Mardi dernier, Human Rights Watch diffusait un rapport dénonçant les violences policières contre les migrants et demandeurs d'asile installés à Calais.Sur la quarantaine de témoignages recueillis par une chercheuse de l'ONG, 19 personnes auraient été maltraitées par la police, tandis que 8 d'entre elles ont souffert de membres fracturés ou « d'autres blessures visibles ». Cette enquête a débuté au mois de novembre, au moment où j'entamais ma deuxième visite sur place.
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J'ai réalisé ce reportage sur plusieurs semaines entre septembre et novembre, dans l'enceinte de l'usine de produits chimiques Tioxide située dans la Z.I. des Dunes à la périphérie de Calais. Mon intention était de montrer qu'au-delà des tribulations du quotidien, les migrants mettent en place des stratégies pour assurer leur subsistance et préserver leur dignité. La jungle Tioxide est un village dans la ville : avec son coiffeur, ses restaurants informels, et même son église orthodoxe.
Depuis les dernières expulsions de mai et juillet 2014, les migrants ont été dispersés à la périphérie de la ville. Faute de mieux, ils se sont installés près du port de Calais sur les larges terrains de Tioxide. Cette usine classée SEVESO fabrique des pigments et des solutions pour engrais. Parmi les matières utilisées, le chlorure de titane est explosif et le soufre est inflammable.Sur cette zone à risques vivent plus de 500 hommes, femmes et enfants originaires d'Erythrée, d'Éthiopie, du Soudan et d'Afghanistan. Certains migrants sont contraints de se laver dans les eaux polluées de l'usine, d'autres cuisinent dans des casseroles noircies par le feu de bois, les enfants en bas-âge jouent près des déchets ménagers.
Les associations sont à pied d'œuvre mais naviguent par vents contraires. Les pouvoirs publics se cantonnent à une approche légaliste à l'égard d'une population fragile : réfugiés politiques, demandeurs d'asiles, mineurs isolés, femmes et enfants. Avec l'hiver, la situation s'est détériorée et les derniers arrivés sont les plus mal lotis. À proximité du camp, le Réveil Voyageur apporte régulièrement du pain, de la confiture et des boissons chaudes. En quelques minutes il n'y a plus rien, tant les besoins sont considérables.
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Les uns sont parvenus en France après une traversée de la mer Égée, les autres par la Libye qui les réprime avant d'affronter la mer Méditerranée vers les côtes italiennes. La plupart arrivent dans le Calaisis épuisés et sans argent. Sans ressources, ils prennent plus de risques pour rejoindre l'Angleterre. Dans un élan spontané, ils peuvent saisir l'opportunité d'un embouteillage sur l'autoroute pour monter en plein jour dans les camions.
D'autres préfèrent se rendre de nuit sur les parkings à proximité des zones de fret. Slimane est d'origine soudanaise, il a 17 ans : « J'étais dans un camion sur le parking, quand des policiers sont arrivés. Ils ont gazé l'arrière du véhicule et l'un d'entre eux m'a battu à coups de poings ». Sa main est cassée au niveau du 5e métacarpien, une fracture courante chez les boxeurs.Il n'y a pas eu d'évacuations pendant mon reportage, mais j'ai pu observer les forces de l'ordre faire des rondes dans l'enceinte de Tioxide, pour estimer le nombre de migrants. Après mon départ, ils ont été regroupés près du gymnase désaffecté avec pour conséquence une hausse de la promiscuité et une dégradation des conditions sanitaires. Par conséquent, l'autoroute est devenue moins accessible. Des CRS ont été déployés sur les collines qui surplombent la jungle, ils tirent des grenades lacrymogènes quand des migrants tentent le passage. Un migrant dépité, m'a confié : « En Erythrée on nous tire dessus, ici c'est des grenades lacrymo ! Nous voulons juste vivre une vie normale, en sécurité ».
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Souleymane, 26 ans m'a parlé des conditions de vie dans la Jungle de Calais. Il est aujourd'hui dans un centre pour migrants en Belgique.« Lorsque je suis arrivé à Calais en juillet 2014, j'ai essayé de passer en Angleterre en me cachant dans un camion, mais la police m'a repéré lors d'un contrôle portuaire. Le premier soir, j'ai dû dormir dans la jungle à même le sol. Au fil des jours, j'ai sympathisé avec des Érythréens et des Soudanais. Nous avons construit des petites cabanes en découpant de gros rondins de bois, structure sur laquelle nous avons fixé de grandes bâches. Nous arrivions à nous cotiser pour la nourriture et achetions chez Lidl de la farine, des pâtes, de la sauce tomate pour cuisiner du porridge et d'autres plats simples. Chaque jour nous allions chercher de quoi faire du feu dans les sous-bois environnants.Depuis novembre le froid était devenu persistant et faute d'argent, nous mangions peu : j'ai perdu huit kilos en cinq mois à Calais. Les contacts avec ma famille ne sont pas fréquents, ma situation est toujours incertaine et je n'ai pas envie de leur mentir. Après cinq mois sans réussir à passer en Angleterre, j'ai donc décidé de partir en Belgique et d'y faire ma demande d'asile. J'espère qu'elle pourra aboutir compte tenu de la situation très instable dans mon pays. Ici, je veux finir mes études et trouver un travail pour aider ma mère restée en Érythrée. »
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Lors de ma seconde visite dans la jungle Tioxide en novembre, la situation avait empiré : plus de promiscuité liée à l'augmentation du nombre de migrants dans le campement, des températures en chute libre, des conditions sanitaires aggravées et plus de tensions entre migrants.Malgré ces conditions, près de la moitié du groupe que j'ai suivi a trouvé une solution en Angleterre, Belgique ou en Allemagne. Quelques-uns ont effectué une demande d'asile en France, malgré les délais de plusieurs mois et les faibles chances d'aboutir. Les autres (environ 30%) essayent toujours de passer en Angleterre, via Calais ou Dunkerque.Retrouvez le reportage complet de Guillaume sur son site.