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Interviews

Ce que ça fait de grandir dans la Mafia

Frank DiMatteo nous a parlé de son enfance aux côtés des frères Gallo.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Frank DiMatteo

DiMatteo (à gauche) et le gang vers 1970. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Frank DiMatteo

On ne dénombre même plus les représentations de la Mafia à l'écran. Comme souvent, la pop culture a glorifié un mode de vie – celui des gangsters – et une philosophie – celle de l'homme d'honneur – sans aucun regard critique. Pourtant, la réalité n'a rien à voir avec Les Affranchis ou Le Parrain. Dans les rues de Brooklyn, la vie est difficile et, souvent, s'associer à la pègre représente la seule option.

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Frank DiMatteo est né à Red Hook, un petit quartier de Brooklyn, et a été élevé dans une famille de tueurs à gages. Ayant grandi avec Joe « Crazy » Gallo, qui lui pinçait les joues jusqu'à ce qu'il pleure, son enfance ne pouvait être qu'aventureuse. Dans son nouveau livre, The President Street Boys: Growing Up Mafia, sorti le 26 juillet, DiMatteo raconte ce que ça fait de grandir au sein de la pègre.

Son père et son parrain étaient tous deux des hommes de main pour le compte des frères Gallo. Son oncle était garde du corps pour Frank Costello et capo au sein de la Famille Genovese. DiMatteo a abandonné l'école à un âge précoce et a commencé à traîner avec la famille Gallo, une faction de la famille Colombo. Il était au premier rang lorsque Gallo a déclenché une guerre pour prendre le contrôle de la famille Colombo.

DiMatteo se désigne comme un « survivant » de la Mafia. Alors que beaucoup de ses pairs ont terminé leur vie dans le coffre d'une voiture ou au fond de l'eau, DiMatteo, 58 ans, s'en sort plutôt pas mal. Contrairement à beaucoup de mafieux qui ont raconté leur histoire, DiMatteo n'est pas une ordure. Il a quitté la pègre au début des années 2000, son intégrité intacte, et vit toujours à Brooklyn. Il nous a expliqué ce que ça faisait de travailler pour la pègre à son apogée, en quoi la culture des années 1960 a changé la donne, et ce qu'il pense de la mafia moderne.

VICE : Comment était-ce de grandir dans une famille mafieuse à Brooklyn dans les années 1960 et 1970 ?
Frank DiMatteo : À huit, neuf ans, je m'en fichais complètement. J'étais trop occupé à être un enfant. Je ne comprenais pas les trucs de la Mafia, parce qu'on n'en parlait pas vraiment et qu'il n'y avait pas autant de livres et de journaux que maintenant. À dix ans, j'ai remarqué que mes oncles étaient très différents des autres personnes. Ils chuchotaient tout le temps, il y avait beaucoup d'allées et venues et ils s'habillaient différemment des autres familles. À 12 ou 13 ans, je connaissais tout le monde. À 13 ans, j'ai commencé à faire leur chauffeur et à apprendre la vie. Je savais exactement ce qui se passait et j'étais au courant de certaines choses. Je n'ai tué personne, mais j'allais dans les clubs avec eux. Je les conduisais ici et là parce que j'étais grand. Je ressemblais à maintenant, en beaucoup plus jeune. À 13 ans, je faisais déjà 1m82. Ces mecs fréquentaient un grand nombre de restaurants, de clubs et de bars. C'est surtout en faisant le chauffeur que j'ai compris ce qui se tramait.

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Mon parrain était Bobby B. – un tueur du clan Gallo. J'étais très proche de lui. J'ai été son chauffeur pendant quelques années, au début des années 1970. Bobby était un personnage, un vrai tueur, mais aussi plaisantin. Il pouvait se montrer drôle, mais seulement avec les gens qu'il connaissait. C'était un homme très étrange.

DiMatteo, avec la veste à rayures, au club San Susan, vers 1977

Était-ce un emploi régulier ? Connaissiez-vous les détails de votre travail ?
Personne ne me disait : « Hey, Frankie, laisse-moi te raconter notre programme de la journée en détail. » Ceux qui cherchaient à obtenir trop d'informations me faisaient peur, car nous n'étions pas là pour ça. Je n'avais pas à savoir. Certains me disaient tout et n'importe quoi. Je leur répondais : « Comment sais-tu tout ça, mec ? T'es pas censé le savoir. »

Comment était la vie dans la Mafia à l'époque ?
Chacun faisait son affaire. Qui cambriolait ? Qui volait ? Qui essayait de manger ? C'était le début des années 1970. L'argent ne coulait pas à flots. Nous n'étions pas des gangsters invétérés. Nous vendions des cigarettes pour nous faire un peu d'argent. Nous étions nombreux et tout le monde avait une personnalité différente. Qui était grincheux ? Qui était drôle ? Qui était un ivrogne ? Qui était un fumeur de cannabis ? Nous avions des Portoricains, des Syriens, un Juif. C'était comme un putain de cirque.

Comment était Joey Gallo ?
Joey est allé en prison quand j'avais cinq ou six ans. Il est sorti quand j'en avais 16 ou 17, donc je ne l'ai vu que pendant un an. Je pense qu'il en avait 71 ou 72. Joey était Joey. C'était un mec flippant. Ses yeux brillaient. Il souriait beaucoup. Mais il ne fallait pas se foutre de lui. D'un autre côté, si vous étiez avec lui, vous n'aviez rien à craindre. Il buvait beaucoup, aussi.

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Joey restait en ville avec mon parrain et Pete The Greek. On le voyait une fois par semaine, avec un peu de chance. Il descendait au club. C'était un mec timbré. Il n'avait pas peur. Il était comme la survivance des gangsters des années 1920. Il pensait qu'il pouvait faire ce qu'il voulait, dire ce qu'il voulait. Il pensait que personne n'allait lui tirer dessus, que personne n'aurait les couilles de le faire. Mais nous savions qu'il avait tort. Il était sorti de prison depuis seulement un an quand il a été tué.

Quelle a été l'influence des années 1960 sur la plus jeune génération de gangsters ?
Les années 1960 ont eu un impact sur les nouveaux mafieux. Ils étaient différents des mecs des années 1920 – qui faisaient tout pour sortir de la pauvreté. Ces mecs-là, de la fin des années 1960 et du début des années 1970, n'étaient pas autant affamés. Ils étaient méchants. Ils étaient à moitié fous. Tout a changé. Ils ne respectaient pas les règles des anciens. Ils s'en moquaient.

DiMatteo et sa femme, Emily, vers 1970

Comment avez-vous quitté la pègre et évité la prison ?
J'ai eu de la chance. Je suis très, très chanceux d'en être parti, surtout avec toutes ces nouvelles ordures. Mais je m'en suis éloigné comme si de rien n'était, comme si je partais après une journée de boulot. Le patron étant mort, personne ne m'a dit : « Non, tu ne peux pas quitter la mafia. » Tout le monde est parti. Nous avons eu de la chance.

Que pensez-vous des mafieux d'aujourd'hui ?
Ils ne savent pas ce qu'ils font. Ils sont jeunes. Ils ne connaissent rien. Beaucoup d'entre eux sont des ordures. Personne ne leur a enseigné quoi que ce soit. Ils se contentent de lire des livres et de prononcer le mot omerta.

La moitié des mecs en charge ont peur de tout. Ils sont devenus une putain de blague : plus personne ne les respecte. Toutes les autres mafias se moquent d'eux. Les Albanais se moquent, les Russes aussi. Ils n'imposent plus le respect. Ils n'escroquent plus personne. Le pire, c'est que sur ces 200 ordures, personne n'est mort. Pas une seule ordure n'est morte et ils se baladent en toute liberté.

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