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Culture

Dans le cerveau du négationniste star de YouTube

La vie et l'œuvre de Vincent Reynouard, le Français qui abreuve le monde en vidéos « prouvant » que la Shoah n'a jamais existé.

« Des scoops pour la rentrée », un extrait de vidéo de Vincent Reynouard. Screenshot via YouTube.

Comme beaucoup de gens de mon âge, je passe du temps sur YouTube. Beaucoup (trop) de temps, même. Parfois, au bout de trois heures perdues à manger des biscuits apéritifs devant des clips de rap, un décryptage méthodique des chemtrails, et une vidéo intitulée « De la terre plate aux chambres à gaz », je suis obligé de me poser cette question : Mais qu'est-ce que je fous ici à regarder ça ? Car en plus d'être un simple support pour YouTubeurs inoffensifs, le site hébergeurs de vidéos créé en en 2005 est un excellent moyen de prosélytisme pour les extrémistes de tous bords qui pullulent sur la toile.

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Vincent Reynouard est l'un d'eux. Sa fiche Wikipédia le décrit comme un militant négationniste et catholique intégriste, se revendiquant, dans les pages de la célèbre revue antisémite Rivarol, d'un « national-socialisme sans haine ». Un mec plutôt détendu donc, dont la page Wiki nous indique qu'il fut « séduit par le nazisme dès l'adolescence ». Reynouard sévit depuis plusieurs années depuis les limbes d'Internet, entre son site Sansconcessiontv.org et sa chaîne YouTube dont les vidéos dépassent rarement les 15 000 vues. Pour ma part, je suis tombé complètement par hasard sur sa chaîne, et je dois avouer que je n'étais pas totalement prêt à intégrer toutes les conneries que j'allais voir ce jour-là. Notamment des sujets assez parlants, tels que : « Si le national-socialisme avait été la vérité et le progrès ? »

À la base, Vincent Reynouard est un sympathique professeur de mathématiques et de physique-chimie tout à droite de l'échiquier politique. Dès le début des années 1990, il crée en effet l'Association normande pour l'éveil du citoyen (AMEC), laquelle diffuse un bulletin par lequel il se réclame de ce qu'il nomme le « courant négationniste ». Très vite, la justice française va s'en mêler, et les premières condamnations tombent.

C'est au cœur des années 1990 que les choses s'accélèrent. Alors qu'il publie un ouvrage intitulé « Le massacre d'Oradour, un demi-siècle de mise en scène » dans lequel il remet en cause les événements tragiques d' Oradour-sur-Glane – ce village de Haute-Vienne dans lequel 642 personnes ont été assassinées par la division SS Das Reich durant la débâcle nazie, en 1944 – Vincent Reynouard est condamné à six mois de prison ferme, peine cassée en cassation. Dès lors, les condamnations vont se multiplier. À partir de cette époque, le nom de Reynouard apparaîtra sporadiquement dans la presse locale et nationale, et logiquement, pas dans des bons termes. Jusqu'à ce qu'il disparaisse des radars.

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Heureusement pour lui est apparu Internet. Car malgré les accusations et les plaintes, celui qui pourrait être désigné comme le digne héritier de Robert Faurisson – le professeur de lettres tristement célèbre pour nier l'existence même des chambres à gaz –, continue, en 2016, de régulièrement publier des vidéos sur Youtube.

Vincent Reynouard pose une question à YouTube : et alors ? Screenshot via YouTube.

La première vidéo que j'ai regardée sur sa chaîne s'appelait « Mon défi : gazez-moi ». En gros, il y proposait à ses détracteurs de « retourner à Auschwitz » afin de lui montrer de quelle manière les nazis « auraient pu mettre en œuvre la Shoah », c'est-à-dire : auraient pu assassiner plusieurs millions d'innocents en les gazant. J'ai d'abord pensé à une blague. J'ai cru que j'avais affaire à une personne qui souhaitait tourner en dérision les thèses négationnistes. Sauf que non, car au bout d'à peu près 20 secondes de visionnage, j'ai bien compris que cette vidéo regardée tout de même 70 000 fois – un hit, à son échelle – était censée être sérieuse. Je n'ai perdu personne de ma famille pendant l'Holocauste, mais j'ai essayé de me mettre à la place d'une personne directement touchée. Je n'ose même pas imaginer la souffrance, la douleur qu'une telle vidéo pourrait lui procurer.

Malgré tout, j'ai décidé de regarder quelques autres de ces vidéos pour mieux comprendre où Reynouard voulait en venir. Je suis ainsi tombé sur un format court reprenant la fameuse histoire d'Oradour-sur-Glane. Dans celle-ci, intitulée « Oradour : 72 ans de mensonges », il n'hésite tout simplement pas à accuser la seule survivante de l'événement, Camille Senon, de menteuse, théorie fumeuse et diffamatoire qui lui sert de base afin de remettre en cause les versions officielles – qui sont, elles, scrupuleusement vérifiées.

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Et cela s'étend sur des dizaines d'autres vidéos. Toutes remettent en question l'Histoire telle qu'enseignée dans toutes les écoles du monde, mais surtout, tous les grands événements de la Seconde Guerre mondiale. Le désir principal de Reynouard, c'est d'innocenter les nazis. Et puis aussi, de les comprendre. Pire encore, dans plusieurs autres vidéos, il explique calmement que le concept de national-socialisme constitue la base, la fondation « d'une société saine », « porteuse de qualités qui manquant à la société actuelle ».

Même si l'on peut à peu près tout dire sur Internet, je fus sincèrement étonné que de tels propos puissent être laissés aussi facilement à disposition. N'importe qui, des simples curieux aux esprits plus facilement influençables, a ainsi accès à des vidéos niant l'un des plus grands massacres du siècle dernier. Et ça, sans l'apparente réaction des autorités.

Puis en cherchant un peu, j'ai réalisé que non, pas vraiment.

Reynouard s'insurge contre l'odieuse censure dont il est la victime. Screenshot via Youtube.

Car depuis quelques années, la justice est en réalité de plus en plus pressante envers Vincent Reynouard. L'an passé, il a de nouveau été condamné à deux ans de prison ferme pour une nouvelle vidéo remettant en cause – tiens donc – les crimes de la Seconde Guerre mondiale dans l'une de ses vidéos, parue dans le cadre du 70 e anniversaire du Débarquement.

Attaqué par plusieurs associations, il a de nouveau nié les crimes nazis. Malgré de nombreux appels et la transmission au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la loi Gayssot de 1990 – qui punit le négationnisme –, la peine est finalement confirmée, mais revue à la baisse. Il n'est condamné à une année de prison, tandis que de nombreuses publications YouTube sont supprimées. Encore à l'heure actuelle, la durée de vie de certaines de ses vidéos ne dépasse pas quelques jours – voire quelques heures.

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Sauf qu'entre-temps, Reynouard en a profité pour s'exiler de l'autre côté de la Manche, en Grande-Bretagne, dans les environs de Londres. Il explique pourquoi dans différentes vidéos, ainsi que sa crainte d'être un jour « rattrapé ». Dans l'une des ses dernières vidéos, publiée le mois dernier, il explique que la police lui a, en quinze ans, « saisi quatre ordinateurs, du matériel informatique, des stocks de livres ainsi qu'une partie de mes archives. J'ai purgé deux peines de prison ferme », se lamente-t-il.

Sauf que dans les faits, le travail de Vincent Raynouard semble trouver de plus en plus d'adeptes. En jetant un coup d'œil aux commentaires de ses vidéos, on trouve en effet de nombreux soutiens, de la part de gens manifestement sains d'esprit. « Si le travail de Vincent Reynouard était inutile, ils ne se donneraient pas cette peine à chercher à le faire taire », j'ai pu lire, ou encore : « 8 118 abonnés qui comprennent le but humaniste des enseignements de Vincent, et qui pourront transmettre à d'autres… » D'autres saluent son « courage et sa résistance », dans un style dit du résistant, typique d'un mec comme Alain Soral par exemple.

Bien sûr, dans le même temps, de nombreuses voix s'élèvent contre lui. Comme on peut se l'imaginer, les insultes pleuvent également. Mais le résultat et assez surprenant, effrayant même. Reynouard compte de nombreux soutiens du côté de la presse l'extrême droite française plus institutionnelle, dont Rivarol.

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Car en France, le négationnisme est sévèrement puni par la Loi Gayssot. Datant de 1990, elle durcit les textes déjà existants à ce propos. En substance, elle explique que « seront punis des peines prévues ceux qui auront contesté, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité. » Un adversaire de taille donc, qui est également censé protéger du même coup la mémoire des victimes et des familles concernées. Évidemment, de nombreux négationnistes se sont indignés de cette loi, expliquant qu'elle était un problème quant à la liberté d'expression, l'un des droits fondamentaux. Comme l'explique à ce sujet Régine Dhoquois dans l'ouvrage « Les Thèses négationnistes et la liberté d'expression en France » : « Punir le discours négationniste ne risque-t-il pas de renforcer son impact en lui donnant une tribune ? » C'est en tout cas ce qui semble se passer sur Internet.

Étant un peu naïf vis-à-vis de l'espèce humaine, je ne pensais pas que l'on pouvait, en 2016, se réclamer nazi dans le sens littéral du terme. Car il faut bien l'admettre, il m'apparaît choquant d'entendre des noms tels qu'Hitler, Goebbels ou Himmler rimer, l'espace de 10, 20, 30 ou 40 minutes, avec des concepts tels que le « bien-être » ou une « société en bonne santé ».

Et pourtant, c'est ce que Reynouard semble vouloir dire depuis plus de 25 ans. Depuis son pied à terre en Angleterre, il expliquait dans sa dernière vidéo « continuer le combat », demeurant intimement persuadé que ledit combat, celui qui a ruiné le XXe siècle et provoqué des millions de morts, est juste, louable. Rationnel. Une conviction qui toute sa vie, lui a valu cher. Une conviction qui lui a valu de perdre ses différents emplois, compagnes et domiciles. Au point même de vivre désormais dans une précarité presque absolue.

Car évidemment le plus étrange, c'est qu'avec ses quelque 8 000 abonnés, ses commentateurs dévoués et sa poignée de rares proches, Vincent Reynouard semble aujourd'hui ne rien regretter.

Hugo est sur Twitter.