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Interviews

Bret Easton Ellis déteste les pleurnicheuses comme vous

L'auteur d'American Psycho s’apprête notamment à bosser avec Kanye West

Bret Easton Ellis dans sa maison de Los Angeles. Photo : Jamie Lee Curtis Taete

Bret Easton Ellis s’est fait traiter de dépravé amoral toute sa vie. Dans les années 1980 et 90, les gens outrés par ses livres n'avaient manifestement jamais fréquenté ni les connards de la mode, ni les managers de la finance. En revanche, ceux qui connaissaient quelque peu ces personnes savaient qu'American Psycho et Glamorama n'étaient, dans leur essence, qu'un reflet journalistique de deux mondes infects que fréquentait Bret. « Rassemblés, mes six ou sept livres forment mon autobiographie, m'a affirmé Ellis. Je n'ai qu'à les ouvrir pour me rappeler de ce que je faisais et où j'étais lors de leur écriture. »

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Désormais, Bret écrit aussi des scénarios pour le cinéma et enregistre toutes les semaines un podcast. Dans celui-ci, il a, entre autres, interviewé Marylin Manson et Kanye West. Malgré ses nouvelles activités, il continue de se faire traiter de douchebag par un nombre conséquent de blogueurs et provoque un tollé général à chaque fois qu'il se permet de critiquer le moindre truc sur Twitter.

Il y a deux semaines, lors de notre conversation téléphonique, Bret m'a parlé de sa frustration concernant ce qu'il appelle la « Génération Wuss » (la Génération pleurnicharde). Par ce terme, il fait référence à quiconque se trouvant être jeune, hyper-sensible et ayant grandi avec Internet – soit à peu près tous les gens âgés de moins de 30 ans. (Néanmoins, il a admis que nous assistions actuellement à l'émergence d'une nouvelle génération Internet, tout sauf susceptible, elle.) Au fil des heures passées avec lui, j'ai été surpris de découvrir l'importance qu'il accordait à la vie des gens qui avaient grandi en lisant ses livres, aux technologies qu'ils utilisaient et à leurs différentes façons de consommer de la culture. À l'écouter, j'ai eu l'impression que son agacement légendaire était plus le résultat d'un malentendu que d’une quelconque forme de misanthropie.

VICE : Pourquoi surnommez-vous les jeunes d'aujourd'hui la « Génération Wuss » ?
Bret Easton Ellis : Il faut comprendre que j'ai utilisé ce terme en tant que membre de la génération la plus ironique et pessimiste ayant jamais foutu les pieds sur cette planète. Quand je vois des jeunes de la génération Y s'offusquer – et même se suicider – après avoir été victimes de « cyber-harcèlement », j'en reste pantois. J'atténue ma critique pour mon mec, qui lui-même est issue de la génération Y – et qui, lui aussi, est parfois d'accord avec moi concernant l'hyper-sensibilité de la génération Wuss. Ces jeunes supportent très mal la critique et, à cause de ça, une grande partie des choses qu'ils créent se résument à de la merde. Aujourd'hui, quand une œuvre se fait critiquer, son auteur s’en trouve anéanti et insulte en retour ses critiques de haters ou de trolls.

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En un sens, la génération qui les a élevés est responsable de cette situation. Quand ces jeunes se retrouvent, comme tout le monde, confrontés à des emmerdes, tout semble s'écrouler autour d'eux. Il suffit que quelqu'un ne les aime pas, n'aime pas ce qu'ils font, que l'amour qu'ils portent pour une autre personne ne soit pas réciproque ou que quelqu'un autour d’eux meure pour qu'ils tombent en dépression. Les jeunes d'aujourd'hui sont toujours hyper positifs, hyper confiants mais, lorsque le moindre problème survient, ils sont comme paralysés.

Il y a quelques jours, j'ai réalisé que j'avais plus ou moins le même âge que Patrick Bateman, le héros d'American Psycho. À l'époque où vous avez écrit ce livre, son existence de jeune new-yorkais de 27 ans était typique de celle de ses contemporains. Néanmoins, aujourd'hui, la situation de Bateman n'a jamais été aussi éloignée de la réalité.
Je n'ai pas envie de parler constamment de mon petit ami qui a lui aussi 27 ans, mais il serait totalement d'accord avec vous. Le monde dépeint dans American Psycho est pour lui tout aussi lointain que le monde extraterrestre.

Plus jeune, je pensais que votre livre était un avant-goût du monde qui nous était promis.
À un certain moment, nous nous sommes tous aperçus que la promesse de prospérité qu’on nous avait faite n’était que mensonge et qu’au contraire, on se dirigeait plutôt vers une nouvelle crise économique de grande ampleur. La génération des baby-boomers, celle-là même qui a élevé ses enfants en pleine période de prospérité dans un monde complètement fantaisiste, est responsable de cette situation. Ma génération, la génération X, s'est rendue compte que, comme tous les contes de fées, ce monde était quelque peu insatisfaisant. Elle s'est alors rebellée contre celui-ci avec toute sa négativité. Nous avions le luxe de nous permettre cette rébellion. La réalité dans laquelle nous avons grandi n'a pas été influencée par des contraintes économiques – elle a été désirée.

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Exact. C'est d'ailleurs ce dont traite Le Loup de Wall Street. Est-ce la raison pour laquelle vous avez tant aimé ce film ?
Je n'ai jamais aimé un film en raison du seul sujet qu'il abordait. Je l'ai apprécié car ce n'était pas un truc « d’auteur » comme les autres ; par exemple, il se fout de la norme de décence actuelle, laquelle veut que tous les films tournent autour de gens respectables confrontés à de terribles situations de stress.

Pour moi, ce film est l'histoire d'un jeune homme ordinaire, tout comme celle de Barry Lyndon. Dans le film, neuf fois sur dix, le héros fait n'importe quoi, dépense tout son argent, laisse sa réputation dépérir, ne se remet pas en cause et fonce droit dans le mur. Au bout d'un moment, tout part en sucette. Aussi, j'ai trouvé le film très drôle. La performance de Leonardo est incroyable. Le fait qu'il ne soit pas favori pour les Oscars de cette année est d’ailleurs une véritable honte.

En le voyant jouer dans ce film, auriez-vous souhaité qu'il interprète Patrick Bateman ?
Je n'ai été aucunement impliqué dans la réalisation d'American Psycho. Je sais juste que l'offre a été proposée à Leonardo, mais après Christian Bale. À l'époque, on le connaissait uniquement pour Jack, dans Titanic. Ce rôle lui aurait permis de plus vite faire oublier cette réputation embarrassante. En 2000, il semblait condamné à devoir se la traîner jusqu'à la fin de ses jours. Je ne sais pas exactement pourquoi il n'a pas été choisi. Je ne sais pas non plus à quel niveau Christian était déjà impliqué dans le film quand le rôle a aussi été proposé à Leo. Peut-être que l'équipe ne pouvait plus reculer dans son choix de casting. Mais, pour répondre à votre question, en effet, j'aurais aimé le voir dans ce rôle. Néanmoins, il était sans doute moins risqué de choisir Christian Bale à l’époque, qui était déjà relativement connu.

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Vous avez affirmé que Terrence Malik était l'une de vos plus grandes inspirations.
L'un des moments les plus importants de mon adolescence, c’est ce jour où j’ai vu Les Moissons du ciel. À travers ce film, j'ai réalisé que le cinéma était une forme d'art. Ayant grandi à Los Angeles, je le savais déjà plus ou moins. Néanmoins, ce n'est qu'en 1978, avec ce chef-d’œuvre, que je l’ai réellement compris. C'est la raison pour laquelle je me sens si lié à ce film et que je le regarde à nouveau au moins une fois tous les deux ans. Il me fait voyager dans le passé.

Aimeriez-vous recréer l'ambiance des Moissons du ciel dans vos films ?
Je n'en sais rien. J'ai rencontré plusieurs problèmes avec The Canyons. J'aurais aimé qu'il soit réalisé plus rapidement. Contrairement à Paul Schrader, dont les méthodes s'inspirent de réalisateurs comme [Yasujiro] Ozu et des Japonais des années 1950 et 60, je n'ai pas une mentalité, disons, asiatique. Cette façon de travailler lui permet de stimuler ses films.

J'ai du mal à comprendre pourquoi vous voudriez travailler plus rapidement.
C'est bien moins incompréhensible que ça ne l’est, en réalité. The Canyons était un film de cinéma guérilla. Nous l'avons réalisé sans argent et nous pensions simplement le proposer à la vente sur iTunes. Nous n'avons jamais travaillé dessus dans l'idée de « créer l'évènement ».

Pourtant, vous auriez pu deviner qu'intégrer Lindsay Lohan au casting provoquerait une réaction de la sorte.
Non. C'était un film avec un budget de 150 000$ (110 000 euros). Nous avons tourné dans les maisons de certains de nos amis ; nous n'avons jamais eu la prétention de réaliser Le Parrain. J'ai écrit le scénario et Schrader a voulu faire le film à sa façon. Mon script est, je crois, l'un des deux seuls – avec celui écrit par Harold Pinter pour Étrange Séduction, l'un des films qui a inspiré The Canyons – que Schrader n'a pas retouché de toute sa carrière. Je me suis dit que tout irait plus vite rapide une fois nos rushs montés. Jusqu’à un certain point, oui, ça a été le cas.

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20% des gens que je connais ont aimé le film. Les autres, pas du tout. Je ne sais pas trop quoi dire à propos du côté sordide et froid du film, à part qu'il me parle et que je l'apprécie.

Le portrait sinistre que vous faîtes de Los Angeles dans Moins que zéro – dans lequel des coyotes et des cadavres errent ici et là dans les rues – est-il votre représentation de la réalité ? Votre point de vue a-t-il changé au fil du temps ?
J'aurais tendance à répondre par l'affirmative à ces deux questions. Mon enfance dans le sud de la Californie a été idyllique. Néanmoins, même s'il y avait la plage, les centres commerciaux et les décapotables de mes amis pour s'amuser, chez moi, mes parents s’engueulaient et je souffrais de légère dépression.

Je n'étais pas un gosse impopulaire. J'avais même beaucoup d'amis, j'organisais des fêtes et j'avais… une copine. Mais, passer mon temps à écrire m'a quelque peu aliéné du monde extérieur et, à cause de ça, j'ai toujours eu tendance à l'observer d'un œil sombre.

OK. Est-il vrai que vous écrivez actuellement une série télé sur les meurtres de la « famille » Manson ?
Oui. Néanmoins, ce n'est pas vraiment sur les meurtres de Manson. C'est plutôt sur les deux années au cours desquelles ces évènements se sont déroulés, à Los Angeles. L'histoire commence environ un an avant le début des assassinats. Je n’en suis toujours qu'au stade d’idée de projet. Je commence tout juste à planifier l'histoire.

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Préparez-vous un nouveau livre ?
Oui, et j'aimerais que les gens ne l'attendent pas autant. J'ai frôlé la crise de surmenage en janvier 2013. En 2012, j'ai écrit plus que durant toute ma vie. J'ai notamment bossé sur une série de films – dont deux ont été réalisés – et sur d'innombrables pilotes de téléfilms. En 2013, épuisé, j’ai eu envie d’écrire de la prose à nouveau. Alors, j'ai commencé à travailler sur ce livre. Depuis, régulièrement, je m'y remets jusqu'à ce qu’un autre truc me distraie. Le projet est sur mon bureau, tout comme celui d'une pièce de théâtre que j'écris en ce moment.

Pourquoi avez-vous voulu lancer votre podcast ?
J'ai publié l’année dernière un long papier de 4 000 mots pour Out Magazine. Celui-ci a a retenu l'attention de pas mal de monde aux États-Unis. En lisant des articles écrits en réponse au mien, j'ai réalisé que les gens avaient arrêté de le lire à la moitié.

C'est Internet.
Un mythe voudrait qu’Internet permette d'écrire des textes de 11 000 mots. Mais ça ne veut pas dire que des gens liront l'intégralité d'un si long texte. Alors j'ai pensé que si j'avais un podcast, je pourrais dire tout ce que je souhaitais écrire et qui n'aurait pas forcément été lu. Au départ, je ne pensais pas créer un talk-show. L'idée m'a ensuite paru très intéressante. Je ne vois pas pourquoi le romancier devrait se cantonner à de l’encre sur du papier. J'ai vu des gens réagir négativement à ma simple présence sur Twitter et au fait que je m'intéresse à la pop culture. J'aime ce genre de critiques. Ça chamboule l'idée que les gens se font de moi.

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Est-ce l'une des sources du problème que vous avez eu concernant David Foster Wallace ? Sa posture d'auteur tout-puissant vous a agacé ?
Je pense que David Foster Wallace est un imposteur complet. Je suis vraiment choqué de voir que des gens le prennent au sérieux. Bien sûr, certaines personnes disent la même chose de moi. J'ai été très critiqué pour avoir exprimé mon opinion sur son travail en raison du sentiment de sympathie qu'ont pour lui les gens depuis qu'il s'est suicidé.

Cela nous ramène à la Génération Wuss et, à un certain degré, de son influence néfaste sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, si vous avez une opinion quelque peu sarcastique sur un sujet, vous vous faites insulter. C’est un problème selon moi, dans le sens où ça limite les possibilités d’échange. Si les gens aiment tout, de quoi peuvent-ils bien parler entre eux ? Ils essaient de déterminer à quel point les choses sont géniales, c’est ça ? Ils comptent leur nombre de « Likes » sur Facebook ?

BuzzFeed a affirmé qu'il ne permettra plus les reviews négatives. Sérieux ? On n’a plus le droit de dire du mal d'un truc ? De quoi seront faites nos discussions ? De rien.

Ouais. J'estime que, maintenant, la popularité a pris une place plus importante que l'argent. Selon moi, c’est même devenu une nouvelle devise. Aujourd'hui, j'ai l'impression que rien n'est plus important que d'avoir le plus de Likes possible sur sa page Facebook.
Je suis d'accord avec vous. Je trouve intéressant le fait qu'on ne puisse plus vraiment s'élever socialement par l'argent. Le seul moyen d'y parvenir se fait désormais grâce à notre marque de fabrique ou à nos profils sur les réseaux sociaux. Je pense être trop vieux pour réussir à utiliser Instagram ou Tumblr à mon avantage. Je ne sais même pas me servir correctement de Twitter. Mais, en habitant avec quelqu'un qui a 27 ans, je pense que votre analyse est correcte : la présence en ligne est devenue une nouvelle devise.

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Selon moi, votre travail dans les années 1980 et 1990 n'était pas particulièrement amoral. Au contraire, je dirais même qu'American Psycho délivrait une sorte de message moral. Il n'était certes pas forcément explicite, mais il était là.
Oui, on le ressent. J'ai lu beaucoup de commentaires négatifs sur American Psycho. Certains ont accusé le livre d'avoir été conçu dans le but de choquer les lecteurs. Si tel était le cas, je n'aurais pas passé trois ou quatre ans de ma vie à travailler dessus et j'aurais accumulé les descriptions morbides. Dans ce livre, j'ai écrit sur mon existence. Je me suis glissé dans la peau de Patrick Bateman, un jeune homme vivant à New York, perdu dans les méandres de la culture yippie – qui n'est vraiment rien d'autre qu'une culture consumériste, qui empêche les gens de grandir, et qui peuvent vous faire détester la société et vous-même si vous n’avez pas ce dont vous croyez avoir besoin.

Aussi, comme beaucoup d'hommes, j'ai un imaginaire de très mauvais goût. Si les membres de la gent masculine admettaient cela, ils se feraient attaquer de la même façon que je l'ai été.

On vous accuse de misogynie, alors que vous n’êtes pas tendre avec les hommes.
[Rires] Ma réponse va être typique d'un misogyne : je ne me suis jamais considéré comme tel. Je ne pense pas du tout qu'American Psycho soit un texte misogyne ; je pense plutôt que la misogynie fait partie du résultat d'ensemble. Mais, comme je l'ai dit dans mon podcast sur Le Loup de Wall Street : représenter quelque chose ne signifie pas qu'on l'approuve.

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J'ai été critiqué pour avoir parlé de Kathryn Bigelow sur Twitter [Ellis a affirmé qu'être une « bombe » a fait d'elle une réalisatrice « surestimée »]. Ma remarque esthétique n'était qu'un commentaire sur Hollywood et le sexisme positif. Mais, les gens ont voulu le comprendre autrement. J'ai eu les mêmes remarques quand j'ai dit qu'Alice Munro était surestimée. Les gens semblent ne pas avoir conscience que j'ai aussi critiqué de nombreux auteurs masculins que je n'aime pas et que j'ai fait l'éloge de nombreuses écrivaines que j'adore. J'ai dit du bien de mon amie Donna Tartt, par exemple. Son dernier roman, The Goldfinch, est très bon. Je suis en admiration devant quelqu'un capable d'une telle œuvre.

Votre adoration pour Joan Didion n'a elle non plus rien de secret.
Régulièrement, quelqu'un de nouveau s'introduit dans notre vie et change à tout jamais notre perception des choses. Avant Didion, c'était Hemingway – j'avais alors 12 ou 13 ans. Didion est venue plus tard. J'étais déjà au lycée. Elle écrivait sur le sud de la Californie et faisait référence à des rues que je connaissais. Dans ses œuvres, elle décrivait une sensibilité féminine que j'ai rencontrée chez les amies de ma mère. J'ai essayé de réécrire Moins que zéro peut-être deux fois avant qu'il soit enfin publié. Joan Didion a joué un grand rôle dans sa mise en forme.

Avez-vous le sentiment que le féminisme est de moins en moins accepté ?
Il y a quelques années, j'ai trouvé très inquiétant le site Jezebel.com. Ce n'est pas que ça me préoccupe beaucoup mais, aujourd'hui, je pense qu'on a fait le tour du féminisme. Je pense que le harcèlement qu’a subi Lena Dunham symbolise bien l'état dans lequel se trouve désormais une certaine forme de féminisme.

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Je continue à penser que le féminisme est quelque chose qui est simplement en train de devenir « cool » ; cela car les femmes – du moins celles que je connais – veulent juste être elles-mêmes, être jolies et avoir des relations sexuelles. En rencontrant James Deen et beaucoup de femmes qui ont travaillé dans le porno, je me suis rendu compte qu'ils aimaient leur boulot. Cela m'a conduit à adopter un autre point de vue.

Vous ne pensez pas que cela les a rendu tarés ?
Non, ils n'ont aucun problème. La copine de James Deen [Stoya, qui écrit pour VICE] est une grande artiste et, comme James, elle ne ressemble pas à une pornstar traditionnelle. Elle tient aussi un blog dans lequel elle parle du porno féministe et explique qu'elle contrôle totalement sa vie.

Pouvez-vous m'en dire plus sur votre collaboration cinématographique avec Kanye West ?
Non, je ne peux pas. Kanye a les commandes et le projet n'est pas à l'ordre du jour. Il est venu me voir et m'a demandé d'écrire un film. Au départ, je n'étais pas intéressé. Puis, j'ai écouté Yeezus l'année dernière, au début de l'été, en conduisant. Il m'avait donné une copie de son album avant que celui-ci ne sorte. J'ai immédiatement voulu travailler avec celui qui avait fait cela, peu importe si je convenais ou non à son projet de film. Voilà comment tout a commencé. C'était il y a sept ou huit mois. On verra ce qui se passe.

Je l'apprécie vraiment en tant que personne. Dans les médias, il joue un certain rôle que lui confère son métier d'artiste mais si vous vous retrouvez seul avec lui et que vous passez trois heures à discuter avec lui, vous en ressortez transformé.

Selon moi, Kanye vient de rompre une des règles d'or du milieu en admettant qu'il était narcissique. Les gens ont du mal à supporter ça.
Cette règle existe vraiment ?

En effet, on peut se le demander car quiconque travaille dans les médias ou dans l'industrie du divertissement est probablement narcissique.
Oui, tout à fait. Nous le sommes tous. Kanye est l'une des rares personnes à l'admettre ouvertement. C'est pour ça que je l'apprécie. J'espère d'ailleurs que d'autres vont suivre son exemple. Jennifer Lawrence l'a fait et je trouve que c'est ce qui la rend si attirante. Elle représente le futur d'Hollywood. Je ne sais pas si les « vieilles règles » de l'empire – qui consistent à toujours montrer le meilleur de soi-même – touchent encore les gens. Elles suggèrent en quelque sorte un manque de liberté dans la société dans laquelle on vit.

Pouvez-vous nous expliquer la distinction que vous faites entre « l'empire » d'aujourd'hui et celui d'hier ? Vous y faites souvent référence.
Par le mot « empire », je fais référence aux États-Unis de l'après-seconde guerre mondiale jusqu'au 11-Septembre 2001. Le pays était alors à l'apogée de sa puissance, de son prestige et de sa prospérité. Puis, il s'est affaissé. Face à la technologie et aux réseaux sociaux, son masque de fierté est lentement tombé. Cette attitude qui consiste à croire que l'on est au-dessus de tout le monde et à donner l'impression que l'on n’a aucun problème n'existe plus. Dans le monde post-impérial d'aujourd'hui, les gens sont simplement eux-mêmes. Ils ne jouent plus de rôle. La réalité n'est plus biaisée et les choses ont le sens qu'elles ont et non celui qu'on leur donne.

Pourrez-vous un jour vous montrer « tel que vous êtes vraiment » sur Internet ?
Se transformer en avatar est très post-impérial. C'est le moins que l'on puisse dire. Cet avatar est une nouvelle sorte de masque. Son concept est déjà plus espiègle que celui de l'époque actuelle, où on cache ses sentiments, où on se montre constamment sous son meilleur jour et où en vient à mentir en cas de besoin. À moins, bien sûr, que l'on ne considère que la technologie ait fait prendre à l'empire une toute nouvelle forme.

Téléchargez ici les podcasts de Bret Easton Ellis dans lesquels il discute avec Marilyn Manson, Kanye West ou encore Judd Apatow.

Bret lancera prochainement sa chaîne Youtube.

Suivez Nathalie (@NROLAH) et Bret (@BretEastonEllis) sur Twitter.