Le Brooklyn des hommes en noir

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Société

Le Brooklyn des hommes en noir

Chapeaux noirs, longues barbes, papillotes et tsitsit qui pendent : Sacha Goldberger a photographié les Loubavitch de New York.

Photos de Sacha Goldberger / Poetry Wanted

Chapeaux noirs, longues barbes, papillotes et tsitsit qui pendent : pour beaucoup de gens, ces signes distinctifs des juifs traditionalistes représentent le « juif » par défaut. Pourtant, pour une grande partie de la communauté juive, la pratique religieuse de ces orthodoxes pourrait être qualifiée « d'obscure, d'extrême, voire même de sectaire », explique le photographe français Sacha Goldberger.

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Durant plus de deux mois, en adoptant un angle fantaisiste et afin de montrer une autre vision du judaïsme « dans une période où la parole antisémite redevient presque banale », Goldberger a suivi les Loubavitch de Brooklyn. « Par ces images, nous avons voulu poser sur la religion juive un regard positif, poétique, spirituel et parfois humoristique, une façon de lutter contre les idées reçues », explique Goldberger. Ouverte au monde extérieure, cette communauté – qui représente un courant du judaïsme orthodoxe – compte des dizaines de milliers de fidèles à travers le monde. Si elle est présente sur tous les continents, on la retrouve principalement en Israël et aux États-Unis. Son QG, surnommé le « 770 », est situé à New York. Il abrite la synagogue du rav Menahem Mendel Schneerson, aussi connu comme le Rebbe ou le Rabbi de Loubavitch. Dernier guide spirituel du mouvement, il a profondément marqué de son empreinte le judaïsme, jusqu'à son décès en 2002. Aujourd'hui, on retrouve toujours son portrait dans de nombreux centres communautaires et foyers juifs, qu'ils soient ou non membres du courant Loubavitch.

Née sous l'impulsion de Rémi Noël, éditeur chez Poetry Wanted, la série de Sacha Goldberger a depuis été publiée sous forme de carte Michelin dans la collection « This is not a map ». « Quand Rémi m'a proposé de travailler avec lui, je revenais de New York où j'avais photographié des super-héros, explique le photographe. J'avais vu des Loubavitch et j'ai pensé que je devais faire quelque chose sur ce sujet, notamment car ça me touchait personnellement et que je souhaitais montrer autre chose de la religion juive que ce que je peux voir en France. » De par son utilisation de l'argentique et du noir et blanc, Goldberger estime être retourné à « l'essence de la photo », de la même façon que ses modèles « essayent de garder l'essence du judaïsme tout en en montrant une image moderne ».

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Afin de mener à bien ce projet et après avoir travaillé pendant un an sur les mises en scène qu'il pourrait utiliser, le photographe et son co-auteur Ben Bensimon se sont d'abord tournés vers un rabbin français, le rav David Zaoui, émissaire du Rabbi de Loubavitch à Neuilly-sur-Seine. Ce dernier les a ensuite conduits au 770, là où tous les Loubavitch du monde entier passent pour se ressourcer, et introduits dans la communauté de Brooklyn. « J'ai passé plusieurs jours là-bas sans faire de photos. Durant cette période, j'ai rencontré les gens, on a discuté et je me suis rapproché d'eux. Je suis beaucoup allé à la synagogue, j'ai fait le chabbat avec eux, j'ai été invité à dîner à plusieurs reprises… Ils m'ont accueilli à bras ouverts – ils n'ont pas fait ça parce que je faisais des photos, mais car ils sont très ouverts aux rencontres, ce qui n'est pas forcément le cas de tous les orthodoxes. »

« Au sein de cette communauté, j'ai rencontré des gens très différents, explique le photographe. Ils prient et étudient tous énormément, mais beaucoup travaillent. J'ai aussi rencontré des repentis, notamment un type qui a fait beaucoup de conneries auparavant, mais qui a vu sa vie se transformer le jour où il a rencontré le Rabbi. On peut donc y retrouver des anciens voyous qui tout d'un coup deviennent religieux. On trouve toutes sortes de profils. Les jeunes sont souvent nés dans la religion, mais les vieux sont souvent des "repentis". » En formant un lien entre les ultraorthodoxes et les laïcs, les Loubavitch permettent ainsi à de nombreux juifs de se rapprocher de la religion. « C'est les seuls [orthodoxes] à estimer que, si on en fait déjà un peu [respecter quelques rituels], c'est pas mal », avance Goldberger.

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Peu à peu devenus proches avec le photographe, les membres de la communauté new-yorkaise ont ainsi accepté de se laisser photographier en adoptant des poses souvent comiques : « Je leur ai demandé de jouer le jeu. L'un est en train de prier sur un poteau, un autre a dessiné une barbe et un chapeau sur un journal, un rabbin porte une pile de livres plus haute que lui… Ce sont des choses qu'on ne voit pas en temps normal. Cette mise en scène était pour moi une façon de raconter des histoires, mais aussi une façon de montrer que les Loubavitch forment un groupement particulier, qu'ils ont beaucoup d'humour et que la joie fait partie de la culture juive – une chose qu'on voit peu en France aujourd'hui. »

770_Brookly, Poetry Wanted, 16 euros

Sacha Goldberger exposera son travail sur les Loubavitch de Brooklyn à la mairie du 4e arrondissement de Paris du 14 Juin au 9 juillet dans le cadre du Festival des cultures juives.