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Dans la peau d’un hacker français

Cas sociaux, autistes et punkettes apathiques : un hacker commente les multiples représentations de ses pairs.

Image extraite du film WarGames, John Badham, 1983

Cas social, autiste obèse vivant dans une cave, génie mégalomane, dépressif agoraphobe ou punkette apathique, le hacker est par essence un personnage fait pour l'écran, modelable à l'infini dans ces multiples stéréotypes. Enfance difficile, gamin incompris, moqué au collège, méprisé au lycée, adulte solitaire, le hacker semble donc le client parfait pour le psychanalyste – et le spectateur. En réalité, les choses sont souvent un brin différentes – mais au delà des clichés se cache une petite part de vérité, comme me l'a expliqué le hacker français Fo0.

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Petit, Fo0 bidouillait tout ce qui lui tombait sous la main. Comme de nombreux hackers, il ne s'est jamais défini comme tel – les gens choisissent habituellement de le dénommer ainsi. L'étiquette ne le dérange pas, puisque la définition reste juste. Et il sait s'amuser des clichés qui « viennent bien de quelque part ». Il n'y a pas de fumée sans feu, me répétera-t-il tout au long de notre entretien par téléphone.

Quand il était petit, il démontait – sans pouvoir toujours remonter –, ouvrait postes de radio et autres téléphones à l'aide d'un couteau à huître. Ses parents retrouvaient des objets éventrés sous le lit et « ça gueulait dans la maison », se souvient-il. À l'époque, dans les années 1980, Fo0 n'avait aucune notion du mot hack. C'est venu plus tard, début 1990, lors de ses premiers pas sur le net. Des années d'autodidaxie informatique, avec en filigrane le désir de liberté d'expression. Aujourd'hui, Fo0 est toujours engagé auprès du collectif Telecomix, il travaille pour Reporters Sans Frontières, et participe également au Hackerspace Festival de Toulouse. Il a donc finement observé l'évolution de la culture hack, qui est pour lui « un des derniers espaces où tu peux aussi t'amuser et faire des trucs totalement futiles ».

Au boot de la culture hack, se trouvent les hippies et le magazine Phrack, fondé en 1985, qui pouvait tout aussi bien proposer « des recettes LSD-Champi que des solutions pour poser une backdoor ». À l'époque, le hack n'était rien de plus qu'une contre-culture qui prônait la liberté. Pourtant, Fo0 reconnaît volontiers « des taches » dans l'histoire de la culture hack. Pas forcément du fait des hackers, d'ailleurs. Mais l'humour de certains bidouilleurs surdoués, exploitant les failles des systèmes, ne semblent pas toujours à portée de la justice, qui n'y voit qu'illégalité. Ainsi en témoignent, dans les années 1990, des affaires comme Captain Crunch-John Draper – qui s'amusait à détourner les lignes téléphoniques, ou le cas de Kevin Mitnick, génie de l'intrusion qui a pris un malin plaisir à agacer les agents du FBI avant de devenir consultant en sécurité informatique.

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Si leurs actes détournaient ou pénétraient des réseaux existants, ce qui peut paraître un peu abstrait aux yeux du grand public, en 1998, la mort inexpliquée de Tron, jeune hacker du Chaos Computer Club, retrouvé pendu dans un parc de Berlin, laissa une trace autrement plus indélébile.

Les années 2000 dévoilent « un certain élitisme issu du milieu hack underground. Les petites guerres d'égo sur IRC, le mépris envers ceux qui n'utilisent pas Linux. » Un milieu hack pas si ouvert, en somme – et les représentations cinématographiques ou littéraires du hacker n'arrangent rien. Les médias, eux, en font des « pirates », des fauteurs de troubles masqués, qui peuvent comme bon leur semble voler votre numéro de carte bleue.

Lisbeth Salander, héroïne féministe asociale et violente de la saga Millénium, héritière du mouvement cypherpunk, arbore tatouages et piercings au milieu d'une garde-robe néo-gothique. Elle fascine, par une ivresse vengeresse redoutable et sa capacité à mettre à mal les puissants détestables de ce monde, toute seule avec son laptop. Petite sœur de Lisbeth, la hackeuse Clara du jeu vidéo Watch Dogs, arbore elle aussi tatouages colorés, piercings au visage et maquillage charbonneux. Les hackeuses de série semblent toutes devoir passer pour être crédibles par un style gothico-rock.

Photo via Flickr

Avant d'adopter un look kawaii aux couleurs de l'arc-en-ciel, fleur violette dans ses cheveux méchés de rose bonbon et bijoux volumineux jaune fluo, Pénélope Garcia, génie informatique à la solde du FBI dans la série Esprits Criminels, n'était autre que La reine noire dans le milieu des « méchants hackers », les black hats. Dans un unique épisode relatant son passé, elle apparait dans une panoplie outrancière à la Tim Burton, robe à dentelles et lèvres noires comprises. Quant à Abby Sciuto dans NCIS, elle quitte rarement colliers à clous, bracelets tête de mort et autres chaussures compensées à multiples lanières. Dans cet océan de silhouettes excentriques, seuls les personnages féminins de Mr. Robot – Darlene, Lolita vintage, et Trenton, iranienne voilée – font figures de hackeuses modernes.

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De son côté, Fo0 est plutôt amusé des représentations du hacker, et de tous les poncifs qui vont avec. Car il croise nombre de femmes dans le monde du hacking qui n'ont pas l'air de se rendre à une fête costumée, et reconnait au passage une réalité méconnue : il y a plus de femmes hackeuses en Moyen-Orient qu'en Europe. D'ailleurs par chez nous, plus que des hackeuses, il croise davantage « d'artistes féminines qui traînent avec des hackers, attirées par une forme d'art alternatif. »

En ce qui concerne les hommes, il ne s'empêche pas de rire. Le célèbre hoodie d'Elliot Alderson, dans Mr. Robot, est pour lui une réalité. « Le hacker en sweat-capuche c'est vrai. Ce sont les premiers à râler, mais quand tu te rends dans un hackerspace, tu constates par toi-même que c'est vrai ». Mais bien avant ces lieux collectifs, pour Fo0, la solitude du hacker – représenté en Tanguy biberonné aux écrans dans le garage de ses parents – était également une évidence. Si lui continue à « mieux bosser quand il est seul, et pas dans un open space », il avoue une petite révolution grâce à de récents événements fédérateurs, qui ont joué un rôle social important dans les rencontres entre hackers. La communauté, jusqu'alors dispersée, « chacun s'enfermant chez soi pour discuter sur IRC », se rencontre enfin pour de vrai. Fo0 avoue n'avoir croisé certains hackers avec qui il conversait qu'au bout de sept-huit ans.

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Photo via Flickr

Il existe pourtant quelques exceptions éclectiques à l'éternel asocial en sweat – dans Goldeneye, Boris Grishenko, ses chemises à fleurs et son arrogance farcesque, se jugeait « invincible » et travaillait pour le plus offrant. Issu de la mythique saga de jeux vidéo Metal gear, Hal Emmerich, alias Otacon, est sans doute un des hackers de fiction les plus émouvants. Idéaliste, humaniste, torturé et doux, le jeune homme, malheureux en amour, formera par la suite la jeune Sunny, plus jeune hackeuse jamais répertoriée du haut de ses neuf ans.

Pour Fo0, la représentation du hacker dans la culture pop est pourtant correcte, à la base. Le reste n'est qu'esbroufe cinématographique nécessaire à l'imaginaire fictionnel d'un scénario. Et c'est tant mieux : « Les hackers qui s'offusquent, et tombent dans le panneau en hurlant sur les réseaux sociaux que 'c'est pas comme ça qu'on fait en vrai !', et bien c'est leur égo qui parle. Et c'est encore plus amusant. » Fo0 remarque cependant au passage que « le nombre de conneries diminuent dans les fictions », car les scénaristes font maintenant appel à des consultants. Lui-même avoue avoir été contacté « par une boîte de production qui voulait mesurer la crédibilité de leur scénario. »

Si les personnages récents de hackers font sourire Fo0, il avoue avoir été marqué par « MacGyver, pour son esprit de récupération des objets pour en faire autre chose », et par le personnage d'Abby dans NCIS, « avec son caractère exubérant ». Car l'idée centrale du détournement correspond bien à l'idéologie hack. L'informaticien suit les règles – le hacker, lui, les détourne. Avec cette facilité déconcertante, cet automatisme façonné par des années de pratiques à deviner ce qui va pouvoir « s'emboîter avec ».

Le débat sur la crédibilité du hacker de fiction peut donc sembler bien stérile. Si Fo0 reconnait par exemple « une grande crédibilité » au roman d'espionnage Opération Fiat Lux, et des auteurs sans doute « très bien renseignés », il choisit de s'amuser des figures de hackers proposées par une culture toujours plus avide de personnages forts ou fantasques. À l'heure des débats sur la protection des sources et des données, il faut simplement admettre que le hacker est un héros – ou anti-héros très contemporain, et que par son essence terriblement cinégénique, il risque forcément d'échapper à ses véritables inspirateurs, les hackers IRL. Tout en continuant à leur ressembler. Un peu. Il n'y pas de fumée sans feu.

Elsa est sur Twitter.