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Dans les coulisses du Venusia, une des plus grandes maisons closes de Suisse

Patronne du lieu depuis 2003, la française Lisa nous a parlé de son parcours et des formalités qui incombent parfois à son travail.

Lisa dans son bureau. Toutes les photos sont publiées avec son aimable autorisation

Si en France les débats autour de la réouverture des maisons closes reviennent sporadiquement, depuis 1992, les lupanars ont fleuri en Suisse. Ici, on ne parle pas de bordel, mais de « salon de massages » ou « salon érotique ». Bien plus chics et discrets que ceux que l'on pouvait trouver en France au XIXème siècle, on en compte 151 dans la seule ville de Genève, selon Ivan Caputo, chef de la section prostitution de la Brigade des mœurs de la ville.

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Parmi eux, le Venusia, en plein cœur de la ville, à deux pas d'une école et d'un théâtre de marionnettes. Une faible lumière rouge la nuit, une discrète pancarte indiquant le nom de l'établissement, rien ne permet d'imaginer qu'au 2 rue Rodo se trouve l'un des plus grand sex-centers de Suisse. Pourtant, derrière les vitres teintées à hauteur du trottoir, les filles guettent l'arrivée des clients. Beaucoup sont Françaises, quelques-unes Espagnoles ou Bulgares – finalement, les Suisses sont peu nombreuses.

L'entrée discrète du Venusia. Photo de l'auteur

Dans la salle de repos où les « hôtesses » sont allongées sur les canapés, les vernis se mêlent aux tubes de rouge à lèvres, les soutien-gorge se perdent au milieu des bas et jarretelles. Les filles s'occupent comme elles peuvent. Sur leurs tablettes, les journaux télévisés succèdent aux émissions de télé-réalité, on passe le temps. Toutes sont à moitié nues, dans la chaleur de leur « salle de repos ». Si certaines enfilent un t-shirt entre deux passes, la plupart se contente d'un string et n'enlève même pas leurs talons et bas aguicheurs. En moyenne, les prostituées du Venusia peuvent gagner jusqu'à 10 000 euros par mois. Toutes sont « travailleuses indépendantes » et reversent 25% de ce qu'elles gagnent à Lisa, leur patronne.

De mère de famille elle est devenue prostituée. De prostituée, elle est devenue chef d'entreprise. Aujourd'hui, elle est tout ça à la fois. Certaines l'appellent Lisa, d'autres Madame Lisa, ou encore Maman. Patronne du Venusia depuis 2003, Lisa a commencé à se prostituer il y a vingt ans en France. Elle m'a parlé de son parcours, et de ce qui l'a conduite à être où elle est aujourd'hui.

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VICE : Comment êtes-vous arrivée dans le milieu de la prostitution ?
Lisa : Il y a vingt ans, par hasard, comme pour 99% des femmes qui ont commencé à mon époque. J'avais besoin d'argent rapidement pour nourrir mes enfants. J'étais dans une situation compliquée, je n'avais pas d'autre choix. Il ne faut pas se tromper, toutes celles qui venaient dans ce milieu, c'est parce qu'elles ou leurs enfants crevaient de faim.

J'ai commencé comme escorte indépendante à Paris. C'est comme ça que j'ai rencontré mon second mari, fin 1993. Daniel était un de mes clients, et au troisième rendez-vous, ça a été le coup de foudre. Je ne peux pas l'expliquer, j'avais juste envie de le revoir. J'étais à Paris, lui à Genève. On essayait de se voir à mi-chemin, mais ce n'était pas évident. J'avais mes garçons, il était marié. Il faut être honnête et reconnaître qu'il a aussi été un bon pigeon, il est arrivé au moment où j'avais besoin d'argent et où mes gamins crevaient de faim. Mais j'étais aussi amoureuse, et je l'ai suivi à Genève avec mes gamins. J'ai alors commencé à travailler en salon, au Venusia. Au bout de trois mois, je me suis associée avec une des filles, jusqu'à ce qu'elle se barre. J'ai tout repris seule. Je viens d'une famille où tout le monde est son propre chef.

Une des filles du Venusia. Photo de l'auteur

Justement, comment votre famille vit-elle votre activité ?
Elle l'a appris en regardant la télévision. Peu de temps après mon arrivé à Genève, j'ai accepté d'apparaître dans un reportage pour TF1. Je venais juste de reprendre le salon, j'y faisais des travaux, je n'avais pas réalisé que TF1 était autant regardé en France. Le lendemain de la diffusion, mes parents et mes frères ont été harcelés de coups de téléphone, leur disant « Tu sais ce qu'elle fait ta sœur ? Tu sais pour quoi elle est partie ta fille ? ». Je n'ai pas vu mes frères pendant de longues années, aujourd'hui encore, je ne reparle qu'au plus jeune. Mes parents l'ont accepté, je reste leur fille. Et on apprend vite que parent est un métier plein de concessions, ils ont dû faire avec. J'ai longtemps caché mon activité, j'ai vécu dans le mensonge et l'anonymat pendant plus de dix ans. J'en ai eu marre, j'ai décidé d'arrêter, et cela a été facile car mes enfants l'ont su rapidement. Mon fils aîné avait cinq ans. Je lui ai dit que pour pouvoir vivre correctement, j'avais dû prendre une autre activité. Que j'étais un peu comme une infirmière, je m'occupais d'hommes mal dans leur peau et dans leur tête ; pour que ça aille mieux chez eux, ils devaient se soulager avec moi. Pour qu'une fois chez eux, ils s'occupent bien de leur famille.

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« C'est vraiment un métier de merde, pourtant je n'en changerais pas »

C'est comme cela que vous voyez votre métier ? Un métier d'aide à la personne ?
Il y a beaucoup de social dans notre métier, on est un peu des assistantes sociales. Tout dépend de la relation que l'on a avec le client…beaucoup veulent juste tirer leur coup, mais quand j'ai commencé, on restait ensemble une heure minimum, pour parler. C'était différent. Si je continue, c'est pour casser une routine, pour avoir un certain changement, mais j'ai toujours la même démarche sociale, sinon j'aurais arrêté depuis longtemps. Aujourd'hui, mes clients sont uniquement des habitués, et je ne travaille que sur rendez-vous, notamment avec des personnes handicapées. Je suis connue dans ce milieu maintenant, ce qui fait que c'est facile pour des parents de m'amener leur enfant. Ça fait partie de ma BA, ce sont des personnes que j'aime beaucoup et que je côtoie depuis que je suis enfant. Pour moi, c'est tout ce qu'il y a de plus naturel que de travailler avec eux ; et cela amène mes hôtesses à avoir une certaine facilité à accepter et recevoir ces clients, quel que soit leur handicap.

Quelques services proposés par le Venusia

Quelles relations entretenez-vous avec les filles travaillant au Venusia ?
Plutôt bonnes. J'ai de la chance, car elles me respectent et me craignent à la fois. Je suis consciente de ce qu'elles peuvent dire dans mon dos, et c'est normal, même si parfois cela me blesse. Il y a beaucoup de va-et-vient. 40% des filles abandonnent, l'élimination est naturelle. Très peu sont renvoyées, si elles sont asociales par exemple, ou qu'elles ne respectent pas les règles. Beaucoup s'en vont car elles se rendent compte que c'est plus dur que ce qu'elles imaginaient, ou tout simplement parce qu'elles ne sont pas faites pour ça…

On peut parler de vocation ?
Non, je n'irais pas jusque-là… Mais il faut quand même aimer, ma foi, autant le sexe que l'argent. Il faut aimer les deux autant l'un que l'autre, sinon tu ne peux pas, c'est trop dur. Après, tu viens ici pour différentes raisons, ce ne sont pas les mêmes choses qui leur font franchir le pas, mais le bagage personnel est important. Pourtant, ce ne sont pas celles avec « un lourd passé » qui sont le plus nombreuses, au contraire. Depuis huit ans, les filles viennent ici une fois le baccalauréat en poche, sans même prendre le temps de vraiment chercher autre chose. Ce qui les attire, ce sont les médias. Le fait de penser que cette activité est facile, qu'on se fait beaucoup d'argent rapidement. Ça c'est vrai, mais ils travestissent la vérité. Je peux te dire que c'est vraiment un boulot de merde. C'est un monde de pourris, d'hypocrites incroyables. Pourtant, je ne me vois pas faire un autre job, j'aime trop ce que je fais pour en changer. Mais maintenant, je suis fatiguée de vivre pour les autres. J'ai besoin de vivre pour moi et mes enfants, de profiter.

@mathildeliogier