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Qui a honte d’être un négro, à part les nantis de Nairobi ?

De riches Kenyanes s’injectent des produits du marché noir pour se blanchir la peau.

Une des clientes de Rose avec la crème blanchissante sur le visage

Au milieu de diverses boîtes de produits cosmétiques colorés se tient une femme très maquillée, armée d’une aiguille et d’une seringue qu’elle remplit d’une crème rose. « Il faut en utiliser un tout petit peu, sinon vous risquez de devenir albinos. Cette crème est très forte », explique-t-elle à sa cliente en lui pinçant gentiment la peau.

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Rose est l'une des dizaines de blanchisseuses de peau qui opèrent autour de River Road, dans le centre de Nairobi, lieu réputé pour abriter des activités illégales : prostitution, marché noir et délits mineurs. On y trouve aussi, cachés, des salons de beauté comme celui de Rose, qui promettent à leurs clientes de pouvoir les faire paraître plus jeunes et plus claires de peau.

Ces salons se sont multipliés au cours de ces dernières années, et posent un véritable problème en terme de santé publique – notamment en raison de certaines crèmes qui y sont utilisées dont la teneur en mercure est dangereusement élevée. Plus récemment, des traitements plus extrêmes ont vu le jour et inquiètent les agences sanitaires.

D'après le docteur Pranav Pancholi, un dermatologue kenyan formé à Harvard, ces injections blanchissantes ont vu leur popularité croître au cours des 18 derniers mois. Il explique que ce phénomène est encore trop récent pour qu'on puisse en déterminer les conséquences sur le long terme.

« Les produits utilisés ne sont pas approuvés par les professionnels. Le marché de ces crèmes et injections n'est absolument pas régulé. Nous n'avons aucun moyen de dire à quel point elles peuvent être dangereuses pour la santé ».

Rose fait une injection de crème blanchissante à Mercy, une cliente

À River Road, les blanchisseuses attendent sur des tabourets devant leur boutique et proposent leurs services aux passants. Les salons de beauté les plus délabrés comportent des pancartes peintes à la main, et se trouvent coincés entre des bars sordides, des boutiques de DVD et des bordels. Les endroits les plus réputés sont dotés de grandes vitrines et d’enseignes néons.

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Les salons sont tous tenus par des femmes. Elles savent se faire convaincantes, et proposent à voix basse aux femmes de passage d’entrer dans leur boutique.

Quand je suis venu à River Road la première fois et que j'ai demandé si je pouvais prendre quelques photos, ces femmes m'ont harcelé pour savoir ce que je venais faire ici. Elles ont même fini par me pousser dans un des salons pour pouvoir m'y interroger. Elles m'ont réclamé 500 dollars en échange de quelques anecdotes, et elles m’ont viré sans ménagement lorsque j’ai eu le malheur de refuser.

Le blanchiment de la peau est un sujet sensible dans un pays aussi conservateur que le Kenya, et ces salons sont illégaux. S'ils peuvent survivre, c'est en grande partie grâce à la corruption ; et si une des blanchisseuses venait à avoir des ennuis, elle devrait sans doute payer une lourde somme pour pouvoir échapper à la prison.

Rose me montre son coude, seul endroit de son corps où l'on peut voir sa couleur d’origine

Rose est différente de la plupart de ces femmes. Elle a de l'assurance, mais elle est beaucoup moins agressive. Elle est fière de sa boutique, et elle se fait un plaisir de me la faire visiter sans me demander quoi que ce soit en retour. Sous son maquillage, elle a une peau relativement claire qu'elle doit à cinq années de traitement continu. Seuls ses coudes et ses phalanges présentent encore des taches sombres qui rappellent sa couleur d’origine.

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Dans un premier temps, elle a nié être fournisseuse de traitements pour le blanchiment de la peau. Mais après une heure passée à discuter, elle m'a finalement avoué qu'elle proposait effectivement des injections et a accepté de me montrer comment le traitement fonctionnait.

« Les injections agissent à l'intérieur. C'est la méthode la plus propre. Si on souhaite une couleur homogène et des résultats rapides, c'est bien plus efficace que la crème ».

L'injection coûte cher : 70 dollars, soit presque un mois de salaire pour de nombreux Kenyans. « La plupart de mes clients sont riches, et il y en a même qui sont célèbres », m’a expliqué Rose. « Il y a beaucoup de Somaliens et d'Indiens. Mais ceux-là ne se déplacent pas jusqu'ici. Ils envoient quelqu'un avec une photo de leur peau, et je leur envoie les produits dont ils ont besoin ».

Rose me dit en riant : « Certaines filles, quand elles rentrent dans leur village, racontent que l'eau à Nairobi les a rendues plus claires. Il y a souvent une grande honte à avouer qu'on souhaite changer ce que Dieu nous a donné ».

La boutique de Rose fait partie des boutiques les plus délabrées. Dans une pièce minuscule, Rose me montre fièrement son livre de comptes, qui déborde de noms et de chiffres. Elle me présente une cliente qui attend pour sa toute première injection, une femme d'une vingtaine d'années qui n'a pas souhaité me donner son nom ; je l'appellerais donc Mercy. Mercy m'explique qu'elle vit tout près de River Road et qu'elle vend elle-même des crèmes blanchissantes.

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Elle est impatiente de commencer son traitement. Pendant que Rose part acheter une seringue chez un pharmacien du quartier, elle m'explique qu'elle utilise des crèmes depuis deux ans qui lui ont déjà permis d'éclaircir sa peau, mais qu'elle trouve que les résultats sont trop longs à venir.

Une boîte de produit blanchissant

Mercy rêve d'être aussi blanche qu'une européenne et compte bien tout faire pour y parvenir. « Mon mari préfère les métisses aux noires, et il est fier d'être avec moi quand nous sortons. J'attire beaucoup plus l'attention des autres hommes depuis que je suis plus claire. »

Rose, revenue de la pharmacie, commence à préparer l'injection. Je jette un œil à l'emballage du produit. Les instructions indiquent qu'il doit être appliqué comme une crème, et non injecté. Le liquide rose est décrit comme une solution exfoliante qui dépigmente et rend la peau plus fine.

À en croire l'emballage, les résultats sont visibles après une à deux semaines. Le produit vient de Kinshasa, au Congo, et contient des AHA, ou acides alpha-hydroxylés.

Lorsque j'ai montré une photo de l'emballage au docteur Pranav, il m'a expliqué que les AHA sont un composant corrosif qui peut poser de graves problèmes de santé s'il n'est pas utilisé avec précaution. Les médecins n'utilisent en général pas de produits qui en contiennent parce qu’ils peuvent causer des infections et des nécroses. Pranav m'explique que la plupart des crèmes contiennent également des stéroïdes qui rendent la peau plus fine et plus fragile.

Mercy laisse échapper un cri lorsque l'aiguille pénètre sa peau, mais elle semble satisfaite une fois que le processus est terminé. Elle hausse les épaules et sourit : « À Nairobi, les gens sont tout le temps en concurrence, et les Kenyans préfèrent les femmes dont la peau est claire ».

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