros, ceux qui tiennent les stands) et mecs en costards pourris venus pour vivre la high-life des mecs en costards bien coupés. Outre cette sous-classe qui représente 80 à 85% des gens, on note : des bedonnants discrets, des étudiants faibles, et plusieurs cas bizarres, notamment ce mec en combo tongs-chaussettes qui posaient des questions inattendues – « Oui, mais, admettons que je veuille gagner cet argent deux fois plus vite – comment puis-je faire ? ». Au moment de la pause déjeuner, on le reverra dans la rue en train de manger de la semoule dans un sac plastique.

Grosse ferveur économique sur les coups de 13 heures.

En début d’après-midi commencent – enfin ! – les duels de trading. C’est, vous l’aurez deviné, le peaktime de la journée ; tout le monde (45, 50 personnes à 14h) retient son souffle. Ces duels sont des sortes de matchs au cours desquels deux traders confirmés s’affrontent en temps réel, avec du vrai argent – « real money » – sous nos yeux ébahis de gens pauvres.

Dans la liste, après le nom des participants, on peut découvrir la société de chacun : Professional Trading Academy, Perceval Finance Conseil ou encore Become a Better Trader. La liste compte également des « traders indépendants », et un Italien dont le seul CV à disposition est un blogspot méconnu.

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Dans le dos de chaque trader, un écran nous dévoile l'action en live, tandis qu’un étudiant en nœud papillon note les résultats sur un paperboard (oui, un tableau). Enfin, un commentateur se balade dans toute la pièce en gesticulant et essaie de dynamiser ce spectacle somme toute assez chiant. Il tourne avec plusieurs vannes, notamment la suivante, qui vite, rencontre son public : « La sélection est dure, mais… c’est la dure loi du marché ! »

Je me rends compte que l’art du trading à domicile consiste en réalité en une seule technique, le scalping. Cette méthode consiste à « entrer et sortir » du marché le plus rapidement possible, acheter par exemple du DAX à 138,42 pour le revendre deux minutes plus tard à 138,44. Alors oui, les revenus sont minimes, mais « si vous faites ça de 8h à 22h », comme préconisé par le commentateur, « il est tout à fait possible de devenir riche ».

Les traders ont 1h30 pour faire la différence et pratiquent donc tous le scalping, méthode foncièrement déprimante puisqu'elle revient à niquer le système dans ses interstices. Difficile de faire plus anti-spectaculaire que ce truc. On dirait un jeu de stratégie sportive, type Guy Roux Manager. Les mecs sont toujours en action face à des courbes, des signaux, et rien ne change, jamais. C’est un truc de hardcore gamer qui loote et qui farme des heures durant, sauf que c’est en plus de ça complètement cynique – il s’agit, je le rappelle, de gagner de très petites sommes le plus lentement possible.

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Au bout de 45 minutes pourtant, je suis étonné de me prendre au jeu. Sachez-le, les traders italiens indépendants ne sont pas indépendants pour rien ; ils sont nazes et se font rouer de coups numériques côtés en bourse par les autres équipes. Les voyous de Become a Better Trader (BBT, bitch) accumulent des bénéfices supérieurs à 700, 800, 900, puis 1 000 euros. En une heure, c’est pas mal. J’applaudis des deux mains, emballé. À la fin de la partie – « Veuillez dorénavant fermer TOUTES VOS OPTIONS ! », rappelle le commentateur – les BBT sont devant.

Étrangement, un mec sapé en Celio (comme tous les autres participants) refuse de fermer ses options, au prétexte que « je suis à deux doigts de réaliser un beau coup. » Il est instantanément éliminé (et privé de demi-finale) mais n’en a rien à foutre. Il reste fixé à son ordinateur pour continuer son trading, devant un public médusé. « C’est tout à son honneur », renchérit le commentateur, gêné. À la fin de la partie, les huit équipes réunies ont réussi à générer la coquette somme de 50 000 euros. Le public, satisfait, fait une standing ovation de 15 secondes à ces traders à domicile confirmés.

Exemple de cafétéria en « real money »

En revenant vers la sortie, on passe devant une ultime conférence encore plus étrange que celle de ce matin. On entend des vannes incompréhensibles à propos de François Hollande (« loser ! »), la Grèce (« losers !») et La Petite maison dans la prairie comme symbole du CAC 40 ( « losers ! »). En jetant un œil à l’intérieur, j’aperçois Nicolas Chéron, présentateur finances sur BFM TV, s’animer devant la même proportion mecs/meufs que ce matin.

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Tout le monde a l’air lent, défoncé, on dirait une salle de cours un vendredi après-midi ; sur le tableau, je lis le thème de la rencontre : « Raisons pour lesquelles le CAC est aujourd’hui bullish ». Bullish, sérieux ? Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

Alors qu’on s’attarde une dernière fois sur quelques documents éparpillés sur une table – notamment la revue Le Revenu et son dossier « BIC : Les célèbres briquets peuvent-ils enflammer la Bourse ? » – je vois un énième vendeur de logiciels s’agiter à quelques pas. Celui-ci est en train de proposer un – surprise ! – programme à un acheteur potentiel, trader à domicile depuis peu, visiblement morose. « Il faut regarder les 80 vidéos du tutoriel avant de pouvoir commencer les échanges », lui dit-il. « Ça fera combien », demande le mec morose. « Pas grand-chose, comparé à ce que tu vas te faire – 450 euros. »

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