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Au fait, pourquoi tout le monde prend du Guronsan ?

Le journal le plus lu en Allemagne a accusé l'Équipe de France de tricher en se défonçant au médicament préféré des étudiants fatigués.
guronsan excès surdose

Nach #EM-Halbfinale: @SPORTBILD findet Aufputschmittel in #FRA-Kabine! #GERFRA https://t.co/4vuvJgdiID pic.twitter.com/VLRburf8QO
— SPORT BILD (@SPORTBILD) 13 juillet 2016

L'affaire était presque passée inaperçue. Du moins, le dramatique attentat du 14 juillet à Nice avait eu pour conséquence d'étouffer très rapidement la polémique. Quelques jours seulement après la défaite de l'équipe de France en finale de « son » Euro, le célèbre quotidien allemand Bild lâchait une bombe : les Bleus étaient dopés lors de la demi-finale contre l'Allemagne, remportée 2-0. Après un tel effet d'annonce, on s'attendait évidemment au pire. Les journalistes allemands avaient-ils trouvé le matériel nécessaire à des transfusions sanguines dans les vestiaires du stade Vélodrome ? Des seringues usagées ayant servi à des injections d'EPO ? Des restes de « pot belge » ? Non, rien de tout ça. Photo à l'appui, Bild précisait avoir retrouvé un tube vide de Guronsan. Et c'est tout.

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Loin d'être la grande affaire de dopage secouant le monde du football – que beaucoup attendent impatiemment – cette découverte semble bien être un coup d'épée dans l'eau. Tout d'abord, retrouver un emballage vide dans un vestiaire n'est pas vraiment une preuve suffisante pour accuser un joueur ou une équipe de tricherie. Qui n'a jamais laissé traîner sa boîte de Doliprane dans la salle de bains de sa meuf, hein ?

Ensuite, le Guronsan, disponible sans ordonnance chez votre pharmacien de quartier, n'est qu'un médicament antiasthénique. Pour résumer, on parle d'un produit capable de booster un individu en supprimant partiellement le sentiment de fatigue – des effets comparables à n'importe quelle vitamine effervescente. Mais alors, pourquoi Bild a-t-il autant insisté sur un éventuel dopage des joueurs de l'Équipe de France ? Sans doute parce que le Guronsan a, depuis de longues années, une réputation assez sulfureuse dans le monde du sport.

L'esport doit lui aussi faire face au dopage

De 1982 à 2004, le Guronsan était inscrit sur la longue liste des produits interdits par l'Agence Mondiale Antidopage (AMA). C'est seulement en 2004 que la caféine – présente dans le Guronsan – a été retirée de cette liste rouge, ce qui a eu pour conséquence de rendre légale la consommation de ce médicament dans un cadre professionnel. Le docteur Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport et spécialiste du dopage, affirme sur son site personnel que le Guronsan a été retiré de cette liste « non en raison de son inefficacité sur la performance mais parce que le sponsor n° 1 du sport mondial s'appelle… Coca-Cola (la boisson contient de la caféine). » S'il est impossible de prouver une telle assertion, certains détails en disent long sur les vertus du Guronsan quand on est un sportif de haut niveau.

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Ainsi, en étudiant précisément la notice récente des comprimés, on peut y lire cette indication : « L'attention des sportifs est attirée sur le fait que cette spécialité contient un principe actif (la caféine) pouvant induire une réaction positive lors des contrôles antidopage. » On est donc dans une situation clairement foireuse, avec un produit n'étant plus considéré comme dopant mais pouvant toujours engendrer un contrôle positif.

« Aujourd'hui, chez les amateurs, c'est tout simple, au départ on vous fait prendre des vitamines telles que le "Guronsan", puis après des anabolisants puis l'entraîneur vous dit peu à peu que la piqûre est plus efficace. » –Docteur De Mondenard

Dans le cadre de son « enquête », Bild a interrogé le professeur Fritz Sörgel qui, lui, ne prend pas de pincettes quand il s'exprime sur le sujet. Selon ses dires, « d'après le code antidopage de l'AMA, tout effort pour obtenir des avantages sur ses concurrents autres que par la puissance du corps est considéré comme du dopage. » Y aurait-il dans ces déclarations une once de mauvaise foi liée à la défaite de son pays au terme de cette rencontre ? Sans doute.

En revanche, le professeur Sörgel a raison sur un point essentiel : le Guronsan est un produit efficace quand il s'agit d'améliorer les performances lors d'un rendez-vous sportif. Dans le monde du sport amateur, le produit est largement répandu. Sous couvert d'anonymat, un ancien cycliste amateur de bon niveau évoque sa consommation de Guronsan : « J'en prenais souvent pendant les années 1980, c'était assez efficace ». Efficace, mais pas sans danger. « Un jour, j'en ai pris beaucoup – six comprimés, m'a-t-il confié. Je suis devenu tout gris. Aujourd'hui, je souffre d'ulcère. Je me demande si ce n'est pas à cause de ça. »

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Autre problème lié au Guronsan : selon certains, il peut être une porte d'entrée vers la consommation de produits dopants bien plus forts, souvent interdits et dangereux pour la santé. Comme l'expliquait le docteur De Mondenard dans les colonnes de Politis : « Aujourd'hui, chez les amateurs, c'est tout simple, au départ on vous fait prendre des vitamines telles que le "Guronsan", puis après des anabolisants puis l'entraîneur vous dit peu à peu que la piqûre est plus efficace. »

Près d'un étudiant en médecine sur trois consommerait des médicaments susceptibles d'améliorer l'attention, et ce afin d'obtenir de meilleurs résultats.

Il y a un an, le nom du Guronsan est apparu lors d'affaires sans rapport avec le sport. Comme le révélait l'hebdomadaire L'Express, près d'un étudiant en médecine sur trois consommerait des médicaments susceptibles d'améliorer l'attention, et ce afin d'obtenir de meilleurs résultats. Mais c'est dans une enquête du Figaro que le Guronsan refait clairement surface. Léa, jeune étudiante en sciences politiques, affirme la chose suivante : « En période d'examens, j'en prends tous les jours. C'est avant tout pour me rassurer. Mais tout le monde le fait ! » Il faut dire que le médicament a tout pour séduire l'étudiant lambda. Il n'est pas dangereux pour peu que l'on respecte les doses prescrites et est efficace. Que demander de plus quand on s'apprête à plancher pendant quatre heures sur le système bicaméral américain ?

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Sauf que là encore, à l'image de ce qu'il peut se passer dans le monde du sport amateur, la prise de médicaments considérés comme « courants » peut déboucher sur d'autres pratiques. Afin de lutter contre la fatigue, il n'est pas rare que certains étudiants se tournent ensuite vers des produits plus lourds comme le modafinil – une substance prescrite pour lutter contre les troubles du sommeil et la narcolepsie.

La Ritaline est également de plus en plus répandue. Réservée aux enfants atteints d'hyperactivité, elle améliore la concentration et supprime le sentiment de fatigue. À long terme, la prise de Ritaline laisse des traces, dont de possibles maladies cardiovasculaires et des risques d'hypertension. Enfin, afin d'améliorer leur rendement professionnel ou scolaire, certains se tournent vers les amphétamines.

On peut se demander pourquoi un produit dont un comprimé contient autant de caféine que 250 millilitres de Red Bull n'est pas soumis à un contrôle plus strict.

Ces agissements, de plus en plus répandus dans une société qui encourage l'efficacité et le sacrifice au nom de la réussite, pourraient sans doute être enrayés avec un poil de pédagogie et de prévention. Les étudiants, livrés à eux-mêmes en ce qui concerne les problèmes de santé, cherchent des réponses un peu partout. En fouillant sur Doctissimo, il n'est pas rare de tomber sur des threads créés par des jeunes en manque d'informations. Si, sur le site, une majorité d'internautes conseillent d'éviter le Guronsan, on peut tout de même se demander si ce vaste cloaque qu'est Internet est le meilleur endroit pour trouver des réponses à des questions qui mettent en jeu l'intégrité physique des jeunes.

Et, sinon, pour en revenir à Pogba, Griezmann et compagnie : non, la découverte d'un tube vide de Guronsan ne sera jamais une preuve suffisante pour accuser de dopage l'Équipe de France, quand bien même celle-ci consommerait effectivement ce médicament pour améliorer ses performances. Malgré tout, on peut s'interroger sur une chose : pourquoi un produit dont un comprimé contient autant de caféine que 250 millilitres de Red Bull n'est-il pas soumis à un contrôle plus strict ? À moins que l'industrie pharmaceutique n'ait quelque chose à voir avec cette bizarrerie…

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