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Les combats entre ours et chiens continuent de divertir les villageois pakistanais

On a discuté avec une organisation qui cherche à endiguer cette tradition vieille de trois siècles.

Un ours en plein combat contre deux chiens lors d'une fête de village pakistanaise. Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de la ​Protection mondiale des animaux

​Dans les régions pakistanaises du Pendjab et du Sindh, des combats où un ours est confronté à deux chiens sont fréquemment organisés pour divertir les foules lors des fêtes de village. ​Interdite depuis 1980 par le Pakistan, cette pratique, initiée en Asie au 18ème siècle, continue pourtant d'être une source de revenus pour certaines familles. Depuis 1997, la ​Protection mondiale des animaux, en association avec le Centre de Recherche de Bioressources du Pakistan (BRC), tente d'endiguer cette tradition tout en cherchant des alternatives financières pour les propriétaires des ours.

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Ces deux organisations auraient aimé remettre les ours en liberté, mais ils se sont vite rendus compte que c'était impossible. Ces animaux n'ont malheureusement plus la capacité de se défendre et de vivre de façon indépendante. Du coup, des sanctuaires ont été construits pour accueillir les ours et tenter de leur offrir les meilleures conditions de vie possibles.

Pour en savoir plus sur ces combats animaliers, j'ai parlé avec Catherine Coquerel, l'adjointe en communication de la Protection mondiale des animaux.

Trois ours anciennement utilisés pour le combat dans le sanctuaire Balkasar, qui tente de recréer leur milieu naturel

VICE : Bonjour Catherine. Combien d'ours sont actuellement utilisés pour les combats ?
​Catherine Coquerel : On a commencé à travailler au Pakistan en 1997. À l'époque, on estimait qu'il y avait 300 ours gardés pour les combats avec les chiens. En 2014, on a identifié encore 40 ours destinés aux combats. L'ours qu'on trouve le plus souvent est l'ours noir d'Asie. Il y a en a toujours des nouveaux car nous avons découvert que certains propriétaires reprenaient un nouvel ours après nous avoir remis leur premier animal pour qu'il soit placé au sanctuaire. Ils nous ont promis de ne plus participer aux combats et ont fini par revenir sur leur décision après plusieurs années de réflexion.

Comment se passe la capture des ours ?
​Ce sont des ours sauvages capturés bébés par les propriétaires eux-mêmes ou des gens qui travaillent pour eux. Dès la capture, leurs dents et leurs griffes sont arrachées pour qu'ils ne puissent pas se défendre pendant les combats. L'ours est gardé dehors, attaché et il est très peu nourri. Contrairement aux chiens qui font partie intégrante de la famille, l'ours est gardé à l'extérieur et il ne bouge pas. Leur corps est complétement ravagé. L'ours est un animal sauvage, donc être gardé en captivité est bien plus traumatisant pour lui au niveau psychologique et physique que pour un chien.

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Qu'en est-il des chiens, du coup ?
​Ce sont les mêmes propriétaires qui possèdent l'ours et plusieurs chiens. Ce sont tous des ​Gull Terriers que les propriétaires font se reproduire entre eux. Les chiens répondent très bien à l'entraînement qui consiste à blesser l'ours aux endroits les plus sensibles comme les oreilles et le museau. Les chiens sont également des victimes dans ces combats, mais on a constaté qu'ils avaient des conditions de vie parfois meilleures que celles de leur propriétaire. Par exemple, on a trouvé des chiens dans des chambres climatisées alors que le propriétaire n'utilisait même pas de ventilateur pour lui.

Un ours à terre lors d'un combat à une fête de village, ce qui devrait théoriquement marquer la fin de l'affrontement et la victoire des chiens

Comment se déroulent les combats ?
​Les combats sont organisés pendant les fêtes de village. La foule se réunit et forme un cercle pour y assister. Il y a aussi un propriétaire et un arbitre présents. Il y a normalement trois combats de trois minutes pour chaque ours. Ce n'est pas long, mais l'ours est complètement sans défense. Le combat se termine quand l'ours est assez blessé, quand la foule a été assez divertie – il n'y a pas de règles fixes. L'arbitre va déclarer le « gagnant » en fonction de la fatigue du chien et des blessures de l'ours. Les ours ne sont pas du tout soignés. Ça semble complètement fou, mais c'est uniquement pour divertir les foules. Les gens parient sur le gagnant, et le propriétaire peut se faire de 40 à 60 dollars à chaque combat. C'est pour ça qu'on essaye de leur trouver un autre moyen de gagner autant d'argent ou sinon plus.

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Qu'en est-il au niveau de la loi ? Les combats ont été interdits en 1980 par le gouvernement pakistanais.
​Les lois ne sont pas vraiment respectées au Pakistan. Si les propriétaires se font prendre, ils risquent une amende très peu élevée, ce qui ne les empêche absolument pas de continuer les combats. On travaille avec le BRC pour essayer de renforcer les lois et de les faire appliquer. Cependant, les propriétaires se trouvent souvent dans des lieux isolés et ont souvent beaucoup d'influence, ce qui leur permet de cacher leur activité illégale. Il faut les convaincre de changer cette habitude et cette tradition. Ça doit passer au niveau culturel, c'est pour cela que nous mettons parfois beaucoup de temps pour leur faire changer d'avis.

Les ours destinés au combat ont leurs dents et leurs griffes arrachées et leur museau percé d'un anneau.

Quelles sont vos actions pour empêcher les combats ?
​Nous agissons au niveau gouvernemental mais aussi culturel. Nous parlons aux gens qui ont beaucoup d'influence dans les mosquées. On leur fait des démonstrations, on leur montre des films pour qu'ils prennent conscience du problème. Notre but est qu'ils informent leur public. Les combats animaliers sont condamnés par l'Islam, donc les personnes d'influence des mosquées peuvent expliquer aux propriétaires d'ours qu'ils ne sont pas de bons exemples pour la religion. Les aspects religieux, culturel et social s'entremêlent. Il faut réellement changer cette mentalité et éduquer la population.

Vous allez aussi voir des propriétaires ?
​Oui, la plupart du temps, ils sont sur la défensive. On doit développer des relations avec eux pendant une année ou deux. On garde le contact, on essaye de leur parler et de travailler avec eux pour qu'ils changent leur mentalité. S'ils ne sont pas prêts à rendre l'ours, on peut déjà essayer de les convaincre de modifier leurs conditions de détention et de les soigner. Ça peut prendre plusieurs années. Pour l'année 2014-2015, nous nous concentrons sur 10 propriétaires et 40 ours car on ne connaît pas encore tous les propriétaires.​​

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Certains propriétaires acceptent de vous rendre l'ours ?
​Ça dépend. Certains comprennent que cette pratique est inhumaine et que ce n'est pas le seul moyen de se faire de l'argent. Ça ne fait pas partie de leur religion et ça ne devrait pas faire partie de leur culture. Si on leur propose un autre moyen de gagner autant d'argent ou même plus, pourquoi ne pas le suivre ? On espère leur faire comprendre que ce n'est pas normal de garder des animaux sauvages de la sorte.

Que proposez-vous comme alternative aux propriétaires ?
 Tout dépend de la communauté et ce dont elle a besoin, ça peut être une boutique de fruits et légumes ou de vêtements par exemple. On les finance au début pour qu'ils puissent commencer leur commerce dans les bonnes conditions. On garde le contact avec eux, on va leur rendre visite pour vérifier qu'ils gardent ce nouveau mode de vie.

Deux ours anciennement utilisés pour les combats dans le sanctuaire Balkasar

Est-ce qu'ils sont un peu réticents à cause du fait que ces actions viennent des Occidentaux et non pas des Pakistanais directement ?
​Évidemment. C'est pour cela que nous travaillons avec des organisations directement sur place. Il faut les comprendre, si un pays, même s'il est proche de sa culture, vient leur dire que leurs traditions et leur culture sont mauvaises et qu'il faut qu'ils changent tout, ça ne va pas fonctionner. Il faut donc travailler avec des gens qui parlent leur langue, qui sont de la même culture, de la même religion et donc de leur côté. J'essaye de me mettre à leur place. Nos contacts sur place communiquent constamment avec les propriétaire et le BRC.

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Quand a été crée le premier sanctuaire et combien d'ours s'y trouvent aujourd'hui ?
​Il y a eu un premier sanctuaire construit dans les années 1990, mais qui a été détruit dans des inondations. Le dernier sanctuaire, qu'on appelle Balkazar, a été construit en 2010 et fait deux fois la taille du précédent. Il peut accueillir jusqu'à 70 ours. En ce moment, il ne reste que 23 ours au sanctuaire sur les 47 que nous avions recueillis. Quatre sont décédés des suites de leurs blessures et vingt lors des inondations.

Comment se passe l'arrivée au sanctuaire ?
​Il y a une période où l'ours est placé en quarantaine pour qu'il soit examiné par les vétérinaires qui mesurent ainsi l'étendue « des dégâts ». Ils l'observent et identifient le moment propice où l'ours est prêt à vivre en communauté avec les autres. Certains sont agressifs et d'autres très peureux. L'ours est sous surveillance pendant un bon moment avant qu'on le laisse vivre librement dans l'enceinte du sanctuaire. Le sanctuaire n'est pas ouvert au public, c'est un endroit très protégé, même des animaux sauvages. On leur donne un environnement qui ressemble à leur habitat naturel, on leur cache leur nourriture pour qu'ils puissent la trouver en utilisant à nouveau leur instinct sauvage. On veut qu'ils vivent le reste de leur vie, aussi courte ou longue qu'elle soit, paisiblement. Il y a 65% de femelles et 35% de mâles.

Un ours rescapé des combats profite de sa nouvelle vie dans le sanctuaire Balkasar

À quel moment les ours arrêtent-ils « leur carrière » ?
​Les propriétaires changent d'ours quand ils ne gagnent plus d'argent avec. J'ai vu un ours qui avait été gardé plus de 20 ans. Le but n'est pas de tuer l'ours, sinon ils perdent leur source de revenus. Il faut juste le garder assez en forme pour qu'il puisse continuer à combattre. Même s'il est faible et ne réussit pas vraiment à combattre, il est quand même là. Les chiens sont blessés, mais de façon beaucoup plus superficielle.

Quels sont vos résultats pour cette année ?
​En 2013, 70 % des propriétaires qui ont rendu l'ours ont continué à suivre notre programme. 30% n'ont pas tenu leurs promesses et ont repris un nouvel ours. Cette année, avec l'aide de la communauté, notre équipe a pu éviter à 4 combats sur 6 d'avoir lieu. On leur explique qu'il y a d'autres alternatives pour s'amuser à une fête de village. J'ai même trouvé que les choses changeaient plus vite que ce que j'avais imaginé. Nous allons continuer à financer le BRC et le sanctuaire car ils ne peuvent pas fonctionner de façon indépendante.

Comment imaginez-vous la suite ?
​Imaginons qu' à la fin 2015, les 40 ours soient retirés à leurs propriétaires et soient placés au sanctuaire. Je ne pense pas que le travail sera fini, il faudra qu'on le prolonge pendant encore plusieurs années. Il faut s'assurer au maximum qu'il n'y aura pas à nouveau un propriétaire qui reprenne un ours pour le combat. Il ne faut surtout pas que les nouvelles générations retombent dans les combats. On devra rester présents sur le terrain car cette pratique est ancrée dans leur culture et leur mode de vie. On leur demande beaucoup en leur faisant modifier leur culture, c'est un travail sur le long-terme. Mais les mentalités commencent à vraiment changer.

Merci Catherine. Et bonne chance !