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Sport

Comment la boxe m'a appris à survivre

J'ai beau n'avoir jamais réussi à battre Mike Tyson sur Nintendo, j'ai toujours rêvé de devenir un grand boxeur.

Illustrations de Christopher Kindred

Un coup soigneusement placé, c'est la meilleure façon de mettre KO quelqu'un qui porte un casque de protection. Si je frappe la partie exposée de son visage – les yeux, le nez et la bouche sous la partie protégée –, il sera KO. On peut faire ça avec un violent coup sec et direct.

Je boxais contre Kurt, un élève plus âgé de mon lycée. J'étais plus jeune, et Kurt sortait avec Danielle, une fille du même âge que moi pour laquelle j'en pinçais et dont le casier était proche du mien.

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Avant nos sessions d'entrainement, je ne savais pas que Kurt faisait de la boxe avec Marty, un ancien poids moyen de 70 ans. (J'appelais ça des « sessions d'entrainement » mais je ne m'entrainais pas dans un but précis, alors que Marty évoquait lui des « bastons de bar ».) J'étais surpris de le voir au club de boxe : le voir là sonnait comme un cliché.

La première fois, Kurt a arrêté de puncher le sac pour me demander si je voulais m'entrainer. Il ne m'a pas dit ça avec animosité ou pour m'intimider – ça sonnait plus comme une sorte de reconnaissance, le fait qu'on soit là tous les deux, et que ça pourrait être quelque chose de cool à faire, même si nous ne nous connaissions pas très bien. Je jouais au foot avec l'équipe jeune quand lui était en équipe universitaire, et il m'a probablement reconnu vu qu'il parlait à Danielle tous les matins, son dos contre le mur à côté de mon casier.

Kurt et moi avions mis un casque de protection. On est rentrés sur le ring, et on a démarré le chrono de 3 minutes qui indique le début et la fin de chaque round. Alors qu'on s'échauffait avec des coups tranquilles et des contres, je me suis demandé ce qui se passerait si je le mettais KO. Comment affronterait-il Danielle le lendemain ? À quoi ressemblerait mon échange avec elle si je mentionnais par hasard que j'avais mis Kurt KO la nuit dernière, et que c'était pour ça qu'il ne viendrait pas en cours aujourd'hui ni le jour d'après voire plus jamais ?

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Je lui dirais : « J'ai entendu dire qu'il pourrait y rester », et je partirais avant qu'elle ait pu me demander des explications, tout en lui lançant un regard qui signifierait je suis là pour toi, bébé.

Le scénario a commencé à se faire dans ma tête et j'ai adopté une stratégie qui consistait à placer des petits coups dans les parties non-protégées du visage de Kurt. Frapper du droit, bloquer, frapper du droit, bloquer. Cette stratégie marchait – enfin, un peu. J'étais encore loin de mettre Kurt KO, mais je l'énervais. Sa peau devenait rouge. Sa respiration s'intensifiait pour ressembler à des grognements.

Mes coups du droit devenaient répétitifs. J'ai changé mon approche et j'ai essayé du gauche – mon poing le plus faible – en laissant la partie gauche de mon corps non protégée. Kurt m'a aussitôt frappé d'un violent coup sur le coin de ma tête.

J'ai entendu un bruit, et je me suis effondré.

Ma première découverte de la boxe avait eu lieu 8 ans auparavant grâce à Mike Tyson's Punch-Out !! sur Nintendo. On pouvait y incarner Little Mac, un boxeur du Bronx hautement inexpérimenté âgé de 17 ans et pesant 50 kilos. Il y avait 14 personnages à affronter, et notamment Pistol Honda, Mr. Sandman et le boss du jeu, Mike Tyson. Je suis arrivé jusqu'à Mike Tyson plusieurs fois, mais je ne l'ai jamais battu. Je ne connaissais personne qui l'avait fait jusqu'à ce que Youtube apparaisse.

J'ai fait de la boxe pour la première fois quand j'avais 14 ans lors d'un camp de vacances. Ce n'était pas une activité au programme, mais quand j'ai vu Evan, le fils du propriétaire du camp, frapper le sac dans le gymnase, je lui ai demandé s'il pouvait m'apprendre. À cette époque, je connaissais Punch-Out et Rocky, mais je ne savais pas comment balancer un coup ni en recevoir un.

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Avec Evan, on se retrouvait tous les jours après le déjeuner. Quelquefois, des campeurs nous regardaient. Leur attention nous poussait à frapper plus fort. Nous n'étions pas des boxeurs expérimentés, mais personne dans la foule ne remarquait notre maladresse. Ils étaient fascinés par les poings et les gouttes de sueur. Quand le chrono sonnait pour annoncer la fin d'un round, nous nous mettions dans des coins imaginaires pour siroter des jus de fruits.

Je pense que mon intérêt pour la boxe et l'enthousiasme des campeurs à nous regarder étaient liés au fait de déjouer les apparences. Rocky était une machine, tout comme les autres boxeurs de l'époque – Bernard Hopkins, Floyd Mayweather Jr, Oscar De La Hoya. Je n'étais pas construit comme eux. Je n'étais même pas bâti comme leurs homologues poids plumes, et Evan non plus. Nous étions des petits juifs privilégiés de la banlieue de Philadelphie. En l'occurrence, on pouvait légitimement se demander ce qu'on foutait sur un ring.

Quelques mois plus tard, lors d'une fête juive à la synagogue, le rabbin a évoqué le sport dans son sermon. Il a posé une question à ses fidèles :

« Dans quel sport trouvons-nous le plus de juifs ? »

Des mains se sont levés. Le golf ? Le tennis ?

J'ai levé ma main et le rabbin m'a donné la parole.

« La boxe. »

Toute l'assemblée a explosé de rire.

J'ai regardé autour de moi, surpris que ma réponse ait transformé la synagogue en salle de spectacle.

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Le vieux assis à coté de moi s'est voulu sympathique. Il m'a pris par l'épaule et m'a chuchoté à l'oreille : « La plupart des boxeurs sont noirs. »

Une fois le calme revenu, le rabbin a donné la bonne réponse. C'était l'escrime.

J'ai plus tard découvert que ma réponse n'était pas aussi ridicule que le rire de la congrégation le laissait penser. Le temps d'un faux-filet au Steakhouse de Sullivan – nommé en hommage au boxeur John L. Sullivan –, mon grand-père m'a raconté l'histoire des boxeurs juifs. Il y avait Benny Leonard et Barney Ross (le nom de ce dernier est depuis devenu celui du personnage de Stallone dans The Expendables), tous les deux champions du monde, Ted « Kid » Lewis, Abe Attel, Maxie Rosenbloom et plein d'autres.

De 1910 à 1940, la boxe a connu 26 champions du monde juifs. En 1928, il y avait plus de juifs à boxer au niveau professionnel que d'Italiens et d'Irlandais. La prédominance des juifs dans la boxe n'était pas nécessairement liée au fait qu'ils aimaient la boxe ou qu'ils étaient particulièrement talentueux, mais car il s'agissait d'une de leurs rares options de carrière.

Mon grand-père était lui aussi boxeur. Quand il est entré au Camp d'entrainement militaire pour les citoyens – un programme qui se tenait tous les étés de 1921 à 1940 –, il a essayé d'intégrer l'équipe de boxe. Il s'est fait virer après avoir été mis KO lors de son premier combat.

Après la fin de la Seconde guerre mondiale et l'institution du GI Bill, la plupart des juifs ont abandonné la boxe pour se lancer dans l'entrepreneuriat. En 1950, il restait très peu de boxeurs juifs et leur nombre n'a depuis cessé de décliner.

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La salle de boxe de Marty était située à l'arrière d'un centre sportif, entre deux terrains de hockey. Le programme était simple : combat sur le ring, sac de poids, sac de vitesse, développé couché. Marty avait trois fils, tous boxeurs de Philadelphie. Il portait toujours la même tenue : un jean moulant noir avec un t-shirt noir, un sac léger et des sneakers. Ses chaussures s'accordaient avec ses cheveux argentés maintenus en place par le peigne qu'il gardait toujours dans sa poche arrière. Il portait une chaine dorée sous son t-shirt. Son nom de famille était Feldman, alors je suppose que la chaine devait être une étoile de David.

Mes sessions d'entrainement commençaient par un échauffement et je suis vite devenu bon à la corde à sauter. Je pouvais aller très vite et croiser mes bras en bougeant à peine mes pieds. Puis, je faisais trois sessions d'abdos pendant que Marty me tenait les chevilles avec ses mains calleuses et que l'odeur de son après-rasage s'infiltrait dans mes narines à chaque remontée. Enfin, je terminais par trois sessions de pompes.

Marty m'a laissé le choix : « Tu peux le faire à la régulière ou tu peux le faire comme une fille. »

Le faire « comme une fille », c'était le faire avec les genoux au sol. Je l'ai fait à la régulière.

Après l'échauffement et les sacs, Marty et moi nous mettions sur le ring. Il tenait les pads et je portais les gants. Je savais que mon coup était parfait quand ça faisait un bruit sec. Marty me criait son approbation quand mes poings visait juste. « Voilà ! » « Boom ! » « Excellent ! »

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Une fois, ma mère est venue me chercher à une session d'entrainement un peu en avance. Sur le chemin du retour, elle m'a posé des questions sur ce qu'elle avait vu.

« Est-ce que tu passes tout ce temps à frapper ? »

La réponse était oui, même si c'était bien plus que ça.

Avec la boxe, je me sentais vivant. Je n'avais pas besoin que mon père m'explique les règles et les exceptions aux règles, comme pour le football ou le baseball. C'était évident : frapper, se faire frapper ou se protéger suffisamment longtemps pour épuiser l'opposant. La boxe, c'est de la survie contrôlée. C'est littéralement une forme de vie ou de mort.

Cependant, il est juste de reconnaître que jusqu'alors, j'avais été un piètre boxeur : je n'avais jamais battu Mike Tyson à Punch-Out, on s'était moqué de moi pour avoir suggéré que les juifs pouvaient boxer, je pensais que je pourrais piquer Danielle à Kurt en le frappant et, par dessus tout, je voulais désespérément être Rocky alors que j'étais seulement Little Mac.

Après tout ça, le fait d'être allongé sur le ring après avoir été mis KO par Kurt sonnait comme un accomplissement. Je n'avais pas fait semblant.

Je ne sais pas si Kurt en a parlé à Danielle. Je n'ai plus jamais revu à l'entrainement de boxe après ça, même après que lui et Danielle aient rompu. Je suppose qu'il a abandonné.

Mais moi, j'ai continué à m'entrainer avec Marty et à me préparer pour mon prochain combat.

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