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Ça va bientôt faire deux mois que les Bulgares sont dans la rue

Chaque jour depuis le 14 juin, des milliers de Bulgares sortent du boulot et vont manifester leur mécontentement dans les rues de Sofia, la capitale du pays le plus pauvre de l'Union européenne.
Photos : Glenn Cloarec

Chaque jour depuis le 14 juin, des milliers de Bulgares sortent du boulot entre 18h30 et 19h et vont manifester leur mécontentement dans les rues de Sofia, la capitale du pays le plus pauvre de l'Union européenne. Les autres grandes villes de Bulgarie, Plovdiv, Veliko Tarnovo, Varna et Burgas, ont elles aussi connu quelques manifestations d'une ampleur moindre durant le mois qui vient de s'écouler.

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À Sofia se trouvent deux lieux de rassemblement quotidiens. Le premier, ne rassemblant généralement que quelques dizaines de personnes, se trouve devant le Palais national de la culture, au sud du centre-ville – c'est celui du camp pro-gouvernemental. Le deuxième et principal point de ralliement se situe place de l'Indépendance, devant le Palais présidentiel, le cabinet du Premier ministre, le ministère de l'Éducation et l'ancien siège du défunt Parti communiste abritant aujourd'hui l'Assemblée nationale.

C'est face au Parlement que se termine chaque soir la grande manifestation quotidienne et où les principaux débordements de la nuit de mardi 23 juillet dernier – qui a fait une quinzaine de blessés – ont eu lieu.

L'ambiance sur la place de l'Indépendance évoque parfois celle de la place Taksim à Istanbul le mois dernier. Sans, bien sûr, la menace constante d'intervention brutale de forces de police, ces dernières soutenant à demi-teinte les manifestations (on peut d'ailleurs régulièrement voir des protestants échanger cordialement avec les policiers et leur offrir à boire et à manger).

Aucun mort ou blessé grave n'est à déplorer depuis le début des manifestations : le Gouvernement a fait en sorte que la situation ne se dégrade pas comme ce fut le cas chez son voisin turc. Il a annoncé qu'il n'aurait « aucune raison de riposter » tant que les manifestations resteraient pacifiques.

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On pourrait diviser ce mouvement de contestation en deux parties : la première, du 28 mai à début juin, rassemblait des écologistes et est née suite à la nomination de Kalin Tiholov au ministère de l'Investissement. Cet homme est accusé d'avoir investi dans un projet immobilier sur des dunes situées en zone protégée sur les côtes de la mer Noire. Ils protestaient aussi contre l'annonce, le 30 mai, de la possible reprise des plans de construction d'une centrale nucléaire controversée au nord du pays. Suite aux manifestations, Tiholov a annoncé son retrait de la liste de nominés pour le ministère.

La seconde partie, celle qui continue encore aujourd'hui, a commencé le 14 juin. En réponse à l'élection par le Parlement de Delyan Peevski à la direction de la DANS, l'Agence d'État pour la sécurité nationale, 10 000 personnes sont descendues dans les rues de Sofia après un appel lancé sur les réseaux sociaux. Parlementaire et magnat des médias, Peevski s'est vu confier par le Parlement la mission de lutter contre le crime organisé et la contrebande, sans que son CV n'indique de quelconques compétences en la matière. Le problème vient aussi du fait qu'il a été nommé en 15 minutes, sans débat ou entretien. D'autant que quelques jours avant l'élection, le Parlement avait conféré de nouveaux pouvoirs à la direction de l'Agence, rendant ses dirigeants encore plus puissants. Le président en personne a pris, lui aussi, position contre le cabinet du Premier ministre, responsable de cette élection que beaucoup en Bulgarie qualifient de « grotesque ».

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Le lendemain, Peevski annonçait sa démission de ce nouveau poste, mais les Bulgares ont continué à descendre dans les rues de leur ville et à manifester désormais contre la classe politique dans son ensemble, fraîchement élue, qu'ils accusent de corruption, de favoritisme et, plus généralement, de cracher sur la démocratie. Suite à la démission de Peevski, c'est une figure tout aussi controversée, Vladimir Pisanchev, qui a été nommé directeur de l'Agence – il est accusé par une députée socialiste d'avoir été l'instigateur d'une opération d'espionnage sur des journalistes, parlementaires et businessmen en 2008.

Les manifestations de février dernier s'étaient terminées par de violentes émeutes, mais les manifestants aujourd'hui reprennent leurs thèmes : détournement d'argent public, mauvais traitement de la crise économique, lutte insuffisante contre la pauvreté et le chômage, etc.

Sans leader ni représentants, les manifestants réclament désormais le retrait du nouveau Premier ministre Oresharski, élu en mai dernier suite à la démission de son prédécesseur Boyko Borisov en février, sous la pression de la rue. Apres un mois et demi de manifestations quotidiennes, les Bulgares ne semblent pas prêts à baisser la garde. Si les manifestants se comptent désormais par centaines plutôt que par milliers, ils semblent avoir trouvé un bon moyen d'occuper leurs longues soirées d'été.

@GlennCloarec

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Face au bâtiment qui abrite le Premier ministre et son gouvernement, l'homme en bleu en appelle au soutien des pays occidentaux tandis que son ami annonce que le gouvernement bulgare va devoir arrêter de sucer le sang du peuple et se mettre à sucer des bites.

Comme beaucoup d'autres, ce contestataire lève son drapeau bulgare sur la place de l'Indépendance, face au Cabinet ministériel. L'omniprésence du drapeau bulgare dans les manifestations doit se lire comme un symbole d'union et d'unité du peuple et non comme une revendication nationaliste.

Ce manifestant compare le défunt Parti communiste à l'actuel Mouvement des droits et libertés, le parti turc du pays, partenaire de la coalition socialiste à la tête du pays.

Le 19 juillet, la manifestation a pris pour la première fois un nouvel itinéraire, à la surprise de la police, qui a par la suite rappliqué en force, sans pour autant entraver la bonne marche du cortège, qui a traversé le centre-ville pour finir à l'endroit habituel, face au Parlement.

La tête du cortège, le 19 juillet, pour le 36e jour de protestations. Présent au lieu de rassemblement tous les soirs dès 18h30, il semblerait que ce cow-boy bulgare, au centre, n'ait raté aucune manifestation depuis le début du mouvement.

Le 20 juillet, une troupe de manifestants déguisés en dirigeants du pays paradaient en tête du cortège. Sont ici caricaturés Boyko Borissov, ancien Premier ministre, démis de ses fonctions sous la pression de la rue après trois ans de pouvoir, en février dernier ; Serguei Stanichev, ancien Premier ministre, ancien dirigeant du Parti socialiste et actuel leader du Parti socialiste européen et sa femme (au centre), enchaînée à lui, Monika Yosifova, agent des relations publiques.

Ce mec est déguisé en Volen Siderov, le dirigeant du parti d'extrême droite Attack. Très controversé en Bulgarie, il a été élu en début juin au poste de chef de la commission parlementaire d'éthique et de lutte contre la corruption. Le Parlement l'a néanmoins démis de ses fonctions un mois plus tard. Siderov ne soutient pas les manifestations et a insulté ses participants au début du mois.

Les manifestants devant la cathédrale Aleksander Nevski, voisine du Parlement. Rejetant la classe politique dans son ensemble, les manifestations n'ont pas été récupérées par un parti ou un quelconque syndicat. Les manifestations bulgares sont incroyablement bruyantes : les gens s'époumonent à tout va, et de nombreux sifflets, trompettes, cloches et vuvuzelas se font entendre jusqu'à plusieurs centaines de mètres à la ronde.

Jimmy Akordeon était posté à quelques mètres du Parlement pour le 40e jour de manifestations. S'il dit soutenir le mouvement, il m'a surtout interrogé sur les modalités pour venir en France, arguant que son pays était pourri.

Avant d'arriver à Sofia, j'avais lu quelque part que la police bulgare disposait de Mercedes et de Porsche 911. Au final, je n'ai quasiment vu que des Lada vieilles d'au moins dix ans. Celle-ci est garée devant la Banque nationale, quelques minutes avant le début de la manifestation.

Le 23 juillet, vers 22 heures, un bus est venu récupérer une centaine de ministres, parlementaires et journalistes bloqués depuis déjà deux heures dans le Parlement encerclé. Les manifestants ont bloqué les trois accès grâce à des barricades de poubelles et de pavés. À 2 heures du matin, la police a évacué la place sous une pluie de projectiles, sans faire usage de lacrymo ou de canon à eau. Les parlementaires sont sortis vers 4 h 30 du matin, après neuf heures passées enfermés.

Construction d'une barricade autour du Parlement, vers 2 heures du matin, le 23 juillet. Le lendemain matin, par crainte de nouvelles barricades, et après avoir nettoyé et débloqué la rue, la police s'est affairée à démonter tous les pavés du trottoir. Le 26 juillet, soit trois jours plus tard, ce trottoir était toujours dépavé.

Arrestation de deux manifestants pour refus d'obtempérer, devant l'Université. Ils refusaient de bouger de l'endroit où ils s'étaient assis.

Heurts entre manifestants et policiers, vers 3 heures du matin, devant l'Université.

Après avoir prié de longues minutes, cet homme s'est allongé au milieu de la rue, face aux policiers. Les bras tendus, il imite la croix du Christ.

Un policier anti-émeutes au bout du rouleau, le 23 juillet, vers 3 heures du matin. Le gouvernement a donné l'ordre aux forces de police de ne pas agir avec brutalité. Aucun mort ou blessé grave n'est à déplorer depuis le début de l'été bulgare, il y a environ deux mois.

Construction sous le nez de la police de la dernière barricade de la nuit, le 23 juillet à 5 heures du matin, par la trentaine de manifestants toujours à l'œuvre. Quelques instants plus tard, les policiers procéderont à quelques contrôles d'identité et arrestations, avant de nettoyer les rues pour certains, et d'aller se coucher pour les autres.