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Comment échapper à son passé néonazi

Une organisation allemande s'est mis en tête d'aider les ex-militants d'extrême droite à se réinsérer

Bernd Wagner, fondateur et leader de EXIT Deutschland.

EXIT Deutschland est une organisation antinazie qui aide les gens à se sortir des groupes extrême droite desquels ils ont fait partie, en vue de les réhabiliter. L’organisation a été crée par l’ancien inspecteur de police Bernd Wagner et l’ancien leader néonazi, Ingo Hasselbach. D’une certaine façon, elle est très similaire à un programme de protection de témoins – car quitter une cellule néonazie n’est pas une mince affaire et ceux qui décident de s’écarter du monde de l’extrémisme vivent dans la peur d’être attaqué par les personnes qu’ils essayent de laisser derrière eux.

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L'association s’est fait connaître l’an dernier grâce à son idée ingénieuse, les « Trojan T-shirts » (t-shirts piégés). Lors du dixième anniversaire du concert Rock For Deutschland organisé par les partis politiques d’extrême droite, des tee-shirts noirs avec des crânes imprimés arborant le slogan « Hardcore Rebels » ont été distribués gratuitement. Au premier lavage, l’imprimé disparaissait pour laisser place à ce message : « Vous pouvez faire comme ce tee-shirt – nous vous aiderons à quitter l’extrême droite. » Les organisateurs de Rock For Deutschland ont immédiatement réagi en envoyant un texto de masse pour prévenir ceux qui avaient assisté au concert, mais le mal était fait. À vrai dire, même certains membres de forums néonazis ont avoué que l’idée était bonne.

Le fascisme montre à nouveau son visage en Allemagne depuis quelques temps, en grande partie à cause du NPD, le Parti national-démocrate – à peine camouflé en « parti républicain nationaliste ». Plusieurs tentatives ont été faites pour interdire le parti (en 2003 et en 2011) et de nombreux politiciens ont demandé à ce que celui-ci soit banni lorsque des liens entre le NPD et plusieurs cellules terroristes nazies ont été dévoilés. Récemment, une de ces cellules, le Nationalsozialistischer Untergrund (soit, le Socialiste National Underground) a également été découverte. Entre les années 2000 et 2007, le NSU serait derrière les meurtres de huit commerçants étrangers et d’une policière. Malgré tout, les néonazis d’Allemagne – la plupart réunis en petits groupes – sont plus actifs que dans nombre de pays démocrates d'Europe et d'ailleurs.

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J’ai discuté avec Bernd Wagner, le président d’EXIT, criminologiste et expert en extrémisme de droite afin d’en savoir un peu plus sur son organisation et de sonder ses idées sur l’émergence des partis de droite en Allemagne et dans le reste de l’Europe.

VICE : Salut Bernd. Comment faites-vous pour aider les néonazis qui souhaitent laisser derrière eux leur vie au cœur de l’extrême droite ?

Bernd Wagner : Tout d’abord, on essaye d’avoir beaucoup de conversations individuelles avec ces personnes afin de se faire une idée de leur passé, de leurs objectifs, des obstacles qui pourraient compromettre l’opération et du niveau de menace auquel elles sont exposées ; à partir de cela, on tente d’établir le degré de protection nécessaire. Ensuite, une stratégie de sortie est préparée pour chaque personne. Chose importante : EXIT n’apporte aucune aide financière ou sociale. Nous pouvons fournir les contacts, de nouvelles perspectives et apporter des réponses à leurs questions concernant la sécurité ou leur reconversion sociale. Nous les conseillons dans toutes les situations possibles. Le désir de quitter le mouvement est nourri par les doutes de l’individu et la pression autour de ce changement de vie. Pour ces personnes, l’idéologie, le groupe et le mouvement ne valent plus rien.

À quel genre de dangers doit-on faire face lorsqu’on quitte un mouvement d’extrême droite ?

Quitter ce genre de milieu pose plusieurs problèmes. D’une part, celui qui part va devoir faire face à des menaces de violence physique, de torture psychologique, des persécutions et une possible dénonciation de ses ex « camarades ». En plus de cela, il ou elle se retrouve, pour une durée indéterminée, dans un « gouffre social », car ses anciennes relations sont rompues et un nouveau cercle d’amis et de connaissances n’existe pas encore. Si la personne est connue en tant que néonazie, elle entre dans un nouvel environnement de méfiance et de rejet. D’autre part, le retour au sein de la famille est également un problème après des années passées dans ce milieu. Et puis, il y a tout ce qui concerne les problèmes d’emploi, de société et d’éducation ainsi que le passé criminel. Puis d'autres conséquences encore que j'oublie.

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Ingo Hasselbach

Y a-t-il déjà eu des cas où un néonazi réhabilité finit par retourner vers l’idéologie d’extrême droite ?

Depuis l’an 2000, nous avons aidé 443 personnes. On compte seulement neuf rechutes.

Pas mal. Quel a été le cas le plus difficile ?

C’est un dossier resté « ouvert » pendant sept ans et qui n’est toujours pas véritablement réglé. Une femme et ses enfants ont quitté le mouvement il y a une dizaine d'années et leur père essaye de rester en contact avec eux (alors que lui est toujours dans le milieu néonazi). Il se trouve que les lois sur la famille sont totalement inadéquates en Allemagne pour ce genre de problèmes. Le père essaye de voir ses enfants et le système judiciaire n’est pas assez flexible pour répondre à ce genre de situation individuellement. La loi est simplement mal faite. C’est là qu’on voit la façon dont les droits de l’homme sont bafoués par la bureaucratie et la dureté de la juridiction.

Comment en êtes vous arrivé à travailler avec Ingo Hasselbach ?

Je le connais depuis le temps où je le surveillais en tant qu'inspecteur, quand il était encore un criminel très actif. Une fois qu’il a quitté le mouvement, nous avons développé une relation proche et nous avons eu l’idée de fonder EXIT en Allemagne.

Les fameux t-shirts piégés. Après un lavage, le logo « Hardcore Rebels » disparaît pour laisser place au message de l’organisation.

Le coup du t-shirt piégé, c'était une idée incroyable. Comment vous avez pensé à ça ?

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C’était une idée commune de l’équipe et d’un donneur anonyme chargé de développer la production des t-shirts. Ce genre d’actions publiques est une part importante du modèle EXIT. Elles sont nécessaires pour maintenir notre présence dans le mouvement. Dans le futur, nous prévoyons donc de réaliser d’autres opérations, similaires à celle-ci et en même temps complètement différentes.

Le nombre d’extrémistes qui font appel à votre soutien est-il en hausse ou en baisse ces temps-ci ?

C’est plutôt constant, je dirais.

Le NPD est le nouveau visage « acceptable » de l’extrémisme de droite. Ce groupe est-il dangereux pour la jeunesse allemande ?

Absolument, oui. Le parti joue un rôle relativement central de porte d’entrée vers d'autres mouvements plus violents. À l’aide de leurs propres organisations dédiées à la jeunesse, ils visent les écoles (notamment avec le Project Schoolyard) et les emplois jeunes (dans le milieu du sport, des sapeurs pompiers, des clubs, etc.). Le NPD est simplement l’un des centres de recrutement les plus importants de l’extrême droite allemande actuelle.

Pourquoi les efforts pour faire interdire le parti n’ont-ils jamais abouti, à votre avis ?

Parce qu’il y a tellement d’agents infiltrés occupant des postes importants au sein du NPD que le système judiciaire allemand n’arrive pas à décider si les informations récoltées contre le parti sont crédibles ou non. Aussi, comme souvent dans ce genre de cas, le problème a simplement été sous-estimé par les autorités.

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La plupart des partis d’extrême droite en Europe luttent activement contre l’immigration. Quelles sont vos vues sur la situation de l’immigration en Europe ? Est-ce que le sujet est simplement utilisé comme un outil par ces partis pour « justifier » leur racisme ?

Regardez les principaux arguments du NPD : l’immigration serait directement liée à la compétition sur le marché du travail ; ils veulent des compensations pour les politiques familiales ratées des démocrates ; les immigrés augmenteraient aussi la criminalité et le parasitisme social. Le NPD utilise l’immigration directement et ouvertement comme un moyen de recruter des électeurs et des membres. C’est un bon thème de propagande.

Enfin, le travail que vous faites est admirable mais il doit être épuisant, des fois. Y a-t-il eu des moments où vous avez eu envie de tout laisser tomber ?

Oui, malheureusement, et c’est même presque toujours le cas.

Pour en savoir plus sur EXIT Deutschland, allez voir à cette adresse