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Bob l’Éponge est-il le nouveau Che Guevara ?

Au beau milieu de l’agitation, un jeune activiste à lunettes, le poing dressé, menait les chants du cortège des manifestants.

Un vendredi après-midi du mois de juin dernier, une nouvelle vague de manifestants en faveur de la démocratie ont écumé les rues du Caire. Ces manifestants étaient très en colère que l’ancien Premier ministre de Hosni Moubarak, le président égyptien déchu, soit autorisé à se présenter à l’élection présidentielle historique de 2012.

Au beau milieu de l’agitation, un jeune activiste à lunettes, le poing dressé, menait les chants du cortège des manifestants contre l’ancien régime. Il était facile à repérer, perché sur les épaules d’un camarade, vêtu d’un tee-shirt jaune vif décoré de l’image de l’adorable petite créature animée qu’est Bob l’Éponge.

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Aujourd’hui, Bob l’Éponge est devenu une figure incontournable de la place Tahrir. Les vendeurs de la place, qui proposent drapeaux égyptiens et tee-shirts imprimés de slogans révolutionnaires, vendent aussi systématiquement des tee-shirts à l’effigie de Bob l’Éponge. En 2013, un étranger qui se baladerait sur la place pourrait tout à fait se demander si, à l’instar de Che Guevara ou de ce masque Guy Fawkes popularisé par V comme Vendetta, Bob l’Éponge ne serait pas devenu un nouveau symbole transnational de la résistance.

Shereif Elkeshta, un réalisateur américano-égyptien qui voyage fréquemment entre New York et Le Caire, m’a dit qu’il avait remarqué pour la première fois l’éponge jaune carrée sur la place Tahrir en mai dernier, un an seulement après le début de la révolution égyptienne. « D’un coup, il ne s’agissait plus de hurriya [liberté] ou de ath-thawra [la révolution] ou du 25 janvier, mais seulement de tee-shirts et de Bob l’Éponge. Alors, peut-être que c’est le New-Yorkais en moi qui parle, mais sérieusement ? Bob l’Éponge ? Est-ce que ces gens savent au moins qui est Bob l’Éponge ? »

Elkeshta a par la suite parlé du phénomène Bob l’Éponge dans un court essai qu’il a écrit sur l’incohérence de la vie politique en Égypte, dans un journal mensuel indépendant, Midan Masr. Il y demande : « Pourquoi Bob l’Éponge ne tient-il pas dans ses mains, au moins, un cocktail Molotov ? Pourquoi ne dresse-t-il pas le poing ? »

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Alors, est-ce que Bob l’Éponge est une icône révolutionnaire ? Les tee-shirts sont jaune vif, très visibles dans une manifestation. Bob l’Éponge est un personnage optimiste et rieur qui a gagné une audience remarquable peu de temps après le lancement de Nickelodeon Arabia en 2008.

En plus de ça, il y a le symbolisme de ce personnage – un homme normal, euh, une éponge normale, qui se bat pour avancer dans la vie. Wael Abbas, un blogueur influent et activiste qui s’est fait arrêter et tabasser par les forces de Moubarak, dit qu’il est fan de Bob l’Éponge parce que « le personnage est un type tout simple, qui bosse, qui n’est pas un superhéros comme on en voit dans les dessins animés et les comics, et pourtant il est aimé de tous ses amis ».

Mais Abbas et beaucoup d’autres Égyptiens vous diront que les tee-shirts Bob l’Éponge n’ont pas de signification politique. Ashraf Khalil, journaliste américano-égyptien et auteur d’un livre sur le soulèvement populaire en Égypte, affirme que les tee-shirts Bob l’Éponge en disent beaucoup sur la façon dont la place Tahrir a changé en l’espace d’une année. « Le fait que des tee-shirts Bob l’Éponge sont vendus sur la place Tahrir indique seulement que de nombreux vendeurs apolitiques se sont installés sur la place l’année dernière, suite à la révolution, vendant tout ce qu’ils pouvaient vendre. »

Depuis les premiers jours de la rébellion, la place a été l’épicentre d’une confrontation souvent violente entre les manifestants et l’État autoritaire. De jeunes Égyptiens se sont battus et sont morts par centaines pour continuer à occuper la place au cours du soulèvement de l’hiver 2011 contre le dictateur Hosni Moubarak.

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Peu après le premier soulèvement de 18 jours, les petits commerces ont refleuri sur la place Tahrir. Les vendeurs de rue, longtemps régulés par la police de Moubarak, se sont installés sur la place pour vendre des drapeaux, des bannières et bientôt des tee-shirts imprimés aux slogans révolutionnaires. Même aujourd’hui, alors que la place Tahrir accueille un camp d'opposants au président Mohamed Morsi, affilié aux Frères musulmans, on peut encore y trouver des vendeurs de tee-shirts.

Et les tee-shirts se vendent bien, en partie grâce à l’immense popularité de Bob l’Éponge en Égypte, qui s’est mis à vivre sa propre vie depuis la révolution. Ce personnage a inspiré des douzaines de pages Facebook, dont au moins une qui le désigne comme candidat potentiel pour l’élection présidentielle de l’année dernière, et une chanson de pop égyptienne, Ana SpongeBob, par le chanteur Hamada Helal. Le clip, qui atteint presque la barre des 6 millions de vues sur YouTube, montre Helal habillé en Bob l’Éponge qui chante « Je suis Bob l’Éponge » à un goûter d’anniversaire.

Il suffit de marcher cinq minutes dans les rues du Caire pour remarquer la prolifération du merchandising Bob l’Éponge. Des vendeurs de rue qui proposent des autocollants, des jouets, des magasins qui offrent des tee-shirts et des bonnets… Certains de ces produits sont importés de Chine quand d’autres sont fabriqués directement dans l’une des nombreuses usines textile d’Égypte.

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Un vendeur de 24 ans, Islam Muhammad Ibrahim, qui vendait des vêtements étalés sur une table à tréteaux, m’a expliqué que le personnage était si populaire qu’il imprimait ses propres pochoirs Bob l’Éponge depuis Internet, chez lui à Gizeh, pour ensuite appliquer le logo sur des fringues pour enfants. Il m’a montré un tee-shirt blanc taille enfant, estampillé d’un logo bleu qui disait « Bob l’Éponge ». Il m’a affirmé vendre dix de ces tee-shirts par jour.

La folie Bob l’Éponge a provoqué la colère d’un présentateur musulman conservateur, Sheikh Nabil Al-Awadhi, qui a profité d’une émission télé, l’année dernière, pour condamner Bob l’Éponge. Apparemment, ce petit personnage encouragerait les jeunes garçons à s’habiller et à agir de manière efféminée.

Il existe donc un lien indirect entre Bob l’Éponge et la révolution, dans le sens où le soulèvement du peuple égyptien a transformé la place Tahrir en place forte de la révolution, puis en gigantesque place du marché improvisée.

Elkeshta analyse ceci comme une transformation de l’espace urbain : « Quelqu’un m’a dit : “La raison pour laquelle cette révolution a eu lieu, c’est parce qu’il n’y a pas de parcs publics.” J’aime bien cette explication. J’y adhère, en un sens. On peut voir ça comme des gens qui réclament des espaces réservés aux piétons dans une des villes les plus fourmillantes du monde. »

Mais Islam Muhammad Ibrahim, qui vend des tee-shirts Bob l’Éponge taille adulte en différentes couleurs sur la place Tahrir aux côtés de ceux commémorant la révolution, voit dans son travail un lien étrange avec le soulèvement. Les activistes qui campent sur la place sont ses « amis et frères », dit-il, se penchant sur la grille métallique qui court le long du trottoir pour me montrer un trou de balle qui provient, me dit-il, des forces de police. « Beaucoup de gens sont morts ici. »

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OK, Bob l’Éponge n’a peut-être rien à voir avec la révolution, m’assure-t-il, mais il soutient que ce n’est pas le cas de ses autres marchandises, prenant exemple sur un tee-shirt disant : « LE JOUR OÙ NOUS AVONS CHANGÉ L’ÉGYPTE : LE 25 JANVIER. » Il enchaîne : « On vend des tee-shirts pour que les gens se souviennent de la révolution. C’est mieux que de ne vendre qu’aux touristes. »

Mais ça ne fait pas de bob l’Éponge un symbole politique. Comme beaucoup d’autres, le blogueur activiste Wael Abbas soupçonne que la prolifération de ces tee-shirts a moins à voir avec la politique qu’avec l’économie capitaliste : « Ce sont des choses commerciales, il s’agit de tout commercialiser, de commercialiser la révolution. »

Abbas se demande si cette épidémie de tee-shirts est signe d’une certaine apathie, d’un malaise postrévolutionnaire rampant. Il clame qu’à part « cette vague commerciale qui consiste à vendre la révolution, des affiches, et des photos des manifestations et de ce genre de trucs, les gens ne s’intéressent plus vraiment à la révolution parce qu’aujourd’hui, il s’agit de faire face à la réalité et au changement. »

Plus de révolution :

LA DEUXIÈME RÉVOLUTION ÉGYPTIENNE – VICE News (vidéo)

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