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Avec ceux qui ne veulent pas retourner au Bataclan

Pourquoi certains refusent de célébrer la réouverture de la salle de concert où se sont déroulés les attentats de l'année dernière.
Paul Douard
Paris, FR

Il y a un an, 90 personnes mourraient au Bataclan lors d'un concert d' Eagles of Death Metal. Au total, ce sont 130 personnes qui ont été tuées cette nuit-là – et tout un pays marqué par une violence qui nous semblait soudainement trop proche. En avril dernier, le Bataclan annonçait sa réouverture avec un concert de Pete Doherty, initialement prévu le 16 novembre. Au départ, le choix de Pete Doherty comme lancement de cette seconde vie pour le Bataclan interpellait, tant l'artiste semblait être loin de ce qu'on peut communément appeler « un symbole ». Le chanteur des Libertines avait même écrit un titre sur les attentats, intitulé « Hell To Pay At The Gates Of Heaven », qui avait été largement critiqué lors de sa sortie. Finalement, le Bataclan a ouvert ses portes aujourd'hui, mais avec un concert du chanteur Sting. Un artiste « assurément plus rock engagé » que ne l'est Pete Doherty, comme le soulignait Télérama.

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Début octobre, les rescapés qui le souhaitaient ont pu retourner dans la salle du Bataclan pour y fouler de nouveau son plancher. « Je suis venu en espérant que ça me fasse du bien ainsi qu'à tous ceux qui m'entourent… qu'un moment comme ça appartienne vraiment au passé », témoignait récemment le journaliste Jean-Pierre Sabouret sur BFMTV. Mais tous ne veulent pas remettre les pieds dans une salle qui leur a fait connaître l'horreur. Sur la page Facebook du Bataclan, les commentaires concernant la réouverture du lieu penchent des deux côtés. Nombreux sont ceux qui voient cette seconde vie comme « un acte de résistance et de solidarité » et un « hommage à la vie et à la liberté ». D'autres clament leur joie et délivrent leurs pensées bienveillantes aux victimes, mais tous cherchent à tous prix à « participer à ce concert historique ». Malheureusement, l'aspect entertainment de l'évènement semble inconsciemment prendre le dessus sur un certain devoir de mémoire qu'il faut bien évidemment garder à l'esprit. Attention – je ne dis pas que les gens devraient tous rester chez eux, manger un cassoulet tiède et regarder Joséphine, Ange Gardien assis dans leur canapé But. Simplement, l'emballement autour de ce concert ne semble pas être uniquement du fait des rescapés, qui eux ne semblent pas tous aussi enthousiastes à l'idée de revenir sur place.

C'est le cas de Marc*, un Parisien de 26 ans qui était présent dans la salle il y a un an lors des attentats. Pour lui, impossible de revenir dans cette salle, pour l'instant : « Déjà lors de l'annonce la réouverture, je savais que je ne voulais pas y retourner. Je ne vais pas me forcer. J'ai pourtant de très bons souvenirs dans cette salle, mais impossible d'y retourner ou même de voir les EODM. J'associe forcément la salle et le groupe aux attentats. Ce n'est plus qu'un seul et même truc. » Marc, comme beaucoup de survivants du 13 novembre, souffre encore probablement de stress post-traumatique. Une notion évoquée par Sigmund Freud en 1894 sous le nom « d'effraction psychique » et qui aujourd'hui est régulièrement évoquée dans le cas des soldats revenant à une vie civile après plusieurs mois ou années à combattre. Dominique Szepielak, psychologue à Université Paris X expliquait récemment à The Conversation que « le syndrome psycho-traumatique se caractérise par une souffrance psychique intense, perturbante, pouvant remettre en cause l'équilibre d'un individu au niveau intime, mais aussi familial et social. La violence de l'impact est telle que pour beaucoup, il y a une dimension indicible, difficile voire impossible à partager avec un tiers. » Marc par exemple, est incapable de passer devant le Bataclan, quand bien même il habite dans le quartier depuis longtemps.

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Aujourd'hui on estime encore à 600 le nombre de victimes du Bataclan suivies pour des troubles psychologiques. Le 28 octobre dernier, une enquête épidémiologique lancée par l'organisme Santé Publique de France – dont le but était de mesurer les effets post-traumatiques des attentats sur la population – a pris fin. Plus de 800 personnes y ont participé, mais il faudra encore plusieurs mois avant d'en voir les résultats. Marc n'est pas pour autant bloqué chez lui à attendre que sa vie défile, mais son blocage psychologique se produit logiquement dès qu'il se retrouve dans une situation semblable à celle du Bataclan, tel un ancien soldat lors d'un feu d'artifice : « Je retourne à des concerts depuis le 13 novembre, mais pas au Bataclan. Sting ou Pete Doherty, je m'en fous à vrai dire. Ce qui me fera chier, c'est quand il y aura des artistes immanquables qui y joueront. C'est arrivé au Trianon ou à la Cigale récemment, mais je n'ai pas pu y aller. Ces salles sont trop proches du Bataclan au niveau de leur configuration. J'ai pu voir The Kills à l'Olympia, mais en balcon uniquement. Retourner dans la fosse est trop difficile pour moi. »

Cet aspect historique de l'événement avait déjà attiré beaucoup de curieux lors du concert des Eagles of Death Metal à l'Olympia, trois mois après les évènements du Bataclan. Marine, présente ce soir là, avait répondu à l'un de nos journalistes : « Je n'étais pas présente le 13 novembre, mais j'ai senti que je me devais d'être ici ce soir, afin de manifester mon soutien. Je suis consciente que certains m'accuseront d'avoir "volé" une place à un vrai fan, mais je m'en fous », ou encore Jeff : « Je suis venu ce soir parce que je sentais que c'était mon devoir. » Marc était lui aussi du concert à l'Olympia, « un mélange très particulier de rescapés et de personnes présentes par conviction » me dit-il. Il est probable que ce concert de Sting, et les quelques-uns qui suivront attireront des fans de sensations plus que des amateurs de musique. Peut-on leur en vouloir ? Pas vraiment. Après tout, on ne peut pas reprocher aux gens d'apporter leur soutien, aussi maladroit puisse-il paraître. « J'ai l'impression qu'il y a des gens très critiques là-dessus, pourtant le Bataclan est victime comme les autres. C'est une salle de concert, c'est un business et des gens y travaillent donc il est normal que ça ouvre. Après, ça n'engage que moi, mais je ne me sens pas concerné par l'aspect symbolique de la réouverture », affirme Marc.

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Pour les autres, ceux qui n'étaient pas présent le 13 novembre, il s'agit surtout de ne pas ressentir cette peine ambiante, de la laisser où elle se trouve et de l'enterrer définitivement. Comme pour Mélodie, une trentenaire habituée du Bataclan avec qui j'ai pu discuter : « Je ne pense pas que je retournerai un jour au Bataclan, même si j'ai dû y aller des dizaines de fois avant. Le sentiment que je ressentirai à l'intérieur, la violence de ce qu'il s'est passé, ce serait trop. Je suis sûre que même s'ils ont fait des travaux et ont tout refait, je sentirai la peur, la mort et l'effroi planer dans cette salle. On ne peut pas s'empêcher d'imaginer tous les corps inanimés des gens à l'intérieur ». Même son de cloche pour Cécilia, 28 ans : « Je ne me verrais pas danser là où beaucoup d'autres sont morts ou ont vécu le drame de leur vie ».

Les profits réalisés par ce concert seront intégralement reversés aux associations « Life for Paris» et « 13 novembre : Fraternité – Vérité » qui regroupent les rescapés des attentats de Paris et de Saint-Denis – une initiative qui ne peut être que saluée. De son côté, Marc changera peut être d'avis si l'un de ses groupes préféré passe au Bataclan : « Si My Bloody Valentine repasse, je me poserai des questions. Mais ce sera très dur. »

*Le prénom a été modifié à la demande de la personne.

Photo : Étienne Rouillon/VICE News

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