Comment le cinéma hollywoodien a-t-il pu devenir si merdique ?
Un Jack Sparrow albanais surpris au Comicfest. Photo via Flickr.

FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Comment le cinéma hollywoodien a-t-il pu devenir si merdique ?

Des Avengers, des Transformers, des hobbits et des pirates : l'âge de plomb du cinéma de divertissement.

Adolescent, j'aurais tout donné pour me projeter dans une époque où pas un mois ne passe sans qu'un film de superhéros, un film de science-fiction, ou un film d'heroic fantasy ne sorte sur les écrans. Cette ère est advenue. C'est la plus navrante de toute l'histoire du cinéma.

Au début des années 1990, j'avais 10 ans. À ce moment-là, chaque sortie d'un film à l'univers fantastique était un événement inouï, et la promesse d'avoir une VHS de plus à faire tourner en plus de celle des Willow, Star Wars, Indiana Jones, Superman, Robocop ou Terminator. Un vieux sage aurait dit un jour : « Méfie-toi de tes souhaits les plus chers, ils pourraient être exaucés ». Il avait raison. Car c'est exactement ce qu'il se passe depuis 15 ans avec des films tels que Divergente, Hunger Games, Twilight, Harry Potter, les Transformers, Seigneur des anneaux, Star Wars, Star Trek ou La Planète des singes. Ou pire : ces satanés films de superhéros. Tout ce dont je rêvais étant ado est donc en train d'arriver, et ça me donne envie de vomir.

Publicité

Si entre-temps, ma cinéphilie s'est clairement élargie, je suis resté fidèle à la plupart de mes goûts d'ado ; par exemple, je n'arrive même pas à me lasser de Willow. J'ai en conséquence toujours envie de voir des films de ce genre, et bien que de plus en plus fragile, je ressens toujours une petite étincelle d'excitation devant chaque bande-annonce d'un film de ce type. Jusqu'à ce que le cinéphile en moi rappelle à l'ordre le geek.

Pourtant, il y a eu une époque où ces deux-là s'entendaient très bien. C'était au début des années 2000. En ce temps, on voyait arriver à la barre de blockbusters explorant des univers fantastiques des cinéastes admirés par ailleurs. Je pense à Sam Raimi pour ses très bons Spiderman, Peter Jackson pour les Seigneurs des Anneaux, Guillermo Del Toro pour Blade 2 et les Hellboys, ou dans une moindre mesure, Brian Singer pour les X-men. Le paradigme qui a toujours fait la force de Hollywood était encore opérant. D'un côté, les impératifs de cinéma à grand spectacle, et de l'autre, la vision d'un « auteur ». Ce combat pouvait alors se jouer au sein d'un même film, mais aussi au sein d'une œuvre : beaucoup de réalisateurs ont en effet alterné au sein de leur carrière un film pour le système avec un film « pour eux ».

Hollywood avait toujours fonctionné ainsi. Il y a certes eu des morts – presque intégralement du côté des auteurs, d'ailleurs – mais c'est ce qui a fait sa grandeur. Et ce grâce à quoi on a bien heureusement un paquet de chefs-d'œuvre sous la main.

Publicité

Le problème, c'est qu'en ce moment, ce paradigme n'est plus opérant du tout. À part Christopher Nolan et le plus impersonnel Brian Singer, tous les auteurs relativement reconnus apparus ces 15 dernières années ne se risquent pas à faire carrière à Hollywood. En gros, ils refusent de tenir les rênes d'un très gros budget. Lorsqu'on regarde en effet Wes Anderson, P.T. Anderson, Bennet Miller, Jeff Nichols, James Gray, Darren Aronofski ou J.C. Chandor, tous tournent dans des économies relativement réduites. Parfois même, avec du fric européen.

Quand on tente de nous vendre l'idée qu'un type a tiré son épingle du jeu, genre James Gunn pour Les Gardiens de la galaxie, Tim Miller pour Deadpool, ou Shane Black à l'écriture de Iron Man 3, c'est toujours pour un petit add-on de rigolade parfumée à la subversion de supermarché. Les autres sont absolument broyés par les studios. Après avoir commis les deux Avengers, Josh Whedon promet qu'on ne l'y reprendra plus. Edgar Wright, pourtant le réalisateur pop-corn par excellence, s'est fait virer de la production d' Antman. Reste une flopée de guignols qui ne savent littéralement pas enchaîner deux plans correctement, œuvrant sur des scénarios absolument invraisemblables, et capitalisant sur des univers ultra-identifiés.

Des nerds déguisés en Transformers jouent de la musique pour d'autres nerds des films Transformers. Photo via Flickr.

Que dire en effet de navets tels que World War Z, Jurassic World, Terminator Genysis, Godzilla ou Man of Steel ? Le parangon de l'horreur étant évidemment sans doute atteint avec les studios Disney/Marvel, lesquels ont réussi à éliminer peu à peu toute velléité auteuriste de leur production, à grands coups de mémos de cabinets d'études de marché.

Publicité

Dans une logique plus combinatoire que dramaturgique, on trouve dans ces films un alignement de situations déjà vues, appréciées ailleurs, et recomposées n'importe comment. Le truc impensable, c'est que le geek des comics, jadis impitoyable envers les studios, semble désormais comblé. Et les autres aussi. Tous les sociotypes du monde occidental y sont en effet scrupuleusement représentés, afin de ne s'attirer les foudres d'aucune communauté. Le réalisateur insère ensuite quelques petites blaguounettes pour montrer que l'on n'est pas dupe, que « tout ça c'est du Cinéma », puis des thématiques de bac de philo issues des mythologies des différents superhéros afin de montrer que, tout de même, on prend tout ça « très au sérieux ». Enfin, la fin est invariable. C'est toujours une menace de fin du monde. On assiste alors à une démonstration de destruction-porn sur une ville prise au pif afin de ravir les geeks qui aiment bien frissonner. Mais surtout aucun mort à l'écran : faut pas déconner non plus…

Cette manière de produire marche tellement bien que tout le monde s'aligne dessus. Warner, qui restait encore le dernier studio à vendre des films juste sur le nom de ses auteurs – même morts comme Clint Eastwood et Tim Burton, ou mort-né, comme Christopher Nolan –, commence à Marvel-iser à bloc son exploitation avec sa licence DC Comics.

On en viendrait à regretter l'époque du blockbuster-pitch des années 1980 et 90, où les producteurs Jerry Bruckheimer ou Don Simpson, cocaïnés jusqu'à la moelle, vendaient leurs projets en deux mots aux studios.

Publicité

Au moins là, tout le monde a l'air d'accord. Le dernier résultat en date, Batman contre Superman, est une purge totale. Le plus étonnant, c'est que bien que signé par l'un des pires réalisateurs en activité en la personne de Zach Snyder, on ne peut même pas vraiment lui imputer la nullité du film. Celui-ci est en effet mal écrit, mal mis en scène, et ne parvient à développer aucun de ses enjeux ; mais, à aucun moment, on y retrouve la laideur formelle si caractéristique de l'irresponsable réalisateur de 300 et Sucker Punch. Il s'agit d'un film qui aurait pu être généré par un ordinateur. Avec juste deux ou trois petits bugs en plus. L'avenir de son prochain film Justice League n'est évidemment pas compromis. Néanmoins, ça va sentir la peur à tous les étages lors de la production, et le film sera probablement encore plus merdeux que la moyenne.

Aussi, le cinéma hollywoodien n'a probablement jamais connu une telle absence d'originalité dans sa production. Au-delà d'un certain budget, TOUS les films exploitent un univers déjà identifié par le public. Une succession de remakes, donc. Remake pur et simple, mais aussi suite, ou remake déguisé en suite, ou adaptation de best-seller de librairie voire, d'attractions foraines. Hollywood, jadis grand pourvoyeur d'icônes pour le monde entier, se montre aujourd'hui incapable d'en générer de nouvelles.

Depuis Avatar en 2009, quasiment aucun blockbuster basé sur un univers inédit n'a été mis en chantier à Hollywood. On peut imputer cela aux outils de big data et aux différents algorithmes, lesquels peuvent prédire le succès ou l'insuccès d'un film. Et pour cause : les études de marché règnent désormais en maître à Hollywood. Cette manière de penser est bien entendu inepte. De fait, il est évidemment impossible d'évaluer la demande sur un film dont personne ne connaît rien, alors que l'on peut très bien évaluer celle sur un film basé sur un univers préexistant, sur lequel tout le monde a déjà un truc à dire sur les réseaux sociaux.

Publicité

Le monde retient son souffle : des cosplayers déguisés en Spiderman fomentent une attaque contre la planète Terre. Photo via Flickr.

Marvel, encore eux, a intégré au sein même de chacun de ses films la publicité pour le prochain, à coups de lourdes séquences post-générique. Encore un truc piqué aux séries. Ce sont désormais elles qui, à peine sorties de leur âge d'or, servent de modèles à un Cinéma en plein âge de plomb. Pour le pire.

Car à la manière d'un épisode de série, aucun de ces films ne se suffit à lui-même. D'un côté, il passe son temps à annoncer sa propre suite ; de l'autre, il multiplie les rappels aux épisodes précédents pour flatter un spectateur qui préfère reconnaître que découvrir. D'où l'impression, parfois, de regarder des pilotes de séries télévisées, installant des promesses qui seront remplacées par d'autres à l'épisode suivant.

Malheureusement, ces films partagent avec la majorité d'entre elles la même absence de mise en scène, marquée par un montage complètement aléatoire. Un zapping d'angles et d'échelles de plan lors des scènes de bla-bla, et évidemment, de plans-séquences sans point de vue lors des scènes à SFX. On peut parler de Cinéma d'analphabète.

Un poster Universal Pictures de 1982 annonçant les sorties à venir : Conan le barbare, E.T., The Thing, Videodrome

On en viendrait presque à regretter l'époque du blockbuster-pitch des années 1980 et 90, où les producteurs Jerry Bruckheimer et Don Simpson, cocaïnés jusqu'à la moelle, vendaient leurs projets en deux mots aux studios. « Eddy Murphy en voyou », « Eddy Murphy en flic », « Tom Cruise en pilote d'avion », « Tom Cruise en pilote de course ». Puis plus tard : « Will Smith et le Président contre les Aliens », « Bruce Willis et ses copains prolo contre une météorite ». Le star-system était alors roi, le scénario tenait sur un mouchoir de poche. C'était con et vulgaire, mais ça ne mentait pas sur la marchandise. Et il y avait quand même la promesse de rigoler un bon coup.

Publicité

Les blockbusters actuels sont tellement ripolinés qu'ils ne sont même pas drôles malgré eux. À part quand on examine leurs scénarios en détail.

On peut toujours se réconforter en se disant, dans le sillon de Spielberg ou de Coppola, que tout cela finira par péter un jour, comme une bulle spéculative. Car il est vrai que cette vogue en présente tous les symptômes. Du côté de l'offre : explosion des budgets de production et de promotion, explosion des records d'entrées (à court terme), explosion de la durée des films, explosion du nombre d'intrigues et de sous-intrigues, explosion du nombre de personnages – et explosions tout court. Et du côté de la demande : spéculation massive de la geekosphère, relayée par une presse toujours aussi racoleuse.

Bien entendu, je me pose régulièrement la question de savoir si le problème n'est tout simplement pas que je suis « trop vieux pour ces conneries ». Car il suffit de lire une revue de presse de n'importe quel classique de la culture geek pour tomber sur des arguments similaires. On tombait déjà sur des plaintes à propos du cynisme des studios exploitant le succès d'un univers préexistant, la reproduction de schémas stéréotypés, puis la crise d'inspiration à Hollywood, la surenchère pyrotechnique, etc. De fait, je ne suis peut-être qu'un vieux con qui n'affectionne plus que les films qu'il a découverts dans sa jeunesse. Et qui serait incapable de comprendre la profonde modernité de ces films. Peut-être donc que les plus jeunes que moi, ceux qui découvrent ces films aujourd'hui, les porteront fièrement en étendard dans 15 ans, lorsque Hollywood sera passé à une phase qu'ils conspueront à leur tour.

Ou peut-être pas. Peut-être que Hollywood est en plein âge de plomb, et que le public est trop con pour s'en apercevoir.

Les mecs du Cinéma est Mort sont sur Twitter.