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J’ai eu le cancer à 20 ans, et j’ai survécu

Aujourd'hui, on me dit que j'ai été fort et courageux – j'imagine que c'est quelque chose de socialement acceptable à dire, même si je n'adhère pas à ce point de vue.

L'auteur de l'article, après une séance de chimiothérapie

« D'une certaine manière, on peut vous soigner – même si on n'emploie pas vraiment le terme guérison », a soupiré l'hématologue. « Rémission est plus approprié. »

J'étais là, à écouter mon hématologue déblatérer sur mon pronostic vital. Je suis un simple mec de 20 ans qui vient de remporter la cagnotte à la loterie du cancer, l'un des huit adolescents et jeunes adultes diagnostiqués chaque jour en France. Ce jour-là, c'était mon tour. Ce que je connaissais comme étant simplement un chiffre dans les magazines datés des salles d'attente de cabinets de médecins est devenu une accablante réalité – mon accablante réalité.

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Mis à part le diagnostic, la vie s'était montrée plutôt sympathique envers moi : ma première petite amie et moi, on vivait quelque chose de sérieux depuis presque quatre mois. On s'était rencontré alors que j'avais tout juste quitté ma France natale pour m'installer en Grande-Bretagne, où j'étudiais dans le cadre du programme Erasmus.

Avec le recul, tout ça a rendu la nouvelle un peu plus indigeste. Pour la première fois, j'avais quelqu'un dans ma vie dont le bonheur m'importait plus que tout au monde. J'avais aussi le sentiment que mon traitement allait mettre un terme à ma routine faite de house parties, de boîtes de nuit et d'insouciance, où je n'avais pas à penser au lendemain – à tout cela seraient substitués aiguilles dans mon cathéter, scalpels sur mon corps ou le bruit tambourinant d'une machine alors que je gisais sur mon lit, conscient de ma propre mortalité.

Comment avais-je pu en arriver là ? Au début, il y a eu ce nœud lymphatique qui s'est mis à enfler pendant les premiers jours d'été. Ensuite, le laxisme de mon médecin traitant, qui n'a pas vu l'urgence de la situation, à deux reprises.

Après cela, j'avais fait ce qui semblait être la chose à faire en errant sur Doctissimo et autres forums pour un auto-diagnostic. Ce que j'avais lu était plutôt rassurant : neuf fois sur dix, le grossissement est symptôme d'une infection bénigne – du moins, c'est ce que présageaient certaines personnes qui m'étaient complètement étrangères. Juste pour me rassurer, j'avais décidé d'aller rendre une ultime visite à mon médecin traitant pour m'assurer que Dr. Google ne se foutait pas de ma gueule – qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter en face de cette protubérance qui, peu à peu, remplaçait mon cou.

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On m'a ensuite envoyé aux urgences, où j'ai suivi une série de tests pour déterminer la cause de l'infection. Deux semaines plus tard, mon téléphone sonne. On m'invite au centre hospitalier, car tous les résultats sont négatifs. Les spécialistes commencent à envisager des causes « plus sérieuses ». S'ensuit une succession de tests médicaux – incluant anesthésie / l'incontournable robe exhibitionniste d'hôpital / chirurgiens me découpant au scalpel.

L'auteur après une biopsie sur son nœud lympathique

Trois semaines plus tard, me voilà chez un spécialiste, de retour en France. L'hématologue m'informe ce que j'ai toujours eu trop peur de m'avouer, bien que la possibilité ait été ancrée dans mon esprit depuis quelque temps.

« Il semblerait que nous ayons trouvé des cellules anormales durant la biopsie. On les appelle les lymphomes non-Hodgkiniens. Il existe plusieurs types de lymphomes ; votre cas est celui d'un lymphome diffus à grandes cellules B. »

Le mot « cancer » est finalement lâché, difficilement.

Mon cœur s'emballe ; je ne sais plus trop quoi penser, ni quoi dire. Que faire lorsque le docteur se lance dans un interminable diagnostic que je n'avais pas envie d'entendre et que j'avais paradoxalement attendu pendant des mois ? Lui dire merci ? Non. À ce moment là, tout ce dont j'étais capable, c'était de rester là, hébété, avec l'impression que l'on aurait drainé toute volonté, sentiment, désir – en gros mon existence – hors de leur réceptacle.

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Après des hochements de tête aux tentatives qu'émet mon hémato de me rassurer en m'expliquant que le lymphome est le cancer pour lequel les traitements sont aujourd'hui en général les plus probants, je n'arrive pas à m'empêcher de penser que je suis puni pour quelque chose qui dépasse mon entendement. Impossible d'envisager le futur, rendu opaque par la possibilité que je puisse mourir. Je n'ai aucune idée non plus de la manière dont annoncer tout cela à mes amis et ma famille. Je trouve l'idée d'imposer mon fardeau à mes proches – et surtout ma petite-amie – égoïste. J'ai même envisagé de la quitter pour lui éviter de longs mois de souffrance qu'elle ne méritait pas.

Les semaines qui suivirent se sont focalisées autour de tests plus épuisants les uns que les autres - incluant IRM, PET scans, tests de fertilité et chirurgie - qui allaient en dire plus sur l'avancée de mon cancer. Alors que je ne laissais rien transparaître sur mon visage, je passais mes nuits terrifié, ressassant constamment dans mon esprit l'idée que je puisse quitter ce monde, comme ça, sans même avoir eu le temps de prévenir.

L'auteur après sa première chimiothérapie

Ensuite, j'ai commencé la chimiothérapie. Je n'arrivais pas à me faire à l'idée de perdre mes cheveux. C'est vrai, qui est chauve à 20 ans ? Je crains le pire : ressembler à une version 2015 de John Travolta. J'avais même pensé à demander une perruque à mon médecin. J'avais honte de ma superficialité pour le penser, mais j'avais peur que ma copine ne me trouve plus attirant. J'associais perte de cheveux à perte d'identité.

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Un matin, je me suis réveillé couvert de cheveux que j'avais perdus pendant la nuit. Je me suis procuré un rasoir et me suis débarrassé des touffes qui avaient survécues. Je me suis habitué au look rapidement, puis j'ai laissé tomber le bonnet que je ne quittai plus, inquiet d'attirer la pitié de mes pairs. Cependant, j'avais eu le temps de rationaliser et de voir les choses sous un autre angle : qu'est-ce que la perte de cheveux temporaire comparée à la perte de ma vie ? Pour les quelques personnes avec qui j'avais partagé mon diagnostic, j'apparaissais comme une malheureuse victime du sort ; aux autres, comme un mec chauve. Peut-être même comme un skinhead sans Dr. Martens, ce qui n'est pas si mal après tout. J'avais accepté les deux regards avec une sorte de résignation dédaigneuse.

La chose que j'avais le plus de mal à avaler à propos de mon cancer, c'était de ne pas pouvoir lutter contre cette merde. Il existe plein de théories, plutôt amusantes et un peu débiles selon lesquelles boire du jus de canneberge ou de mangue peut accélérer la guérison. Il n'était pas vraiment difficile de lutter contre le cancer en lui même, physiquement. À part des nausées post-chimio, j'ai eu la chance de bien réagir et surtout de ne pas vomir, contrairement à ce que l'on m'avait promis.

C'est l'attente qui me rongeait le plus – premièrement, combien de temps pouvais-je encore tenir à attendre les mots « vous êtes en rémission » ; et deuxièmement, l'attente avant de pouvoir voir celle que j'aimais en Angleterre. Bloqué en France, le cancer m'avait séparé d'elle et de mes nouveaux amis. Alors qu'ils dépensaient leur argent en profitant de la vie, je dilapidais le mien dans le loyer d'une maison que je n'habitais plus et dans des voyages de deux jours en Angleterre – ma manière de lutter contre la maladie, de lui faire comprendre qu'elle ne pourrirait pas ma vie.

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J'étais aussi séparé du reste du monde. Je ne pouvais pas trouver les mots pour en parler à ma famille ; l'idée de parler à des psychologues me paraissait absurde ; et envisager la discussion avec le docteur semblait relever du fantasme. Comment aurais-je pu être compris par des gens qui répondait aux questions qui me terrifiaient par des platitudes, me faisant passer pour un idiot de les avoir juste posées ?

Il ne fait aucun doute que les spécialistes en savent énormément sur les traitements, pronostics et chimiothérapie. Pourtant, ils ne semblent pas savoir – ou ne sont pas enclins à dire – à quel point le cancer est synonyme de solitude ; comment les gens déguisent leur compassion sous des regards de pitié mal dissimulée ; comment, au final, on se retrouve seul avec ses peurs.

La plupart des gens qui souffrent de la même affliction et avec qui j'ai pu parler ont tous adopté le même état d'esprit : ils voulaient simplement qu'on les regarde comme des êtres humains normaux, pas comme des cancéreux mourants. C'est normal si vous y réfléchissez, l'idée même illustre avec perfection la manière dont le monde regarde vulgairement le cancer. La première question qu'on me posait quand je mettais les gens au courant de ma maladie était si j'allais bien – et par cela ils voulaient dire « Es-tu mourant ? » – comme si j'étais condamné à mourir avec les mots « en phase terminale » tatoués sur mon front.

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L'auteur et sa petite amie

Pour finir, après quatre sessions de chimiothérapie, étalées sur une période de près de quatre mois, on m'a déclaré en rémission. J'ai survécu au cancer et accessoirement à la bouffe plastique de l'hôpital. Un an plus tard, je peux enfin vivre une vie normale et je suis de nouveau près de ma copine, loin des lits d'hôpitaux et des robes exhibitionnistes.

Cependant, avant d'être déclaré « guéri », je dois passer des contrôles de routine tous les trimestres pendant encore trois ans et demi.

Aujourd'hui, on me dit que j'ai été fort et courageux d'avoir lutté contre le cancer à 20 ans. J'imagine que c'est quelque chose de socialement acceptable à dire, même si je n'adhère pas à ce point de vue. Je n'ai pas été plus brave que chanceux – surtout d'avoir eu des gens autour de moi. Chanceux que la chimio ait fonctionné. Heureusement, j'ai pu voyager tout en étant malade, la promesse d'une réunion avec celle que j'aimais me poussant vers l'avant.

Je ne suis pas sûr de savoir en quoi l'épithète « courageux » peut m'être décerné, et pour être honnête cela me met plutôt mal à l'aise. Je n'ai jamais été – et ne serai jamais – courageux. J'étais complètement terrifié. Putain de terrifié. J'ai juste fait ce que la plupart des gens auraient fait dans de telles conditions : m'accrocher à l'espoir.

La plus grande question qui traverse mon esprit sans arrêt aujourd'hui est « Comment vivre une vie normale ? » Comment envisager le futur quand les chances de rechuter sont toujours présentes ? Comment penser à avoir une vie de famille alors que la chimiothérapie a quasiment ruiné mes chances d'avoir un jour des enfants ?

J'imagine que pour moi – pour empêcher ces questions de me tourmenter – il s'agit d'écrire. C'est plus facile pour moi d'exprimer mes sentiments sur un papier blanc, comme dans cet article – lettre à moi-même en quelque sorte - que ça l'est vocalement.

Aujourd'hui, j'ai toujours peur. Parce que finalement, qu'est-ce qui peut être fait d'autre en attendant de voir ce qui va se passer ? Je n'en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c'est que je suis reconnaissant d'être en vie.

@RobinCannone