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Sport

Avec les guerrières du Platinium

Deux fois par semaine à Paris, les combattantes du championnat de MMA féminin se retrouvent pour parler manucures et clés de bras.

Les filles prennent la pose au Platinium. Toutes les photos sont d'Aladine Zaiane

Un jeudi soir comme un autre, la combattante Saori claque la bise à son amie Huguette. Vêtue d'un leggin rose et d'une paire de tong surmontée d'une coccinelle, elle papote avec les autres MMA girls. Je me trouve au Platinium, une salle dédiée exclusivement aux sports de combats située à proximité de la bibliothèque François Mitterrand, à Paris.

Ouverte depuis deux ans, la section féminine de Mixed Martial Arts (MMA) permet à différents profils de femmes de s'initier à cet art du combat qui regroupe boxe pieds-poings et plusieurs variantes de luttes. « C'est mon copain qui m'a emmené ici. Au départ je ne me sentais pas vraiment capable. Avoir fait de la danse m'a aidé à m'initier au MMA ; ça m'a beaucoup servi pour retenir les déplacements et pour la stabilité au sol », raconte Saori, chef de projet dans le secteur informatique dans la vie de tous les jours. « Allez les boxeurs ! On dégage ! » Loïc, l'autre coach du club, sonne la fin du cours précédent. Les MMA girls entrent sur le tatami. Roulement de claquettes.

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Tevi Say supervise ses élèves

La coach Tévi Say, 37 ans, est l'une des premières athlètes féminines de MMA en France. « Adolescente, je n'étais pas du tout sportive. Puis en 2000, après avoir participé à quelques cours du Kung-Fu, une copine m'a emmené à un entraînement de ce qu'on appelle aujourd'hui le "MMA". » À cette époque la discipline débutait sa marche en avant vers une plus grande réglementation ; elle intronisait les notions traditionnelles des sports de combat telles que les limites de temps, la division des championnats selon différentes catégories de poids, ou plusieurs tests antidopage. Les combats de l'Ultimate Fighting Championship (UFC, fondée en 1993), la plus grande compétition de MMA, étaient alors réputés pour leur extrême violence. La plupart des combats finissaient dans des lacs de sang façon Streets of Rage. « Le cours de Loïc auquel j'ai assisté m'a montré une autre facette du MMA. Ils étaient plus axés sur le travail au sol et les techniques de soumission – clés de bras, etc. Ensemble, on a formé un petit noyau d'athlètes. On s'entraînait presque tous les jours, déterminés », raconte Tévi.

Sur les tatamis, le groupe de filles prend possession des lieux. Échauffement au sol, tonification. Peu à peu, les visages angéliques laissent place à des rictus qui transpirent l'envie de se latter. C'est une arène de gladiatrices. Les filles ne se font pas de cadeau : diverses variétés d'étranglements, clés de bras et plaquage sont de mise. Tévi Say doit intervenir pour tempérer la fougue d'une des filles : « Non il ne faut pas que les corps craquent ! » Samia, débardeur Superman en guise de tenue d'entraînement, enroule de tous ses membres sa camarade pour la soumettre par une clé de bras. « Time ! » – c'est la fin du round de trois minutes. Une minute de pause avant la reprise. Les corps se relâchent. Les filles vérifient au passage leur manucure. D'autres discutent fond de teint et autres mascaras. Encore quelques secondes de pause. « Je cherchais un lieu et une discipline pour me défouler. Avec son regroupement de plusieurs arts martiaux, les MMA girls correspondaient à ce que je cherchais » explique Samia, 26 ans et consultante en télécommunications. « Surtout, je n'avais pas envie de me retrouver dans un club où je serais la seule fille. »

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Saori en plein échauffement

Tévi, dont le poids n'excède pas la cinquantaine de kilos, s'est souvent entraînée avec des gladiateurs en puissance qui faisaient parfois le double de son poids. « J'étais la seule fille à chaque fois. Les entraînements étaient faussés car mes camarades étaient plus forts que moi physiquement. Qu'ils retiennent leur force ou qu'ils y aillent à fond je ne pouvais pas réellement me jauger », soupire-t-elle.

En 2005, après plusieurs années de pratique régulière en France, Tévi a choisi de s'exiler. Frustrée par les mois d'entraînement et les nombreuses promesses de combats amateur sans lendemain, elle a quitté la France pour devenir combattante professionnelle au Japon.

Là-bas, le MMA féminin est professionnel depuis 1997, date de création du Pride FC, l'autre grosse organisation mondiale, disparue en 2007. « Je ne cherchais ni la gloire, ni l'argent. Je savais que j'étais forte mais je voulais savoir ce que je valais face à de vraies professionnelles. » Elle est restée un an à Tokyo, en compagnie de ses professeurs Abe Hiroyuki et Megumi Fuji. Elle en garde le souvenir d'une longue et douloureuse année de préparation. « Au bout d'un an j'en ai eu marre. Mon dernier combat fut catastrophique. Au moment de monter sur le ring, j'étais déjà ailleurs. Je n'avais qu'une envie : en finir rapidement et rentrer. » Son dernier combat au Japon s'est conclu par une défaite.

Aujourd'hui encore, lorsqu'on est une femme, combattre en MMA est une épreuve au quotidien. Il faut s'entraîner en permanence, ne jamais perdre sa motivation, et ce sans participer au moindre combat pendant parfois un an. Cela s'explique par l'impossibilité de combattre en France, à cause du statut juridique flou du MMA dans le pays. Cela impacte directement sur l'attractivité des athlètes françaises pour les compétitions à l'étranger. De fait, de nombreuses athlètes françaises se retrouvent aujourd'hui dans cette situation de grande précarité.

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Parmi les MMA girls que j'ai rencontrées dans le groupe de Tévi Say, certaines souhaitaient également faire de la compétition. Cet engouement est assez récent. Leila Sekaf, championne de France dans la catégorie « moins de 46 kg » en 2009 et membre de l'équipe de France de 2009 à 2013, s'est lancée dans le MMA sur le tard, à l'âge de 32 ans.

Le 21 février dernier, Leila a participé en Espagne à son premier combat en MMA face à une combattante ibérique plus expérimentée. « J'ai perdu ce premier combat. Mais bon, je n'ai pas pu faire grand-chose ; elle m'a eue sur ma faiblesse, le sol », raconte Leila. « Je ne sais pas quand aura lieu son nouveau combat. Nous allons lancer des propositions, mais ça peut être dans trois mois comme dans huit. C'est très compliqué malheureusement », explique Loïc.

Il semblerait que l'extrême précarité des MMA Girls professionnelles n'ait pas tant changé que ça depuis l'époque où Tévi Say s'est lancée dans la discipline. En attendant d'y voir plus clair, Leila va pour sa part s'adonner à une autre de ses passions : elle participera à un concours de fitness d'ici quelques semaines, au mois d'avril.

Dernièrement, une nouvelle d'envergure a été annoncée : la signature dans l'autre grande compétition de MMA, le Bellator, de la combattante Franco-Malgache Iony Razafiarison. Nul doute que sa présence ouvrira des portes aux Françaises, comme cela fut le cas chez les hommes il y a dix ans. Pour l'heure, ça se passe tous les mardis à 20 heures et les jeudis à 19h15, au Platinium.

Aladine est sur Twitter