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Ce que les serveurs parisiens pensent vraiment de vous

En fait ils n'ont qu'une envie : que vous vous barriez le plus vite possible.

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Ce qu'il faut savoir sur les serveurs parisiens, c'est qu'ils ne sont pas différents de nous. Ils rient. Ils pleurent. Ils aiment. Ils haïssent. Bref, ils sont humains, et vous le font parfois sentir par l'intermédiaire de leur frustration, de leur impatience ou de leur état de fatigue manifeste. Récemment, j'ai découvert que derrière la nonchalance et l'impolitesse qu'ils revêtent se cache une souffrance intense : celle de vous servir, vous, vos goûts de merde et vos principes.

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Dans la plupart des pays anglo-saxons, on se plaint des serveurs parisiens : pour nos voisins disciplinés, il s'agit de types grossiers et malpolis qui manquent de professionnalisme. À ce point que, même lorsque le Guardian prend leur parti, le média britannique se heurte aux commentaires désabusés de touristes ayant eu affaire à tel ou tel Français malpoli, auquel ils n'ont « pas donné de pourboire ». OK !

Mais, au lieu de se plaindre de ces honnêtes travailleurs, il faudrait peut-être commencer par les plaindre. De fait, qu'est-ce qui les pousse à agir de la sorte ? Je spécule : leur job, qui requiert une énergie et une endurance sans limite. Je spécule encore : le fait que, selon Rue 89, un type travaillait 15 heures par jour pour un salaire mensuel de 1200 euros. Je spécule à nouveau : vous, et le fait que vous ne supportiez pas d'attendre deux minutes pour obtenir le mojito trop cher que vous venez de commander d'un air vengeur. Tout ceci est devenu évident pour moi quand j'ai vu des potes serveurs se jeter à mon cou en fin de journée, hurlant : « j'en peux plus putain, aide-moi ! »

J'ai demandé à l'un d'eux, Étienne [ce n'est pas son vrai prénom], qui travaille dans un bar couru du 19 e arrondissement, de me raconter ce qui l'énervait le plus dans son travail. Il m'a parlé des 17 km qu'il parcourt au travail tous les jours, des 200 personnes qu'il sert quotidiennement et m'a dépeint sa souffrance en huit portraits types de clients infernaux : vous.

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CEUX QUI ARRIVENT 5 MINUTES AVANT L'OUVERTURE
Catégorie de personnes : En général, il s'agit de retraités, mais ça peut être des gens qui ne travaillent pas et se lèvent tôt. Ils sont déjà debout depuis pas mal de temps. Ils sont là pour leur café matinal et sont horriblement chiants. À peine ont-ils posé leurs culs sur une chaise qu'ils sont au taquet : il faut les servir dès l'ouverture, pas à 9 h 04 ou 9 h 10 – mais à 9 h 00. De fait, ils aiment beaucoup parler parce qu'ils s'ennuient et qu'ils ont besoin de quelqu'un avec lequel débattre des péripéties télévisuelles de Julie Lescaut, Mimie Mathy ou de Téléfoot. D'autres en revanche recherchent le calme et sont complètement mutiques.
Fréquence : Tous les jours. Mais ils sortent de leur tanière et affluent en masse les jours où il y a du soleil.
Dernière rencontre : La journée de service commence à 9 heures, je me suis réveillé en vitesse et cherche à éviter tout contact social. Un type attend ; c'est un petit vieux. Je lui dis : « Par contre » tout en regardant ma montre et avec un ton sec, à la limite de l'incorrection, « on ouvre dans cinq minutes. » Lui me répond que ce n'est pas grave, qu'il a le temps et part s'installer. Il n'en a rien à foutre.

Dans ce type de situations, je marmonne quelque chose en jetant un regard assez méprisant parce que je sais que je suis parti pour une bonne journée de merde. Ce n'est pas parce que lui a le temps que moi aussi. Je hais ce type, je hais cette journée ; putain ! Je hais le monde !

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LES HABITUÉS
Catégorie de personnes : Ce sont des gens qu'on voit souvent. J'aime bien ceux qu'on connaît de vue : on sait ce qu'ils veulent, donc ça réduit considérablement le contact social indésirable. En revanche, les autres ne comprennent pas qu'un bar est composé de plusieurs serveurs distincts les uns des autres. Pour eux, on est tous une partie de la même entité. Le point positif, c'est qu'on a une grande marche de manœuvre avec ces types, puisqu'ils sont habitués, et donc qu'ils aiment venir ici et qu'ils reviendront. Le point négatif, c'est qu'ils n'échangeraient leur place d'habitués pour rien au monde. On le sait, alors on peut se permettre d'extérioriser un peu sur eux.
Fréquence : Tous les jours. Parfois même plusieurs fois par jour.
Dernière rencontre : Je m'approche d'une dame un peu rondelette. Elle me regarde avec un air confiant et me dit : « ce sera comme d'habitude ! » Je lui demande ce qu'elle entend par là, mais elle insiste : « comme d'habitude ! » Je la regarde droit dans les yeux et lui réponds : « écoutez madame, je ne vous ai jamais vue. Je ne sais pas ce que vous prenez d'habitude. Je sais bien qu'on porte tous le même tablier, mais vous devez confondre avec un autre, je pense. Donc, j'imagine que si vous voulez la même chose que d'habitude, ça ne sera rien puisque je ne vous sers pas d'habitude. Bonne journée. » Elle est restée là sans rien dire et mon collègue s'est occupé d'elle.

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Ces mecs arrivent au moment où j'ai besoin d'un soutien moral, d'un peu de chaleur. Eux offrent l'inverse : un silence méprisant.

LES MUETS
Catégorie de personnes : Ce sont souvent des quarantenaires qui exercent des professions libérales, sont free-lance ou autoentrepreneurs. Il s'agit donc de mecs aux cheveux grisonnants qui portent des chemises à carreaux, pas de chaussettes et sortent leur MacBook Air dès leur arrivée. Ils sont absorbés par leur activité, c'est-à-dire lire le journal ou écrire sur leur ordinateur. À l'opposé des autres, ils ne parlent pas du tout, ou s'expriment en onomatopées. En tant que serveurs, on est forcés de dire « bonjour », du coup c'est le minimum syndical qu'on exige en retour. Ce qu'ils n'offrent pas.
Fréquence : Ils sont là tous les jours. Ce qui les caractérise, ce n'est pas leur fréquence, mais le moment où ils arrivent : typiquement, il s'agit d'un moment de détente – pour eux comme pour moi – comme après le service de midi. C'est aussi un moment où j'ai besoin d'un soutien moral, d'un peu de chaleur. Eux offrent l'inverse : un silence méprisant.
Dernière rencontre : Je m'approche d'un couple installé en terrasse. Ils sont tous deux en train de lire le journal : je leur sors le « bonjour » le plus poli possible. Sauf qu'eux ne répondent pas. Je me penche vers eux et essaie un autre « bonjour » bref, civil, avec l'idée du « je vous le dis juste parce que c'est mon job, et que je déteste ce job, mais je déteste encore plus qu'on m'ignore, j'espère que vous comprenez bien cela, alors ne me faites pas chier et répondez-moi » derrière. Sauf qu'ils ne parlent toujours pas. Je recommence « bonjour, qu'est-ce que je vous sers ? » en faisant attention à ce que le « bonjour » sonne un peu comme un « Hé oh ! Bande de cons ! ». À ce moment, le type se tourne vers moi et dit : « Deux cafés. » Putain de merde. Je préfère dix fois parler de Fort Boyard à des personnes âgées à mobilité réduite que d'être ignoré comme ça par deux Parisiens bien portants à la gomme.

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LES PRESSÉS
Catégorie de personnes : Ils arrivent toujours avant le déjeuner, en regardant leur agenda. Tout comme le deuxième type d'habitués, leur conception du fonctionnement d'un café est rudimentaire. Pour eux, dire au serveur qu'ils n'ont qu'un quart d'heure suffit à faire comprendre au cuisinier qu'il doit se bouger le cul pour les satisfaire. C'est normal, ces types nous voient comme une sous-caste dont l'utilité première est d'assouvir leurs envies. Ils portent souvent des costumes, ont de la thune et viennent entre deux rendez-vous importants, parce que pour eux, le temps, c'est de l'argent. Leur stress est si contagieux que c'est avec eux que je fais ma première erreur de la journée – double expresso à la place d'un décaf – qui doit, bien entendu, vite être corrigée. Ça les stresse d'autant plus, vous comprenez.
Fréquence : Tous les jours, ponctuels comme une horloge. Ils arrivent à 13 h 10, repartent à 13 h 50. Ils se font le combo « entrée, plat, dessert et café » en 40 minutes.
Dernière rencontre : Juste après ma pause déjeuner – un cordon-bleu tout moite avec des pâtes au beurre – et juste avant le service de midi qui s'annonce infernal, un mec en costume avec un attaché-case en cuir, regarde sa montre et me demande si c'est possible de manger. Je lui dis que oui, mais il va devoir attendre cinq minutes, qu'on se prépare pour le service de midi.

« Oulaaaah, est-ce que vous pouvez faire vite ? Je suis très pressé. »

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À ce moment-là de la conversation, j'ai envie de lui dire que je suis là pour prendre sa commande et le servir. Il croit peut-être que c'est moi qui vais faire sa bouffe ? Le pire avec ce genre de mecs, c'est que je sais qu'il ne va pas arrêter de demander si la bouffe arrive, et qu'il ne va pas se déranger non plus pour m'envoyer demander au cuisinier dans combien de temps ce sera prêt. On est tous pressés mon pote. Si t'as pas le temps, fais comme les autres : prends un sandwich.

LES PAUVRES TYPES
Catégorie de personnes : C'est un mec au physique ingrat, en rendez-vous galant. Il a envie de faire rêver sa copine, de la traiter comme une princesse, mais le portefeuille ne suit pas. C'est aussi dans cette catégorie qu'entrent les gens qui se rencontrent sur Tinder, Meetic et autres sites de rencontres. À l'inverse du pressé, il sait qu'il ne vaut rien, sauf que lui, il en a un peu honte. Mais il ne peut pas s'en empêcher : il a envie de faire frétiller sa copine. Ce qui est, par ailleurs, tout à fait normal.
Fréquence : N'importe quand, tant qu'il peut choper des trucs gratos. Souvent, il arrive dans un moment inopportun, où je galère.
Dernière rencontre : Au moment de passer sa commande, le type a remarqué sur le comptoir qu'on distribuait des olives gratos. Il en demande. Au moment où je vais chercher les olives, le cuisinier m'annonce qu'on est à court de desserts ; merde, il y a une famille qui en a commandé cinq en terrasse. En revenant vers eux, le même type lève la main dans ma direction et demande : « vous m'avez pas oublié hein ? » Je me rapproche de la famille et leur annonce qu'il n'y a plus de desserts. La famille râle. Puis le type revient à la charge et me demande : « hé, est-ce que je peux avoir des cacahuètes ? » Quelle heure il est putain ? Où est-ce que je suis ?

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Je déteste ce genre de mecs avec ses petites olives, bien dénoyautées pour son petit confort, et ses cacahuètes. Sérieux, il a commandé tout ce qu'il pouvait avoir gratis : du pain et des carafes d'eau – il a même demandé de « l'eau de Paris ». Mec, c'est pas la soupe populaire ici, casse-toi !

Ces femmes pédagogues ont du vécu, des années de voyage derrière elles : elles savent. D'ailleurs, elles savent tellement qu'elles sont prêtes à nous apprendre notre travail.

LES SEMEURS DE TROUBLE
Catégorie de personnes : Ils sont impossibles à démarquer. Ça peut être tout le monde : vous, moi, n'importe qui. Ce sont ceux qui choisissent le pire truc sur la carte : les cocktails que le barman met trois heures à préparer, le gâteau dans la réserve ou n'importe quoi dans la chambre froide.
Fréquence : Tous les jours, ils viennent pendant la « limo » – c'est tout le moment entre le service du midi et soir où l'on ne sert plus à manger à part des gâteaux.
Dernière rencontre : Le service de midi s'est un peu éternisé. Il y a un groupe de filles qui vient de s'installer à une table. Je me jette sur elles, sachant que j'aurai enfin ma pause clope dès qu'elles seront servies. L'une d'elles, la plus enrobée, veut une glace saveur mangue-fruit de la passion. Ses copines commandent toutes le cocktail le plus long à préparer. Il est 15 h 10, et le cuisinier vient de rentrer chez lui.

Du coup, je dois demander au barman de préparer quatre cocktails pendant que je me tape le voyage jusque dans la chambre froide, où il fait moins 20 degrés, passer à travers le rideau de porte de plastique moite, aller chercher sa putain de mangue-passion, dans un petit compartiment tout en haut du congélateur – que je suis trop petit pour atteindre.

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Je sais que ces meufs ont juste envie de passer un bon moment entre copines, mais je suis trop emporté par mon émotion pour faire abstraction de la paranoïa latente qui s'empare de moi : ces connasses le font exprès pour me faire chier.

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LES CORRECTEURS
Catégorie de personnes : Il s'agit souvent de femmes entre deux âges, un peu pédagogues. Elles ont du vécu, des années de voyage derrière elles : elles savent. D'ailleurs, elles savent tellement qu'elles sont prêtes à nous apprendre notre travail. Elles sont en haut de l'échelle de la condescendance et potentiellement mal baisées.
Fréquence : Environ deux fois par semaine.
Dernière rencontre : Une cinquantenaire assise en terrasse me demande si on a du thé. Je lui réponds que oui, ce à quoi elle rétorque : « quels types de thé ? » Je me rappelle avoir vu sur la carte un Sencha, et elle a une tête à aimer ce genre de conneries, alors je lui dis quelque chose d'approximatif avec une pointe d'enthousiasme : « en ce moment, nous avons un bon thé japonais, le Sencha, si vous voulez. »

« Chinois plutôt, vous voulez dire ? » Elle baisse ses lunettes d'un demi-centimètre et me lance le regard le plus méprisant au monde, comme une maîtresse à un élève qui vient de lui dire un truc même pas absurde – insignifiant. « Je veux bien. »

Je m'en branle un peu, j'y connais rien en thé, mais son air hautain m'irrite horriblement. Au bar, je vais chercher un sachet. Sur l'emballage est écrit : « Sencha : thé vert japonais ». Salope.

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LES TYPES QUI ONT DES PRINCIPES
Catégorie de personnes : Vieux gauchistes contrariés n'ayant pas de télé chez eux mais des convictions plein les poches, dont celle-ci : ne jamais payer plus que ce pour quoi on a payé. Donc : jamais de pourboire.
Fréquence : C'est l'oiseau rare. On le voit une fois par semaine, principalement parce que les gens qui ont des principes habitent en province.
Dernière rencontre : Mon dernier client de la journée. Il en avait pour 9,50 euros d'addition. Au moment d'encaisser, il me demande si on prend la carte. Comme tous les bars du coin, on ne prend la carte qu'à partir de dix.

« Ah, c'est bien embêtant, pour cinquante centimes, ce n'est pas possible de s'arranger.

- Désolé, on a malheureusement des consignes strictes et on ne prend la carte qu'à partir de 10 €. »

Je me dis qu'il va abandonner l'idée et accepter l'idée de régler 10 balles par carte ou de me filer un pourboire pour compenser. Du coup, je lui fais :

« Si vous voulez, il y a un distributeur à 800 mètres à gauche en sortant du parc. » Bien entendu, impossible de le voir depuis le bar, juste assez loin pour le décourager.

« Très bien, où exactement ? »

Ce type n'est pas le genre de mec qui t'encule en partant sans payer, non il a des principes. Il va marcher 800 mètres, va retirer. Reviens, fais 800 mètres en plus, et te donne un billet de 10 pour récupérer ses 50 centimes, pour te prouver qu'il a des principes qu'il n'abandonnera jamais. Quitte à te faire finir ton service avec une demi-heure de retard.

Robin est sur Twitter.