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Comment j’ai sombré dans l’anorexie et l’hypersexualité

Calories ingérées et partenaires vomis : ma vie de malade volontaire et la façon dont j'ai réussi à m'en sortir.

Comme Paris est grand comme un hall d'immeuble, en pleine période anorexique, j'ai fini par revoir revu un mec qui me trouvait « trop grosse pour lui ». Voyant que j'avais minci, celui-ci m'a évidemment filé un date. Je l'ai fait attendre deux heures sous une pluie battante avenue Georges V, alors que je dansais en boîte avec mes copines. En arrivant au rendez-vous, je l'ai toisé et je lui ai balancé : « Nan mais regarde-moi, on n'est pas dans la même catégorie. » J'en ai retiré une certaine fierté, puis je suis rentrée chez moi vomir.

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Car je me rappelle précisément du moment où je suis tombée dans l'anorexie. Je me rappelle précisément du regard méprisant de ce mec donc, dont j'étais follement amoureuse et qui me trouvait bien trop grosse pour entrer dans ses soi-disant standards de baise. Je me souviens avoir pensé : « OK, si ça ne tient qu'à ça… » Et j'ai sombré.

On raconte souvent les TCA (troubles des conduites alimentaires) dans les documentaires pour la télévision comme autant de maladies qui seraient incontrôlables pour les personnes atteintes. Détrompez-vous. Les anorexiques sont les malades les plus futées du monde. On sait parfaitement comment manger, juste assez pour survivre. Je ne sais pas où j'avais lu qu'on pouvait tenir avec 300 calories par jour. L'équivalent de trois pommes. En France, on compte quelque 230 000 femmes atteintes d'anorexie mentale, soit 1,5% de la population féminine des 15-35 ans, tandis que 400 000 Françaises seraient attentes de boulimie.

Je me suis blindée de coupe-faim achetés dans les supermarchés américains ou sur eBay. À l'époque, au milieu des années 2000, la FDA (la Food and Drug Administration, l'Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) n'avait pas encore statué sur l'éphédrine, ce qui veut dire que je gobais des amphétamines toute la journée. Le soir, je m'autorisais de la vodka pure – les jus étant bourrés de sucre – parce que je m'étais persuadée que l'alcool contenait les oligo-éléments et les minéraux dont j'avais besoin.

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J'ai toujours été lucide sur les TCA, et c'est probablement ce qui m'a sauvé la vie. Je n'ai jamais voulu mourir mais Dieu sait que je faisais tout pour. L'anorexie mentale est aussi fulgurante qu'un cancer. J'ai perdu 12 kilos le premier mois. Évidemment, ça ne suffisait pas. Ça ne suffit jamais. Jamais assez mince, jamais assez bonne, jamais digne d'être aimée.

La sexualité d'une anorexique peut revêtir deux formes : le rejet du corps, et du sexe, ou la surconsommation. J'appartenais à la seconde catégorie. J'ai attendu d'avoir le corps que je voulais pour coucher avec mon premier mec. Et je ne comprenais pas ce qui se passait. Des mecs que je connaissais depuis des années, sans jamais oser les aborder, me suppliaient pour un rencart. Je refusais tout en bloc. Je ne comprenais pas ce soudain attrait. Pourquoi tout le monde voulait. Dans ma tête, j'étais toujours la même. Dans mon miroir, j'étais toujours la petite grosse avec des kilos en trop, un ventre pas assez plat, des jambes jamais assez fuselées. Les relations de pouvoir entre hommes et femmes sont fascinantes. Le regard d'un mec avait fait basculer ma vie. Et j'ai voulu savoir jusqu'où ce jeu pouvait aller.

J'ai demandé à des potes français qui partaient en vacances au Mexique de me ramener de la Phentermine, un dérivé de la méthamphétamine, connu pour réduire drastiquement l'appétit. Ça m'a couté 150 dollars la boîte de 10 comprimés. Un samedi après-midi, j'en ai pris un et je suis partie faire du shopping. Arrivée au H&M de la rue de Rivoli, j'ai voulu attraper un cintre sur un portant. Là, je me suis aperçu que mes deux bras ne bougeaient plus. Heureusement qu'une amie devait me rejoindre ; elle m'a récupéré à moitié paralysée et m'a ramené chez elle. Je n'ai plus jamais touché à la Phentermine mais j'ai continué les coupe-faim.

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Image via Wikimedia Commons.

Dans cette deuxième phase, j'ai encore perdu 5 kilos. Je gobais tout ce qui passait. Ce n'était plus du pouvoir que j'avais, c'était la mainmise sur le sexe opposé. Puis j'ai revu ce mec sur lequel je kiffais depuis 5 ans et qui m'a innocemment dit : « Oh j'avais jamais vu que t'étais aussi bonne », et là j'ai compris le truc. Le pouvoir du corps. Je l'ai baisé et je l'ai jeté. Ce petit manège vouloir-pouvoir-prendre-jeter a duré des années. Les mecs pensaient que j'étais une fille facile – peut-être l'étais-je véritablement – et moi je testais le pouvoir du corps sur eux, en essayant de voir clair dans cette injonction tacite, celle d' être bonne. Les rares « non » que j'ai entendus me plongeaient encore un peu plus dans la maladie ; mon poids ne pouvait être que la seule raison de ces refus. Du coup je m'affamais encore plus.

Puis j'ai switché. J'ai entamé une période de boulimie qui a duré longtemps. C'était vachement pratique, je pouvais enfin manger et rester mince. C'était devenu n'importe quoi : j'allais dans le même resto tous les soirs, je mangeais la même chose et je vomissais dans les chiottes. Les serveurs, devenus des potes, me voyaient exécuter ma danse macabre 3 fois par repas, 5 jours sur 7. Ils me jugeaient, mais continuaient à coucher avec mes copines. Mais pas avec moi. Preuve que je n'étais pas assez mince. Pas encore. Presque, mais hey, pas encore.

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J'ai vomi jusqu'à en pleurer, littéralement. Jusqu'à en crever, presque. Pendant des mois, je n'ai fait que ça : avoir la tête dans les chiottes. Mes soirées étaient rythmées par la routine manger-vomir-tirer la chasse-se brosser les dents-se remaquiller-draguer-boire, puis baiser-pleurer-vomir.

L'anorexique en moi se demandera TOUJOURS, dès qu'on lui présentera une nouvelle fille : « Est-elle plus mince que moi ? »

Les souvenirs de cette période sont très flous. On finit par perdre ses repères, et la notion du temps qui va avec. Mais on oublie jamais un truc : vomir. J'ai couché avec plein de mecs qui me trouvaient tous super belle, je n'ai jamais compris pourquoi. Comme toutes les malades, j'ai cessé d'avoir mes règles. Mes hanches étaient tellement saillantes que je me réveillais avec des bleus sur les épines iliaques lorsque j'avais le malheur de dormir sur le ventre. Ma vie entière était concentrée sur une notion précise : la prise et les perte des calories.

Je me souviens de nuits entières à pleurer en me lamentant sur mon poids, jamais assez parfait, jamais assez bas, priant pour être plus mince encore le lendemain matin. Je me souviens de mes copines qui ne m'engueulaient même plus quand je me levais entre chaque plat, au resto, pour aller vomir. Je me souviens des regards des membres de ma famille, impuissants. De toute façon, on ne parlait pas de ces choses-là, chez moi. Je me souviens aussi avoir beaucoup culpabilisé d'être tombée là-dedans.

Puis l'accumulation de plein de trucs déjà vus et revus dans les émissions télévisées, mais néanmoins bien réels, et infernaux. L'histoire de trop, la descente aux enfers, les mélanges médocs + alcool, l'impression de ne jamais en voir le bout. Et enfin, se réveiller. Sortir petit à petit de l'anorexie. Jusqu'à ne plus y penser.

Ce dont je suis certaine aujourd'hui, c'est que l'anorexique a des réflexes dont elle ne sépare jamais. Elle n'accepte pas un modeste « t'es belle », pour elle c'est une aberration. Elle n'accepte jamais un « je t'aime », pour les mêmes raisons. Elle se demandera TOUJOURS, dès qu'on lui présentera une nouvelle fille : « Est-elle plus mince que moi ? » Elle sera toujours jalouse à en crever lorsque l'une de ses copines maigrit. À chaque rupture, elle se demandera si elle s'est faite plaquer parce qu'elle était trop grosse. Elle continuera à « ranger » son assiette par ordre de priorité d'ingestion. Et elle voudra, finalement, toujours être aimée.

Comment sortir de l'anorexie et des TCA en général ? Aujourd'hui encore, je serais bien ennuyée de répondre à cette question. Presque dix ans plus tard, je ne sais pas si je suis guérie ou si la maladie est seulement en sommeil, quelque part. J'ai repris du poids, peut-être même trop, mais je ne veux pas y penser. J'ai une vie équilibrée, un mec génial, un job cool. Surtout, je suis en vie. Et c'est bien mieux que la plupart des filles qui ont un jour souffert d'anorexie.

Sarah est sur Twitter.