Avoir un enfant peut vous rendre complètement cinglée

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Avoir un enfant peut vous rendre complètement cinglée

Chaque année, des millions de femmes sont touchées par les maladies mentales périnatales.

Ça a démarré doucement, sans crier gare, alors que mon fils Evan était âgé de quelques semaines. Je m'inquiétais tout le temps pour sa santé, quitte à passer des heures penchée près de son torse pour sentir son cœur battre. Je faisais toujours le même cauchemar. Je revivais les longues minutes passées en salle de césarienne, à attendre que les docteurs me disent si, oui ou non, mon bébé avait survécu. Ils ne me répondaient par l'affirmative qu'après trois interminables minutes – minutes qui m'ont marquée à tout jamais. Je me réveillais en sursaut : ce cauchemar était d'une réalité confondante.

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Quelques mois après la naissance d'Evan, cette peur a commencé à m'envahir durant la journée. J'étais anxieuse et j'avais la nausée. Une infirmière m'a conseillée de rejoindre un groupe de soutien psychologique afin d'évoquer mon traumatisme. Le problème, c'est qu'il y avait quatre mois d'attente, et je ne pouvais pas attendre quatre mois. J'ai fini par appeler un psychiatre, qui n'a jamais daigné me répondre. Je me suis réfugiée en larmes chez mon médecin généraliste. Il m'a prescrit des anti-dépresseurs tout en niant l'importance que pourraient avoir « des groupes de parole » dans mon cas.

Quatre mois après mon premier appel à l'aide, j'ai eu la chance d'intégrer un groupe de soutien situé près de chez moi. Six mois ont passé et me voici, en train d'écrire ces lignes, complètement changée. Mon fils est en parfaite santé, tout comme moi. Malgré ce tableau idyllique, je n'oublie pas que j'ai dû me battre pour que quelqu'un me vienne en aide. J'étais victime d'une dépression périnatale – d'un baby blues, si vous voulez. Les gens ont l'air de penser qu'il s'agit d'une chose bénigne. C'est complètement faux.

Les maladies mentales périnatales affectent les parents depuis la conception du bébé jusqu'à son premier anniversaire. Elles sont très communes et vont de la petite déprime passagère aux phénomènes de dépression et d'anxiété aggravée. Dans certains cas très graves, la mère peut être victime d'hallucinations. Les chercheurs s'accordent sur le fait qu'au moins une femme sur dix est touchée par une maladie mentale périnatale au cours de son existence. Si aucune enquête française ne s'est encore penchée sur le sujet, une étude britannique souligne que près de 300 000 femmes sont touchées par ces maladies chaque année dans le pays. On peut imaginer qu'il en va de même en France.

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À ces chiffres impressionnants s'ajoute le problème des centres de soin – trop peu nombreux. En effet, près d'une malade sur deux ne peut accéder à de telles institutions. Quant aux plus « chanceuses », elles doivent se satisfaire de centre de soins très éloignés des standards sanitaires exigés par le ministère de la Santé britannique.

« Un nombre incroyable de personnes est affecté », m'a confirmé Sam Challis, membre de l'association Mind. Alors, pourquoi y'a-t-il si peu d'accompagnement ? « Le problème réside dans la façon dont on considère une grossesse. Pour de nombreuses personnes, la grossesse est une simple transition physique pour la mère. L'aspect psychologique est complètement laissé de côté. Ça doit changer, et vite. » Il a ajouté : « Il devrait y avoir une infirmière en psychiatrie dans chaque maternité et les pédiatres devraient être mieux formés. Un bilan de la santé mentale de la mère devrait être effectué séparément du simple contrôle accompli par le médecin après un accouchement. »

Les chercheurs s'accordent sur le fait qu'au moins une femme sur dix est affectée par une maladie mentale périnatale au cours de son existence.

Au-delà de cette faille du système de santé, il ne faut pas oublier qu'il est très difficile pour une mère d'admettre sa maladie au sein d'une maternité, sans doute par peur d'être considérée par les membres du corps médical comme étant incapable de s'occuper d'un nouveau-né. De plus, notre société actuelle véhicule l'image d'une parentalité remplie d'amour et de moments inoubliables, en laissant de côté l'absence de sommeil - qui peut s'apparenter à de la torture - ainsi que le poids des nouvelles responsabilités. Personnellement, je me souviens que la fatigue accumulée me laissait dans un état d'apathie extrême.

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Parfois, des exemples dramatiques de maladie mentale périnatale sont rapportés par les médias. Charlotte Bevan, une mère de famille de Bristol, est devenue tristement célèbre en se jetant du haut d'une falaise avec sa fille Zaani, âgée de trois jours. « Ces cas sont très rares, précise Sam Challis. Mais ça influence profondément les mères, qui se persuadent que ça peut leur arriver. » Quitte à oublier l'essentiel : Charlotte Bevan était schizophrène bien avant la naissance de sa fille et était régulièrement suivie par une équipe médicale. Si l'enquête est toujours en cours, tout porte à croire que le système de santé britannique va être mis en cause.

Des initiatives prises par des associations tentent de pallier aux dysfonctionnements de l'État. L'une d'entre elles se nomme Two in Mind, un projet local qui s'évertue à fournir de l'aide aux femmes galloises qui ne bénéficient d'aucun soutien médical – on estime qu'elles représentent 70% de la population féminine du pays de Galles. Le site internet de l'association propose des thérapies cognitivo-comportementales gratuites pour des familles confrontées à l'arrivée d'un enfant. De nombreux parents sont appelés à témoigner via des vidéos afin de parler de leurs propres expériences. Sara raconte comment elle a fait face à une fausse couche puis à la rupture de son utérus durant une césarienne. Après ça, elle se sentait sans vie, « vide » selon ses propres mots, et n'avait aucune tendresse à l'égard de son bébé. De son côté, Lucy s'est enfermée chez elle après l'arrivée de son enfant, abasourdie par l'ampleur de la tâche. Les exemples ne manquent pas.

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Jenny Burns, membre de Two in Mind, m'a expliqué que l'association propose des conseils aux femmes qui s'inquiètent de l'impact d'un bébé sur leur vie. De nombreuses ressources sont disponibles en ligne et permettent à tout le monde de se renseigner sur les processus permettant de mieux accepter l'arrivée d'un bambin. De plus, des professionnels peuvent obtenir des informations sur ce sujet encore tabou via le site de l'association.

Au-delà de cette satisfaction bien compréhensible, Jenny évoque une victoire plus personnelle. Elle a été témoin du parcours d'une jeune mère adolescente, écrasée par le stress et le manque d'estime de soi, qui s'est finalement portée volontaire pour faire partie du projet de Two in Mind. « Au cours de l'année écoulée, elle a mûri de manière incroyable. Elle a désormais totalement confiance en elle et en sa capacité d'être une "bonne" mère. Aujourd'hui, elle veut même devenir thérapeute ! C'est remarquable. »

En octobre dernier, une étude de l'ASMM menée en association avec la London School of Economics a révélé que le coût de ces maladies pour la société s'élève à plus de 11 milliards d'euros.

Si de nombreuses associations locales viennent en aide aux patientes, une coalition nationale semble jouer un rôle de plus en plus important outre-Manche. L'Alliance pour la Santé Mentale desMères [ASMM], qui réunit des professionnels, des associations et des organisations de patientes, a lancé en juillet dernier un projet intitulé Everyone's Business. En effet, la problématique des maladies mentales périnatales devrait concerner l'ensemble de la société et ne pas être cantonnée aux simples mères de famille. En octobre dernier, une étude de l'ASMM menée en association avec la London School of Economics a d'ailleurs révélé que le coût de ces maladies pour la société s'élève à plus de 11 milliards d'euros.

« De nombreuses causes sont toujours à défendre en 2015 », m'a expliqué Maria Bavetta, en charge de la communication chez l'ASMM. « C'est pour ça que nous devons utiliser des données statistiques mais aussi des témoignages. Nous devons faire appel à l'émotion et à la raison. » De nombreux récits sont disponibles sur le site de l'ASMM, notamment celui – tragique – de Joe, qui s'est suicidée quelques mois après la naissance de sa fille. Joe avait fait de nombreuses fausses couches par le passé. Sa dépression n'avait jamais été considérée sérieusement par les services de santé. On pourrait également citer l'exemple de Sally, qui s'en est mieux tirée après avoir contacté d'elle-même l'association. « Quand vous vous cassez le bras, vous allez à l'hôpital pour vous faire soigner, m'explique-t-elle. Mais quand vous avez un problème psychologique, vous n'avez pas cette "chance". » Ce sentiment, Sally n'est pas la seule à l'avoir ressenti. Il en a été de même pour moi.

Depuis juillet dernier, l'ASMM collabore avec le ministère de la Santé britannique et l'association des médecins généralistes de Grande-Bretagne. Ces derniers ont déclaré que les maladies mentales périnatales seraient une de leurs priorités en 2015. De son côté, le chancelier de l'Échiquier – le ministre britannique des Finances – George Osborne vient d'annoncer qu'une enveloppe de plus de 100 millions d'euros sera consacrée au soutien des victimes de troubles psychologiques périnataux. Les esprits les plus cyniques y verront un signe que les élections approchent et que l'électorat des ménagères est indispensable pour maintenir les conservateurs au pouvoir.

« Osborne en a parlé récemment dans l'un de ses discours », se félicite Maria Bavetta. « Il est important de parler publiquement de ces problèmes-là. Ça permet de les normaliser. » Maria a ensuite ajouté une chose essentielle : « On doit dire aux femmes qu'il n'y a aucun souci si elles sont touchées par ces symptômes. Elles doivent en parler librement. Elle peuvent être aidées – et, surtout, elles doivent savoir où solliciter de l'aide. »

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