Avec les danseuses du Pigalle d'avant

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LE NUMÉRO VERS NULLE PART

Avec les danseuses du Pigalle d'avant

Filles à poil et voyeurs fauchés : ce qu'il se passait derrière les devantures du Boulevard de Clichy.

Cet article est extrait du numéro « Vers nulle part » de VICE

J'ai accompagné Lolo Pigalle pendant plusieurs semaines durant le mois de septembre 1979. À l'époque, c'était déjà la plus ancienne strip-teaseuse du quartier parisien de Pigalle – elle est aujourd'hui disparue. J'ai écrit un petit texte en introduction du livre qui raconte tout ce dont je me souviens à son propos. Pour faire bref, c'est à travers le mouvement féministe que j'ai contacté Lolo. C'était une femme fine et intelligente qui aspirait à la culture. Elle avait une image dans le quartier : elle était très respectée, c'était un passeport à 100 %. Lorsque je venais dans les clubs avec Lolo, je devenais intouchable. Je pouvais entrer partout. Ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais rien.

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Le quartier dégageait déjà une ambiance glauque, triste, comme le sont tous ces endroits. Je n'y allais pas personnellement. J'étais un photographe, il s'agissait d'un sujet à documenter – après un autre et avant le suivant. Les sex-shops du coin, j'y avais fait un tour comme tout le monde. Les peep-shows, j'ai dû en visiter un ou deux, pour voir. Les prostituées, bof… ça m'est arrivé.

Quant à me rendre en boîte, je n'en avais pas – et n'en ai toujours pas – les moyens. Lorsque j'ai bossé sur Pigalle avec Lolo cette année-là, j'ai compris que les mecs acceptaient de se faire plumer, en plein milieu de l'après-midi, en échange de quelques caresses et d'un strip-tease. J'ai toujours du mal à comprendre leur démarche.

À cette époque, on y rencontrait des étrangers en goguette, des voyous qui venaient de faire un casse – c'est d'ailleurs comme ça qu'ils se font souvent prendre, parce que les flics placent leurs indics dans ce genre d'endroits. C'était pas très classe. La révolution sexuelle n'est pas passée par là. Il y avait des bars plus distingués quand même, dans le quartier des Champs-Élysées notamment. Des vedettes de cinéma et des patrons y claquaient – et y claquent encore – des milliers de francs tous les soirs.

Lorsque mes parents sont arrivés de Tunisie au début des années 1970, ils ont d'abord emménagé à Barbès-Rochechouart, pas loin de Pigalle. Je n'habitais pas avec eux mais je leur rendais souvent visite et je me promenais beaucoup dans le quartier, sur la butte Montmartre surtout. La spéculation immobilière a marqué certains endroits. Aujourd'hui, il n'y a plus de prostituées qui racolent à la porte des hôtels du 18e arrondissement. C'est surtout ça qui a changé. Ces rues où l'on croisait des femmes appuyées contre le mur ou qui déambulaient en talons aiguilles, à demi-nues, ont disparu.

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Ce que j'ai trouvé en documentant ces endroits, c'est un monde sinistre. Celui de la misère sexuelle et de l'exploitation des femmes. Il y avait peut-être un autre visage plus glamour du quartier en ce temps-là, mais je ne le connaissais pas. Les filles-stars du quartier finissaient toujours par se retrouver gérantes d'une boîte, tandis que les jolies filles finissaient par séduire un patron – et devenaient maquerelles. Il y avait aussi des bars à la mode et d'autres où l'on venait seulement pour tripoter une fille que l'on avait rencontrée dans la soirée. Je laisse libre cours à votre imagination.

Pigalle a vécu ses belles années entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Je suis arrivé après.
Il n'y a rien à regretter, parce que le regret est un sentiment absurde.

Le livre Eros Pigalle de Gilles Elie Cohen est édité aux éditions Serious Publishing.