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Léo et ma sœur se sont séparés, remis ensemble, avant de se séparer à nouveau. Léo est mort en juillet 1993. Entre-temps, ma sœur s'est mariée avec quelqu'un d'autre, et elle est tombée enceinte. Je vois encore la scène dans ma tête : ma sœur et son mari, installés sur le canapé de mes parents, en train de me regarder et de me dire que le mal était fait, que la page se tournait. Léo est mort dans son lit, en réclamant ma sœur. Elle n'est jamais venue.Ma sœur a accouché deux mois plus tard, d'un petit garçon qui s'est révélé être séropositif, comme elle. Il a eu un début de vie plus que médiocre, car à l'âge de 2 ans, les médecins lui ont diagnostiqué un lymphome. Il a dû faire de nombreux allers-retours entre la Corse et Marseille. Ensuite, il y a eu les séances de chimio, des nuits à ne plus en dormir, des journées à ne plus en finir. Ma mère et moi étions aux côtés de ma sœur et du petit, à chaque fois, alors que mon beau-frère prétextait une peur en avion pour ne pas venir voir son propre enfant pendant les six premiers mois.Il y a 30 ans, aucune fille de ma génération ne pensait que le SIDA concernait tout le monde. On pensait que ça ne concernait que les drogués, les homos et les personnes infidèles.
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Quand elle a commencé la trithérapie, c'était très lourd. Elle a eu tout un tas de médocs, d'effets secondaires. Jusqu'au moment où ça a été davantage la fuite en avant et qu'elle n'acceptait plus aucune aide. J'avais des amis également malades qui souhaitaient lui venir en aide ou lui donner des conseils, mais elle a toujours refusé. Elle a fini par me dire que j'allais trop loin, que je n'avais pas le droit de parler de sa vie à des gens qu'elle connaissait à peine. Elle se sentait d'autant plus à l'écart de par le rythme de vie qu'elle avait – les allers-retours dans différents hôpitaux, les traitements.Quand ma sœur est morte, ma mère a inversé les rôles. À plusieurs reprises, elle m'a dit que c'était moi qui avais honte de ma sœur. Ma mère se refuse de se l'avouer parce que c'est quelque chose de tabou et lié au sexe. C'est inconcevable pour elle. 10 ans après sa mort, elle est toujours dans le déni. Elle m'a reproché pas mal de choses, et je comprends sa peine : c'est vrai que c'est terrible de voir un enfant malade. Mais c'est aussi de ma petite sœur dont on parle, et personne ne peut comprendre le lien qui nous unissait.Ma vision sur la maladie, au sens large du terme, a changé. Les gens ont toujours plus ou moins peur, alors que tu ne risques rien en étant dans la même pièce que l'autre, à croire que le moindre souffle pourrait contaminer la personne en face. Les gens ne pensaient qu'à eux, et c'est lamentable que les personnes souffrant de cette maladie ne soient pas plus entourées. Dès qu'on prononce le mot SIDA, les gens se cassent. Si on regarde bien, les mentalités n'ont pas vraiment changé.Durant ces trente dernières années, la Corse ne s'est pas plus ouverte sur la question du SIDA, et semble très peu concernée par le problème. On en parle comme si ça n'arrivait qu'aux autres et pas à toi ou à un de tes proches, alors que ça peut toucher tout le monde. J'en suis la preuve. C'est sans doute pour ça que ma sœur a fui la Corse, tel un oiseau se cachant pour mourir. Quant à moi, je garde un œil bienveillant sur son fils et j'essaie de l'aider tant bien que mal dans sa vie de jeune adulte. Il est ce qu'il me reste de ma sœur : en lui, je retrouve sa joie de vivre – et quelque part, ce n'est pas un bonheur perdu.Quand ma sœur est morte, ma mère a inversé les rôles. À plusieurs reprises, elle m'a dit que c'était moi qui avais honte d'elle.