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Vice Blog

BELGIQUE - CHARLEROI EST LA VILLE LA PLUS LAIDE DU MONDE

Très alternative la Belgique : entre Bruxelles, capitale de lʼEurope, et Anvers, capitale des diamants, il y a la guerre intestine Wallonie contre Flandres, deux peuples aux racines et cultures bien distinctes qui ont récemment eu du mal à cohabiter, privant le pays dʼun gouvernement stable depuis 2007. Dʼailleurs en Belgique, il y a un Roi, mais cʼest le Roi des belges, pas le Roi de la Belgique. Alors quand les belges préfèrent être wallons ou flamands, on ne sait jamais vraiment.

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Charleroi se trouve en pleine Wallonie, à environ 30 minutes au sud de Bruxelles et du Parlement Européen. Alors, terre dʼaffrontement entre flamands et wallons ou simple objet de quolibets ? Le passé de la ville est plutôt tumultueux, au XVIIème siècle espagnols et français sʼaffrontent pour annexer la région, lʼAutriche en prend le contrôle à deux reprises, et puis les guerres napoléoniennes aux Pays-Bas y apportent une seconde période de trouble (Waterloo, cʼest à côté).

Économiquement, Charleroi est synonyme de charbon, sidérurgie et verre, ce que l'on appelait jusqu'à l'avènement de Pompidou, « l'industrie lourde ». Comprendre : tout roule jusquʼen 1960, puis cʼest le déclin. Les usines qui marquent le paysage sont là pour le prouver, quʼelles soient ou non en activité. Alors que Charleroi fut la deuxième ville la plus riche du royaume, elle est aujourdʼhui une banlieue dortoir de Bruxelles et accuse 25% de chômage.

La visite de Charleroi Adventure commence tôt le matin, par lʼarrivée des premiers «touristes». Ils sont une petite dizaine ce matin, flamands, wallons, parisiens et même irlandais, entre 20 et 60 ans, impatients de découvrir la fameuse cité et dʼentendre un de ses habitants en parler sans langue de bois. Ils ne vont pas être déçus par la rencontre avec Nicolas, qui avoue avoir organisé cette opération avant tout pour faire parler de lui. Liv, son acolyte, est obsédée par les photos dʼusines et dʼimmeubles laids et a trouvé en Charleroi le vecteur parfait de son sens de lʼesthétique.

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La gare SNCF, desservie par certains Thalys depuis Paris, est en travaux. Le terminus des bus à juste à côté est désert. Devant nous coule la Sambre, dans laquelle la mère de Magritte sʼest jetée un soir de 1912. Elle a été retrouvée en train de dériver quelques jours plus tard, le visage caché par sa chemise de nuit. Pour se changer les idées, on fait un tour de périphérique, le ring, qui ne tourne autour de la ville que dans un sens.

Charleroi, cʼest moche. De la brique, des immeubles plus que vétustes rappelant le pire de l'architecture des années 1980. Et cʼest vide aussi, les routes, les rues, dur à croire un samedi aux alentours de midi. Cʼest lʼoccasion dʼune première photo souvenir, devant la maison du « bourgmestre », le maire. Tout le monde pose le sourire aux lèvres, brandissant son t-shirt Ik hou van Charleroi, « I love Charleroi » en Néerlandais, petit pied-de-nez aux électeurs de la ville la plus laide du monde. Dʼailleurs, se balader en ville avec ce t-shirt nʼest pas une sinécure : les passants nous regardent de travers, ils ont entendu parler du safari dans les médias locaux et ne voient pas dʼun très bon oeil que lʼon appuie là où ça fait mal. LʼOffice de Tourisme en particulier, qui met des bâtons dans les roues de Nicolas et discrédite son initiative. À croire que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, y compris lorsquʼil sʼagit de prouver quʼil est possible de faire parler dʼune ville jusquʼà lʼautre bout de la planète et dʼattirer 300 touristes. Ce qui est, habituellement, le travail dʼun Office de Tourisme.

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Le bourgmestre, lui, nʼest pas blanc comme neige selon Nicolas. Il faut dire que les différentes affaires de corruption révélées depuis 2005 ont quelque peu entaché certaines personnalités de lʼadministration communale. On comprend alors mieux lʼhistoire du métro.

Au rang des grands travaux inutiles, le projet du métro de Charleroi démarre en 1960. Durée estimée des travaux : 32 ans. Coût : 20 milliards de francs belges de lʼépoque, pour 69 stations réparties sur 52 kilomètres de lignes. Évidemment, tout ne va pas aussi bien se passer. Les premières sections sont mises en service 15 ans plus tard, mais les budgets ont été revus à la baisse. Le métro sera beaucoup plus petit, certains travaux ne démarreront jamais, dʼautres ne seront jamais achevés. Seulement un tiers des stations est desservi, pour un réseau moitié moins important, cinquante ans plus tard. Certaines stations sont complètement laissées à lʼabandon, transformées en squats, lieux de débauche et sans doute de soirées mémorables passées à refaire le monde.

On marche pendant une demie-heure sur des rails abandonnés, lʼherbe pousse gentiment  entre les traverses. Des feux de signalisation sont encore allumés, mais on nʼentendra aucune rame approcher. À la première station, aucun signe de vie. Le projet du métro date bien des années 1960, on s'en rend mieux compte lorsqu'on prête attention à la décoration. Ça avait lʼair sympa ce métro aérien… Et les toilettes sur le quai, encore une idée qui a mal vieilli.  Station suivante : les vitres sont cassées, il y a du plastique fondu un peu partout, des bouteilles de bière vides, des matelas jetés à la va-vite qui doivent sans doute servir de temps en temps. On descend les escalators à lʼarrêt pour explorer lʼétage inférieur. Il y a des cadavres dʼoiseaux sur les marches, des graffs partout ; étonnamment, aucune pièce de l'iconoclaste André.

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La petite histoire derrière tout ça, outre les caisses subitement vides, est celle du serpent qui se mord la queue : suite à lʼouverture du peu de lignes mises en service, de moins en moins de rames ont circulé, ce qui a découragé les usagers, provoquant une nouvelle restriction du nombre de rames, et ainsi de suite. Ici, on prend au moins ça avec humour : lʼopérateur téléphonique local, Belgacom, nʼhésite pas à se moquer du métro pour promouvoir ses services sur des affiches 4x3. Qui a dit que lʼhumour belge était nul ?

Pour prendre un peu de hauteur et se mettre au vert, rien de mieux que dʼescalader un « terril », un des énormes tas des déchets de la mine. Son sommet offre un point de vue imprenable sur les environs : dʼun côté les fameuses habitations en brique, des champs, une friterie, et de lʼautre, des aciéries désaffectées et la fameuse avenue « la plus dépressive du monde », soit un bon kilomètre bordé dʼusines, de squats dʼartistes, dʼune casse et de quelques habitations aux vitres brisées. Le charme post-industriel pour un photographe, cʼest du pain béni, mais jamais un photographe ne viendrait habiter ici. Les mines et les usines, cʼétait ça la fierté du coin : sidérurgie, verreries, produits chimiques, constructions électriques et la houille du Pays noir. Tout a depuis été abandonné.

La résidence dʼartistes dʼà côté, cʼest le Rockerill, une ancienne fonderie où sont organisés des concerts et des soirées. On y trouve de tout, des sculptures métalliques géantes aux formes animalières comme des vieux mannequins entassés. On sent la fièvre créatrice ; dʼailleurs, tout le monde en est à lʼapéro. Pour la scène contemporaine, je préfère le BPS22, bâtiment immense dʼapparence austère, qui expose des photographes aussi bien que les peintures fluorescentes de Jean-Luc Moerman. Et côté photographie, le musée de Charleroi est le plus grand dʼEurope. Visiblement, les espaces laissés en friche bénéficient aussi à la scène artistique locale, conséquence positive de la désindustrialisation.

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Pour la pause déjeuner, le restaurant cool du coin cʼest cet A310 dʼune compagnie africaine posé à côté du ring et transformé en bar-restaurant-club, lʼUS Air Café : on y mange, boit en fumant, danse la salsa, élit les miss maillot de bain du coin et dénude les chippendales locaux. Je me dis qu'assister à lʼune de ces fameuses soirées doit valoir le détour, assis sur lʼaile de lʼavion qui sert en fait de terrasse.

Même si elle figure dans la liste des étapes du safari Charleroi Adventure, la maison de Dutroux est rarement visitée par les participants. Cʼest surtout un bon moyen de faire parler du circuit, personne nʼignorant la portée de lʼaffaire. Après plusieurs détours par de petites rues, juste devant la voie ferrée, elle est là, recouverte depuis plusieurs années par une grande bâche représentant un enfant et son cerf-volant. Choix iconographique étrange. Alors que tout le reste mʼa gentiment fait sourire, la fête sʼarrête devant cette maison. La charge émotionnelle de lʼendroit est très forte, même si les gens autour de moi n'ont pas tous l'air de ressentir le même émoi.

Depuis le partage du comté de Flandre à la fin du XVIIIème siècle jusquʼà lʼépisode Magritte, puis la catastrophe minière du Bois du Cazier, et plus proche encore lʼaffaire Dutroux, on ne peut pas dire que Charleroi a vécu sous de bons auspices. Difficile dʼattirer des touristes dans ces conditions. Pourtant, en surfant sur cette vague de gris, Charleroi Adventure nous montre quʼavec des moyens presque inexistants il est possible dʼattirer lʼattention sur cette ville de Wallonie et dʼy recevoir effectivement des visiteurs. Ils pourraient même bénéficier prochainement dʼune structure permanente dédiée à leur désir d'aventure dans le plat pays.

TEXTE ET PHOTOS : ALEXIS ARRAGON