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reportage

Ce que pensent les réfugiés de Lesbos des attaques de Paris

Sur l'île grecque qui accueille plusieurs milliers de réfugiés, l'heure est à la crainte de la diabolisation.

Toutes les photos sont de l'auteure

Dimanche matin à Lesbos, la vie continue sous un soleil de plomb. Les vêtements mouillés des réfugiés sèchent aux quatre coins de l'île, où les sacs de couchage et les tentes alentour font désormais partie intégrante du paysage. Dans la baie, certains font la queue pour obtenir les précieux billets qui les verront rejoindre leur destination. Des filles travaillant pour des compagnies de téléphonie mobile vendent des cartes SIM en répondant mécaniquement à la principale source de préoccupation : « Où peut-on avoir Internet ? ». Beaucoup de réfugiés cherchent à envoyer des messages via Facebook à ceux qui sont restés au pays, ou aux personnes déjà installées en Europe du Nord qui attendent leurs proches. D'autres fument le narguilé ou commandent des falafels dans de nouveaux restaurants adaptés aux goûts des nouveaux arrivants. Pendant ce temps, des taxis commencent leur boulot tôt dans la matinée, faisant l'aller-retour en boucle entre les camps de Moria et de Kara Tepe. Certains réfugiés ne savent rien des attaques qui ont touché Paris le 13 novembre. « On a voyagé pendant trois jours et trois nuits et on n'a eu aucune nouvelle. Que s'est-il passé ? » me demandent certains. D'autres refusent d'en parler, de peur que cela agisse comme un mauvais présage pour le reste de leur voyage. Au final, beaucoup de langues différentes se font entendre, toutes véhiculant le même message : « Nous ne voulons pas d'autre guerre. Nous ne voulons pas du terrorisme. »

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Fatima, 32 ans, avocate, Palestinienne du Liban

« Après les attaques de Paris, les Arabes vont faire face à beaucoup de problèmes parce qu'on dira que tous les djihadistes viennent illégalement depuis la Syrie en transitant par la Grèce. En réalité, les terroristes peuvent venir directement de France, de Turquie ou d'un autre pays. Nos enfants doivent en payer le prix, malheureusement. Ils sont innocents, ils n'ont pas d'arme ; tout ce que nous voulons c'est les élever dans un endroit sûr où ils peuvent manger, jouer et étudier. Les pays arabes sont dans une très mauvaise posture. Nous n'avons pas de salaire, pas d'électricité, pas d'eau. Ma fille est tombée malade au Liban à cause du problème des déchets non collectés. Nos droits ont été violés. Nous voulons nous sentir propres, à l'intérieur comme à l'extérieur. Être musulman signifie s'éloigner du terrorisme. L'Islam parle d'harmonie et de coopération, pas de massacrer des gens. Ces attaques n'ont rien à voir avec nous, pourtant elles souillent l'image de tous les musulmans. Nous sommes fiers et nous voulons des droits. Je suis reconnaissante envers les pays qui nous accueillent avec le sourire. »

Ibraheem Almahamid, 27 ans, étudiant en médecine, Syrie

« Il est absolument insensé de penser que les attaques ont été commises par des Syriens contre des pays qui nous sont venus en aide comme la France et l'Allemagne. Ils ont ouvert leurs portes. Pas un seul des pays arabes comme le Liban, la Jordanie ou l'Arabie Saoudite ne nous ont dit « Venez chez nous ». Si c'est l'État Islamique qui a perpétré les attaques, il est injuste de tous nous accuser. Qui est-ce qui a permis à l'EI de devenir plus fort ? Toutes les forces majeures impliquées. Et l'État Islamique n'a pas de croyance religieuse, il s'agit uniquement de politique. Je comprends qu'il y ait désormais un sentiment de défiance en Europe, mais nous ne sommes pas tous les mêmes. Je veux pouvoir continuer mes études de médecine et devenir cardiologue. Dès que la guerre en Syrie sera terminée, je serai le premier à retourner là-bas. La Syrie est mon pays, et je l'aime. Personne n'a envie d'en partir, c'est pour cette raison qu'on a mis cinq ans avant de se décider. Ma famille a perdu notre maison, notre argent, elle a tout perdu. On marchait dans la rue et des bombes explosaient à côté. À chaque instant, tu peux te trouver nez à nez avec un flingue pointé sur toi. Si on ne vient pas jusqu'en Europe, on mourra tous. »

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Umair Khan, 28 ans, économiste, et Ayat Khan, 26 ans, graphiste, Pakistan

« On veut aller dans un pays en sécurité. Je suis graphiste et mon mari est économiste, et on rêve de pouvoir travailler dans nos domaines respectifs. L'Allemagne a déjà accueilli énormément de réfugiés, et on pensait éviter d'ajouter à la charge du pays. Si la France en veut aux réfugiés pour les attentats, alors nous sommes à coup sûr dans une situation très délicate. Mais si nous n'avons pas d'endroit où aller dans nos propres pays et que nous bravons la mort afin d'avoir une chance de vivre, pourquoi serions-nous responsables d'une telle attaque ? Ceux qui l'ont fait se disent musulmans. Ce n'est pas le cas. Aucune religion ne prêche le terrorisme. On peut lire tout ce qu'on veut à propos de la chrétienté, de l'Islam, de l'hindouisme, du judaïsme, et voir qu'aucune n'appelle au meurtre. Nos cœurs saignent en pensant aux personnes tuées à Paris, et nous envoyons nos condoléances à leurs familles. Les personnes responsables ont ruiné la relation entre l'Europe et ses réfugiés.»

Javet, 18 ans, chômeur, Afghanistan

« La vie en Afghanistan est très dure à cause de l'État islamique et d'Al Qaïda. Je ne pouvais plus aller à l'école ni travailler car c'était trop dangereux. Je suis très heureux d'avoir réussi à atteindre l'Europe. Je pense que les choses vont être difficiles en France, mais j'espère aller en Allemagne où la situation est meilleure pour les réfugiés. Nous venons tous en Europe pour échapper au terrorisme et à la guerre. En Afghanistan, la situation est terrible pour les femmes et je n'aime pas ça. En Allemagne, je veux étudier, travailler et avoir une vie normale.»

Ismail Basha Anas, 33 ans, marbrier, Syrie

« Ce qui se produit en Syrie, nous ne voulons en aucun cas que cela arrive en Europe, ou dans n'importe quel autre pays. Nous ne voulons pas de problèmes, nous voulons simplement vivre en paix. Nous sommes à la recherche d'une vie meilleure. Nous voulons travailler – l'Amérique, l'Europe, la Russie devraient aider à mettre fin à la guerre en Syrie. J'ai peur de la perception qu'ils auront de nous à partir de maintenant, en Europe, mais chaque pays doit être capable de faire la part des choses. Si je suis en train de travailler toute la journée, comment pourrais-je être impliqué dans la tourmente après coup ? Notre religion nous interdit de tuer des gens. Nous ne voulons plus de guerre. »