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LE NUMÉRO DES CAUSES PERDUES

Des flingues et du soleil

Il y a 270 millions de flingues déclarés aux États-Unis. Quelle que soit votre opinion sur la question de la liberté de port d'armes, on peut dire que la situation pose un problème pernicieux.

La version originale de l'article est parue dans notre mag de janvier, le numéro des Causes perdues. Il a été envoyé à l'impression avant le massacre de Newton, dans le Connecticut, qui a déchiré le cœur du monde entier, notamment du fait du très jeune âge des victimes. On a donc remanié l'article.

La tragédie nationale qui a eu lieu le 14 décembre à Newton, dans le Connecticut, est un des derniers exemples en date du phénomène des tueries de masse qui s'est emparé des États-Unis ces trente dernières années. Il a fallu que 20 enfants soient brutalement tués – ainsi que 6 personnes faisant partie du personnel – à l'école primaire de Sandy Hook pour que les Américains se décident à réfléchir un peu plus à la législation sur le contrôle des armes à feu et à la culture de ces mêmes armes à feu. Il semblerait que la loi soit enfin en mesure de changer, et d'une manière significative. Ce qui reste incertain en revanche, c'est la façon dont ce changement affectera le phénomène des fusillades.

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Cependant, ce que la nation risque de découvrir – si l'on s'inspire de l'histoire récente –, c'est que les solutions légales s'avèrent inefficaces. Pire, des restrictions plus poussées sur la vente et la circulation des armes à feu pourraient exacerber le problème.

Il existe une raison très spécifique qui explique que les gens – les héros, les monstres, et surtout les Américains – aiment les flingues. C'est la même raison qui explique pourquoi moi, j'aime les flingues. Parce que j'aime les flingues. J’aime tirer sur des cibles déjà criblées d’impacts ou dans des talus sableux les jours de grisaille. J’aime l’idée qu’une simple pression de mon doigt exercée sur un bout de métal peut tout faire basculer. Selon mes proches, si je suis comme ça, c’est parce que je suis né et que j’ai été élevé en Floride. Jusqu’à récemment, je niais. Mais après avoir pataugé dans les eaux marécageuses qu’est la réglementation en matière d’armes à feu dans mon État natal, je dois admettre qu’ils voyaient juste. Il faut dire que mes amis proches n’ont pas grandi en Floride, eux.

Je mets au défi tous les anti-armes en puissance qui se cachent parmi vous de vous rendre là où votre vie, votre sécurité ou celle d’un être aimé est en danger. Puis, représentez-vous cet endroit comme une péninsule ensoleillée habitée par des citoyens vaillants, des vieux types quasi-séniles mais autonomes, des mecs s’autoproclamant « crackers », des bouffeurs de chair humaine, des riches sociopathes et des weirdos qui se cartonnent la cervelle à la meth. Bienvenue en Floride, où vivent 19 millions d’habitants. Après avoir côtoyé des années durant, tantôt les plus intéressants, tantôt les plus abjects résidents de cet État, je suis désormais en mesure d’affirmer que tout Floridien qui se respecte possède une arme. Même les ordures prêtes à vous tirer une balle entre les deux yeux sans l’ombre d’une hésitation.

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Photos : Joe Stramowski

Eddie Cacciola

Parmi les mecs cool que j’ai rencontrés, il y a Eddie Cacciola, 32 ans, originaire de Philadelphie et ancien Marine. Eddie a emménagé en Floride il y a cinq ans. Avant ça, il servait dans l’armée comme ingénieur de combat dûment décoré – comme le type dans Démineurs – lors de la première vague de l’opération « Liberté en Irak ».

Eddie a rejoint les Marines le 18 septembre 2001. Il envisageait déjà de s’engager mais les événements du 11-Septembre ont accéléré le processus. Il a délaissé le job de ses rêves – organiser des courses de moto et importer des MV Agusta, Ducati et autres motos haut de gamme – pour combattre en Irak.

En 2005, Eddie est rentré à Philadelphie et son désenchantement dû à la guerre n’a cessé de s’accroître. « On est peut-être restés là-bas trop longtemps. Les gens commençaient à être agacés par notre présence », m’a-t-il expliqué alors que nous roulions en direction de Walmart pour acheter quelques munitions à bas prix. « Ça a été le retour de bâton d’une entreprise que je croyais juste. »

Deux ans après son retour à Philadelphie, Eddie a migré vers Sarasota, en Floride, avec sa petite amie de l’époque – une fille du coin. La ville, bordée de plages de sable blanc, encercle Siesta Key, qui jouit du titre de Meilleure plage des États-Unis en 2011 par « le plus grand expert d’Amérique en matière de plages », Docteur Plage. Il se trouve que c’est aussi ma ville natale et j’ai rencontré Eddie grâce à un ami commun qui savait que je projetais d’écrire un papier sur les détenteurs d’armes à feu.

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Eddie m’a confié qu’il n’était pas un « mordu d’armes » avant de rejoindre les Marines. Bien sûr, il avait déjà manié des fusils et des pistolets aux États-Unis mais, à son retour d’Irak, les armes à feu étaient devenues pour lui des jouets du quotidien. Comme pas mal de ses potes, Eddie est un partisan de la liberté de port d’armes. Mais, alors qu’il est d’accord avec la plupart des lois concernant les armes en Floride, il en existe une qu’il n’accepte pas du tout.

« En Floride, tu peux acheter, vendre ou troquer n’importe quoi – tant que ce n’est pas une arme illégale, explique-t-il. Il te suffit de trouver quelqu’un, conclure un deal, convenir d’un rendez-vous et échanger un revolver contre de l’argent. C’est tout. »

Quelques semaines avant les élections présidentielles, j’avais demandé à Eddie s’il était partant pour tirer quelques balles avec ses potes du centre de tir. Il m’a mis en garde : « Il faudra se dépêcher, les gens font des stocks. Ils pensent qu’Obama va passer. Si on attend trop longtemps, certaines munitions risquent de devenir difficiles à trouver. »

Le même schéma qu’en 2008 se répétait, après la première victoire d’Obama. Les chiffres de vérification d’antécédents par les marchands d’armes en Floride ont grimpé de 11,2 à 12,7 millions entre 2007 et 2008 – un indicateur clair de l’explosion du nombre de ventes d’armes. En février 2009, ont résulté de ce stockage de masse une pénurie de munitions et une frustration de tous les détenteurs d’armes – les marchands étant à court d’approvisionnement. Le mois dernier, le Orlando Sentinel a déclaré que les munitions 9 mm, les balles de calibre .45 pour pistolets semi-automatiques et les balles de calibre .38 pour revolvers devenaient rares, ce qu’ont confirmé les vendeurs des Walmart d’Apopka et de Kissimmee : les munitions énumérées ainsi que les balles de calibre .22 étaient en rupture de stock. Les Floridiens prenaient les choses très au sérieux.

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En octobre, un mois avant les élections, les vérifications d’antécédents des acquéreurs potentiels à travers le pays ont grimpé de 18,4 % par rapport à l’année précédente. La vente de fusils d’assaut comme les AR-15 ou AK-47 s’est considérablement accrue, notamment après la victoire d’Obama en 2008. Beaucoup de vendeurs et détenteurs d’armes ont fait part aux médias de leur peur quant à l’éventuelle restauration de la loi fédérale interdisant la vente de fusils d’assaut, passée sous Clinton en septembre 1994. La loi reposait sur un organigramme embrouillé déterminant quels types d’armes et quels accessoires devaient être interdits de vente.

Grâce aux sunset provisions – une clause de caducité d’une loi –, la loi a expiré en 2004. Depuis, des législateurs comme la sénatrice de Californie, Dianne Feinstein ou la députée de New York Carolyn McCarthy, ont tenté de la réinstaurer, en vain. Des études menées par l’université de Pennsylvanie, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies ainsi que par des chercheurs indépendants ont montré que l’interdiction n’avait eu qu’une influence faible sinon infime sur les statistiques criminelles. Le département de la Justice et l’administration pénitentiaire ont déclaré que si la loi venait à être remise en vigueur, « son impact serait très faible, ou pire, trop faible pour être pris en considération. Les fusils d’assaut ont rarement été utilisés dans des crimes à main armée, même avant l’embargo. » Dans le camp adverse, le centre Brady pour la prévention de la violence armée a prétendu détenir des informations de l’ATF – le service fédéral des USA chargé de la mise en application des lois sur les armes, les explosifs, le tabac et l’alcool – attestant une baisse de 4,82 % à 1,61 % lors de cet embargo. Un porte-parole de l’ATF a déclaré que son organisation « ne se portait aucunement garante de telles déclarations ».

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Même s’il était parfaitement légal ces huit dernières années de se procurer pour 350 $ un AR-15 et une crosse « Bump Fire » permettant de le transformer en full-automatique, les partisans de la liberté de port d’armes ont des raisons de craindre qu’Obama ne réinstaure la loi. Obama a été sénateur dans l’État le plus strict en termes de lois sur les armes, l’Illinois. Lors de son premier mandat, bien qu’ayant été prudent, il n’a pas mâché ses mots lorsqu’il prônait l’interdiction de la vente de certains types d’armes. En 2009, des sondages ont démontré que 41 % des Américains pensaient qu’Obama « allait tenter d’interdire la vente d’armes pendant son mandat » et par armes, entendez toutes les armes. Au mois d’août, le porte-parole de la Maison Blanche a déclaré que le président était en faveur du renouvellement de l’embargo.

Lorsque, lors du débat présidentiel de 2012, le sujet des armes a été abordé, Obama a annoncé que sa stratégie pour freiner les crimes commis dans la rue était « d’ôter des mains des criminels et des déséquilibrés les armes automatiques qui tuent un nombre incommensurable de gens ». Cette rhétorique a laissé perplexes les détenteurs d’armes. Selon eux, la possession d’armes aux États-Unis est un droit inaliénable. Que la loi soit appliquée à nouveau ou pas, la polémique bat déjà son plein.

Eddie, Mike Gatz, et “Big Nick” Colella dans un stand de tir de Sarasota, en Floride

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E

ddie m’avait prévenu que nous aurions besoin de plusieurs étapes pour rassembler tout ce qu’il nous fallait. Dans le rayon sport de Walmart, nous avons examiné les boîtes de munitions à travers les vitrines verrouillées. Il ne restait ni les balles pour carabines ni les cartouches Remington .223 nécessaires aux deux AR-15 avec lesquels nous avions prévu de tirer dans l’après-midi. Les détracteurs avaient appelé à l’interdiction de la commercialisation de fusils AR quand en juillet, James Holmes a utilisé un M&P15 Smith & Wesson (l’équivalent d’un AR-15) pour ouvrir le feu, tuer 12 personnes et en blesser 58 autres lors de la projection de The Dark Knight Rises, à Aurora. Le remue-ménage qui en a résulté a poussé les détenteurs d’armes à stocker encore plus d’armes de ce type.

Un employé de Walmart nous a avertis que l’enseigne ne pouvait pas fournir plus de six boîtes de munitions par personne et par jour. « Ce n’est pas nouveau, a-t-il précisé. On doit garder du stock. C’est pareil depuis 2008, et là, les gens pensent qu’Obama va sévir. » Eddie m’a confié qu’il n’avait jamais entendu parler de cette restriction et qu’il était déjà sorti de ce même magasin avec bien plus de six boîtes. Nous avons dépensé 900 $ de munitions mais ce n’était pas suffisant pour une journée entière de tir, alors nous nous sommes dirigés vers un autre Walmart. En général, les possesseurs d’armes ne se fournissent pas dans les commerces spécialisés, les prix étant beaucoup plus élevés que dans les grandes enseignes. Après avoir écumé un second Walmart, nous avons trouvé nos balles de carabine mais toujours pas de cartouches .223. Une fois de plus, nous avons dépensé des centaines de dollars. Assistait-on vraiment à une pénurie ? Nous avons décidé de nous rendre dans une boutique spécialisée et fraîchement ouverte près de chez Eddie, High Noon Guns.

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High Noon avait tout ce dont on avait besoin – 1 000 cartouches de .223 Remington – à des prix plutôt raisonnables. Le propriétaire, John Buchan, un mec d’une cinquantaine d’années dont j’ai tout de suite apprécié le franc-parler, s’est pris d’enthousiasme lorsque je lui ai expliqué les raisons de ma venue : écrire un article traitant des lois sur les armes à feu en Floride. C’était d’ailleurs surprenant, car tous les commerçants avec qui j’avais essayé de m’entretenir ont soit tenté de me décourager (« Tu veux que j’te dise le problème qu’il y a avec les médias ? J’vais t’le dire… »), ou se montraient méfiants et me suggéraient de repasser une autre fois. John était le mec qu’il me fallait. Quand je suis arrivé, il astiquait son précieux Colt 1879 et portait la réplique parfaite du chapeau de Russel Crowe dans 3h10 pour Yuma. Je lui ai demandé comment il avait atterri dans ce business.

« Ma compagne et moi avons tenu un stand sur différentes foires et expositions consacrées aux armes à feu pendant 18 mois, m’a expliqué John. Nous avons aussi développé un chargeur à double tambour capable de contenir 100 cartouches de 9 mm, adaptable aux armes Glock. Le brevetage est en cours. On a aussi créé un système d’aimants permettant de planquer son flingue sous son bureau ou ailleurs. Après avoir exposé aux quatre coins de la Floride, on a choisi de se sédentariser, afin d’aider et de conseiller les acquéreurs et collectionneurs d’armes. »

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John a tenu à me montrer la vidéo promotionnelle que sa compagne et lui avaient montée pour présenter leur chargeur. Dans la vidéo, on assiste à des tirs avec des semi-automatiques, des Glock 18 et un pistolet full-auto développé par l’unité EKO Cobra – le GIGN autrichien –, capable de débiter 1 100 balles par minute. Le tireur de la vidéo, âgé d’une cinquantaine d’années, tenait son arme à une main et tirait plus de 100 balles dans l’eau en moins de 6 secondes. Il chargeait comme un malade atteint de Parkinson. Heureusement, seuls les détenteurs du permis fédéral (FFL) peuvent se procurer de telles armes.

Bien entendu, John fait partie des 7 000 résidents de Floride qui possèdent ce permis. Dans la loi sur le contrôle des armes à feu de 1968, il est indiqué comment procéder pour obtenir le permis et quelles armes peuvent être commercialisées par ceux qui en jouissent. Depuis 1968, l’ATF s’occupe de superviser les services délivrant les permis et licences aux commerçants, prêteurs sur gages et autres individus amenés à manipuler ce type d’armes. Mais la surveillance ne va pas plus loin. Une fois la licence délivrée, son détenteur devient entièrement responsable de ses armes et de ce qu’il en fait – en vendre une à un assassin ou à un mari abusif, par exemple. Le système est le même dans plusieurs autres États.

« Quand tu ouvres un magasin d’armes, l’ATF te donne le droit de refuser une vente à un client pour n’importe quelle raison, sans avoir à se justifier, m’explique John. Ici, on met ce droit en pratique. On a déjà refusé de vendre à des clients juste parce que l’on sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Comme ce jeune qui s’est ramené ici, casquette à l’envers et affublé d’un tas de bijoux. Il a attrapé une arme, l’a maniée maladroitement et m’a dit : “Dis bonjour à mon petit copain” puis “il m’en faut une comme ça !” On refuse ça ici. Ceux qui ont l’air incertains, qui posent un tas de questions en remplissant le questionnaire et qui cochent “oui” quelque part, on refuse aussi. Ou les filles qui viennent essayer des armes sous les yeux de leur copain. Ils choisissent l’arme et elles remplissent les papiers. C’est illégal. Encore une fois, on refuse. »

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John nous confie que la moyenne d’âge de sa clientèle, tout comme celle de la population de Sarasota, est d’environ 50 ans. « Des collectionneurs âgés. » Les autres sont souvent des gens qui en achètent pour la première fois. Je lui ai demandé s’il avait remarqué une hausse des ventes d’armes et de munitions à l’approche des élections.

« Oui, tant au niveau des armes que des munitions », a-t-il répondu, ajoutant que la plupart des gens achetaient des armes pour « leur protection personnelle et par peur que le gouvernement ne bannisse une nouvelle fois certains types d’armes, certaines munitions, ou ne les taxe ».

J’ai abordé l’affaire Trayvon Martin, ce jeune de 17 ans tué par balles en février dernier alors qu’il ne portait pas d’arme sur lui. Son assassin, George Zimmerman, effectuait alors une ronde de surveillance volontaire dans le quartier de Trayvon, à Sanford en Floride. L’incident et les charges retenues contre l’assassin – aucune – ont fait les gros titres des journaux internationaux, et la loi « stand-your-ground » a été largement critiquée. Cette loi est inspirée d’une loi anglaise du XVIIe siècle sur l’autodéfense, aussi connue sous le nom de « Doctrine du château » et faisant référence au vieil adage : « La maison d’un homme est son château. » En 2005, la Floride était le premier État à promulguer cette loi, soutenue par la NRA – l’association qui promeut les armes à feu aux États-Unis. Depuis, plus de la moitié des États du pays ont adopté des lois similaires. Mais les Floridiens prennent les choses au pied de la lettre, ce qui explique pourquoi ils ont décidé de faire comme si tout le monde vivait encore dans des châteaux immenses au beau milieu de nulle part et qu’ils avaient décidé de s’octroyer des droits moyenâgeux. « J’aime la tournure que la loi a prise aujourd’hui, m’a assuré John. Je ne pense pas que Trayvon Martin ait eu quelque chose à voir avec cette loi, il manquait simplement d’éducation. Trayvon et son assassin ont tous deux pris une mauvaise décision cette nuit-là, et le pire s’est produit. »

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En Floride, si vous avez plus de 18 ans et que vous n’avez pas d’antécédents criminels, vous pouvez vous rendre dans un Walmart ou chez un marchand d’armes, acheter un flingue et repartir avec le jour même. Si vous voulez choper un flingue chez un commerçant jouissant de la licence FFL, c’est un peu plus compliqué, mais pas tant que ça. Il vous faut avoir 21 ans, vous soumettre aux vérifications d’antécédents auprès des autorités compétentes, et si votre cas est validé, compter trois jours avant d’obtenir votre arme. Vous pouvez aussi vous dispenser de toutes ces démarches en vous inscrivant pour passer le permis de port d’armes.

En juillet dernier, cinq mois après la mort de Trayvon, la Floride était sur le point de devenir le premier État habité par plus d’un million de titulaires du port d’armes. Ce permis permet aux résidents de Floride de porter un flingue n’importe où, à condition qu’il soit dissimulé sous un tee-shirt, une veste, dans un pantalon, une poche ou un chapeau – partout, tant qu’il n’est pas visible par un tiers. Parfois, dans la vie, cacher un truc douteux sous sa veste devient acceptable.

Ce qui signifie qu’un jour donné, 5 % des habitants de Floride se baladeront à Disney World, sur les plages du golfe voire dans un Wendy’s de Yeehaw Junction (un village paumé de 240 habitants, et un excellent endroit pour se faire buter) en ayant sur eux un flingue compact ou subcompact. La majorité d’entre eux seront chargés et verrouillés. C’est une chance de se retrouver à côté d’un type armé dans une situation dangereuse, mais si le type en question s’avère un meurtrier obsédé par les effets d’une balle à tête creuse sur un sternum humain, ça l’est moins.

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High Noon, comme beaucoup de magasins d’armes, organise des cours de préparation au permis de port d’armes. Tom Dusseau, un ancien Marine impliqué depuis 23 ans (dont 8 dans la SWAT et 5 en tant que sniper) dans la police d’État, supervise ces cours. Il y a quelques années, il est devenu entrepreneur en Irak pendant un an avant de se réatteler au respect de la loi. Il sait manier les armes et est fier d’être aujourd’hui recommandé par la NRA. Je lui ai demandé pourquoi les prétendants au permis de port d’armes devaient le choisir lui plutôt qu’un autre professeur.

« Ce dont les autres professeurs manquent, si je puis dire, c’est d’expérience. C’est tout ce dont on a besoin lorsque l’on se retrouve impliqué dans une confrontation. Comprendre les changements physiologiques que subit son corps sous l’influence du stress et savoir utiliser tout et n’importe quoi autour de soi pour survivre, c’est bien plus important que l’apprentissage technique. »

Au cours de ses vingt dernières années de service, Tom dit n’avoir réprimandé qu’un seul et unique détenteur du permis de port d’armes, et ce n’était pas bien méchant. Il a ajouté : « Les gens qui cherchent à avoir ce permis ne sont pas des criminels. Les armes que j’ai retirées de la rue ne sont jamais achetées dans les commerces. Ces armes ne sont pas déclarées à l’administration. Elles sont volées et, une fois dans la rue, elles passent de main en main. »

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Tom en est venu à affirmer, comme John, que les écueils majeurs des lois sur les armes à feu en Amérique découlaient des problèmes d’éducation et de compréhension. L’un va avec l’autre : lorsque les législateurs opposés à la liberté de port d’armes sont au pouvoir, les gens, eux, stockent des armes et s’inscrivent à des cours pour obtenir leur permis, de peur que le gouvernement ne leur enlève leurs droits. Mais ce système rend le marché des armes plus fructueux que jamais. Ce que pense Tom est le cas de beaucoup d’Américains : « Après la première victoire d’Obama, je donnais des cours dans un autre gun shop, en Floride. Avant les élections, un gros cours accueillait 8 à 10 personnes ; après, on oscillait entre 25 et 30. Les gens paniquent et se ruent sur les munitions s’ils sentent les restrictions arriver. »

Tom, comme la plupart des marchands et des détenteurs d’armes auxquels j’ai parlé en Floride, m’a confié que selon lui, les politiciens qui rédigeaient les lois sur les armes n’y connaissaient rien. Il a fait référence à la loi de 1994.

« Ils font ça au flair, m’explique-t-il. Quand tu vois des gens – politiciens ou autre – choisir les armes qui doivent figurer sur la liste de celles à bannir du marché, juste parce qu’elles ont l’air effrayantes, tu ne peux que trouver ça ridicule. J’ai moi-même un AR. Je l’ai acheté lors de l’embargo, ce qui signifie que je ne pouvais l’équiper ni de crosse pliable, ni de tenon de baïonnette. Quand avez-vous entendu parler pour la dernière fois d’un meurtre à la baïonnette ? Avec la loi, ce qui a changé, c’est la présence de crosse ou de tenon, pas la fonction de l’arme. Ça n’a aucun sens. On ne dit pas qu’il ne devrait pas y avoir de réglementation, on dit simplement que les réglementations doivent être sensées. »

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Je repensais à ce qu’Eddie m’avait dit sur les ventes privées d’armes à feu en Floride – à quel point il était simple de se procurer une arme légale dans un parking souterrain, sans surveillance. J’ai demandé à Tom ce qu’un flic devait faire s’il apprenait qu’une arme impliquée dans un crime avait été vendue de cette manière – si le vendeur pouvait avoir des problèmes ou non. « C’est légal, donc aucune charge ne pourra être retenue contre lui. Cependant, si pendant l’enquête on découvre qu’un marché a été conclu et que le vendeur connaissait les risques, qu’il s’agissait d’une vente illégale ou d’une vente par procuration (lorsque quelqu’un achète une arme pour un tiers) alors oui, le vendeur peut être poursuivi. »

L'auteur tire avec un Bushmaster Predator AR-15. Beaucoup de législateurs veulent interdire ce type d'armes semi-automatiques.

Q

uand nous avons quitté High Noon pour le centre de tir, je peux vous assurer qu’Eddie était surexcité à l’idée de tirer avec nos 1500 dollars de munitions pour lesquelles nous avions écumé la ville. Moi aussi. Ça m’a fait penser aux gens qui prétendent haïr les armes mais qui n’ont jamais tiré – je veux dire, comme un adulte, dans un environnement adéquat et contrôlé. Si vous avez déjà tiré et que vous continuez à clamer votre aversion pour les armes, alors je ne comprends pas, mais je le respecte. Tirer est un truc cool tant qu’on ne se comporte pas comme un idiot.

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Vingt minutes plus tard, nous sommes arrivés aux Knights Trail, un centre de tir dans la banlieue de Sarasota. Le tir en salle peut être oppressant, et quand Eddie et ses amis ont envie de tirer quelques balles, ils ont besoin d’espace. Des tables en bois bancales et une ligne rouge « ne pas dépasser » délimitent la zone où des types tirent sur des cibles de différentes tailles. Les « yeux » (des masques en Plexiglas), comme les « oreilles » (des boules Quiès) sont obligatoires.

Trois des potes d’Eddie nous ont rejoints – « Big Nick » Colella, Steve Norton et Mike Gatz. J’ai entendu Eddie et d’autres amis à moi mentionner « Big Nick » un bon nombre de fois lors de mon séjour. Big Nick est un type jovial de 29 ans, propriétaire d’une armurerie ambulante. Je lui ai demandé ce qu’il avait pris avec lui pour tirer.

« Voyons voir », a-t-il fait en prenant une grande inspiration et en sortant ses armes. « Un bushmaster Predator AR-15, un HK mp5 .22 LR, un Springfield Armory XD-S .45, un Smith & Wesson Governor .45 ACP/.45 LC/.410 GA, un custom 1911 .45 et un fusil de chasse Benelli M2 12-gauge. Le reste est à la maison. »

Il y a un peu plus d’un an, Big Nick ne possédait pas une seule arme, mais comme beaucoup de mecs, il est tombé dans la spirale infernale – acheter une arme, en vouloir une autre, puis toutes, devenir passionné, et créer son propre arsenal. La facilité avec laquelle on peut s’en procurer joue aussi beaucoup.

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Après avoir tiré avec quelques-unes des armes de Big Nick, il m’a demandé si je voulais tester son AR-15 qu’il avait récemment équipé de lunettes de visée. Je l’ai chargé de 30 balles, ce qui n’est et n’a jamais été illégal – interdiction ou non. Après avoir réglé le bipied et ajusté la visée, j’étais prêt à tirer. J’ai pris deux grandes inspirations et je me suis assuré d’expirer pendant que je me concentrais sur la cible. J’ai pressé la gâchette. J’avais peu de recul et j’ai visé légèrement à côté de la marque. J’ai réessayé et tiré dans le point rouge, au centre de la cible. Bien que je pratique depuis mon enfance, je me considère comme un novice. Je ne suis pas très doué, et bien que je puisse viser juste une fois sur dix, ne comptez pas sur moi pour vous défendre si jamais un creep venait à vous prendre pour cible.

Mike, le boss d’un bar local, lui a ramené un arsenal moindre mais tout aussi impressionnant qui comprenait un Tactical AR-15, une arme plus appropriée pour des distances comme celles-ci. J’ai demandé à Mike s’il avait entendu parler de la fameuse loi.

« Les législateurs remuent ciel et terre pour interdire ce qu’ils appellent les “fusils d’assaut” mais je pense que la plupart n’y connaissent que dalle. Ils pensent que les AR et les fusils d’assaut sont une seule et même chose, ce qui est faux. Un AR est un ArmaLite, et tire son nom de la compagnie qui les fabrique. »

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Eddie a énuméré les armes qu’il possédait. Notamment un Springfield Armory XD .40, un Wilson Combat 1911, un fusil de chasse H&K FP6 calibre 12, un Sig Sauer 522 (un modèle d’entraînement de la SWAT revisité – le SIG556 – car équipé d’une crosse pliable et d’un dispositif antiparasite, et modifié pour pouvoir tirer des balles .22 LR). En regardant Eddie se concentrer, il semblait clair que cet homme savait manier une grande variété d’armes et qu’il était à la fois respectueux et conscient de leur pouvoir. On a tiré jusqu’à la fermeture du centre – 16 heures. Une grande partie de nos munitions y est passée.

Après avoir tout remballé, nous nous sommes dirigés vers Sarasota Trap, Skeet & Clays, un centre de tir sur cibles en argile, à environ 500 mètres au sud. Alors que nous roulions en voiturette à travers le circuit boisé, j’ai eu l’opportunité de m’entretenir avec Steve, le cinquième membre de notre groupe, habitant de Sarasota depuis neuf ans. Il portait un tee-shirt arborant le drapeau de l’Amérique en noir et blanc sur lequel on pouvait lire : « Pour elle, je me prendrais une balle. » Steve a servi huit ans dans l’armée et a été médecin de guerre en Irak de septembre 2008 à septembre 2009. Il m’a dit être né dans l’Ohio et tenir son amour des armes à feu de son père, avec qui il allait tirer dans des clubs étant gamin.

Peu de temps après notre arrivée, la copine d’Eddie a déposé son fils de 12 ans, Shawn, pour qu’il puisse passer du temps à tirer avec son père. Apprendre à son enfant les bases des armes à feu – et avec un peu de chance, les vertus du respect – est un passe-temps américain encore plus ancestral que celui de l’apprentissage du catch dans son jardin. Shawn s’est avéré doué. C’est avec difficulté qu’Eddie a admis que son fils le surpassait en matière de tir sur les cibles en argile. J’ai demandé à Shawn ce qu’il pensait des armes. « Je dois sûrement les aimer. »

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J’ai frémi en imaginant Shawn derrière un AR-15, et j’imaginais des drones télécommandés par des préados tireurs d’élite en train de tout bourriner devant eux. Le monde serait-il plus beau ainsi ?

Le fils d'Eddie, 12 ans, un putain de tireur

L

orsque j’ai tiré pour la première fois, je devais avoir 10 ou 11 ans. À cette époque, j’étais inscrit dans un club d’arts martiaux et mon senseï, un vétéran du Vietnam, était un mordu d’armes. De temps en temps, il invitait ses meilleurs élèves à des séances de tir privées. Alors, quand j’ai obtenu ma ceinture noire, il m’a convié à l’une d’entre elles. Je me souviens de m’être tenu debout au beau milieu d’un vaste champ, essayant tant bien que mal de garder mon calme et de rester concentré en tirant avec des Magnum Snub-Nose .357, des AK-47 et d’autres types d’armes potentiellement dangereuses. Même ma mère, qui détestait les armes, n’a pas vu d’inconvénient à ce que j’apprenne « les bases de la sécurité ». En tout cas, c’est ce que mon senseï en a conclu ; je doute qu’il ait mentionné l’AK-47, cela dit.

En grandissant à Sarasota, j’ai été témoin d’une sévère montée de violence, dégradant sérieusement l’image paradisiaque que la ville pouvait véhiculer. Si j’y vivais encore aujourd’hui, ou ailleurs en Floride, j’aurais une arme. Pas parce que c’est un endroit particulièrement violent. C’est plus une sorte de politique de vie instaurée sans raison, et qui n’a aucun sens – aucun sens, jusqu’au jour où vous vous trouvez dans une situation délicate. Pour diverses raisons, je me suis retrouvé dans ce type de situation ces vingt-cinq dernières années. Je me suis pris des poings, des coups de couteau et même une fois un club de golf dans la tête alors que j’étais défoncé au LSD lors du bal de promo du lycée – un groupe de jeunes délinquants était à la recherche de la copine d’un des leurs, qui avait couché avec un de mes potes. Ils ont tabassé tout le monde, sans discrimination (j’ai eu une commotion cérébrale mais me suis tenu debout suffisamment longtemps pour pouvoir donner à mon agresseur un violent coup dans la trachée.) Cependant, je n’ai jamais eu de flingue pointé sur moi.

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Apparemment, les choses s’arrangent de plus en plus en Floride. Le taux de crimes violents enregistré en 2011 est le plus bas de ces vingt dernières années.

Jon H. Gutmacher est l’auteur du manuel Florida Firearms: Law, Use & Ownership, qui en est à sa 7e réédition. Il m’a expliqué que, selon lui, la plupart des lois floridiennes sur les armes à feu, aussi confuses soient-elles, étaient écrites dans le but de prévenir les crimes.

« À mon sens, plus les détenteurs d’armes connaissent la loi – et c’est rarement le cas –, mieux c’est. Je suis un grand partisan de l’autodéfense. Je l’ai toujours été. Si vous vous trouvez embarqué dans une situation dangereuse et que vous n’êtes pas armé, vous n’empêcherez rien du tout. Vous serez juste une cible sur pattes aux yeux des méchants. »

L'ancien médecin de guerre Steve Norton et l'auteur dans une voiturette sur le stand de tir de Sarasota 

Bien qu’il n’y ait pas eu de changement législatif décisif depuis l’expiration de la loi de 1994, Jon met rigoureusement à jour ses écrits pour rester aussi actuel que possible. Jon est LE type qui écrit des livres sur les armes en Floride, et beaucoup de librairies s’arrachent son manuel de 350 pages.

J’ai demandé à Jon s’il pensait que le gouvernement Obama allait rétablir l’interdiction. « Il se peut qu’ils essaient, mais je ne crois pas que ça arrivera jusqu’au Congrès. Je ne vois pas en quoi, dans une zone où le nombre d’armes d’assaut a été multiplié par dix, cela pourrait marquer la moindre différence. Outre le fait de décupler les chances du Parti républicain de remporter les élections. »

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Si une telle loi venait à passer, ai-je demandé, les détenteurs d’armes achetées avant les élections pourraient-ils les garder ? Le gouvernement essaiera-t-il de les leur retirer ?

« Ils les garderont, dit-il. Autrement, le gouvernement devra leur racheter au prix du marché. C’est stipulé dans la Constitution. Le coût serait trop important, ce n’est pas près d’arriver. »

Jon a dévoué la première partie de son livre à l’étude des subtilités de la Constitution américaine, du droit au port d’armes et du droit de créer des milices « organisées et nécessaires à la sécurité fédérale » stipulés dans le deuxième amendement. Ce dernier point a été source de polémique dans l’article anti-armes de Jill Lepore, « Battleground America », publié en avril dernier dans le New Yorker. Alors que Jill marque des points lorsqu’elle parle du contrôle des armes, je me demande parfois si elle ne joue pas à la politicienne lorsqu’elle parle des milices.

« Les armes à feu utilisées par les milices organisées dont il était question dans le deuxième amendement, explique-t-elle, étaient principalement des armes d’épaule qui, tout comme les pistolets, ne pouvaient décharger les balles qu’une à une. En matière de vitesse, d’efficacité, et de taille, la différence entre un mousquet du XVIIIe et l’arme avec laquelle George Zimmerman a assassiné Trayvon Martin est à peu près la même qu’entre le tout premier ordinateur portable et un iPhone. »

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Ne vous y trompez pas : les types qui forment ces milices paranoïdes – notamment parce qu’un nouvel ordre mondial serait sur le point d’éclore – sont des crétins fous furieux qui ne devraient avoir accès à aucune arme. Par ailleurs, ça fait un bout de temps que la Garde nationale a coulé toutes ces milices merdiques. Mais si l’on parle encore de ces mecs en perruque à l’origine des textes fondateurs des États-Unis, c’est pour leur clairvoyance. Pourquoi irions-nous nous enticher de ce que nos illustres aînés appelaient des « milices » ? Mais si demain une bombe nucléaire venait à exploser ou une catastrophe terrestre venait à ravager le territoire, qu’est-ce qu’on ferait ? Est-ce que le gouvernement, comme les plus paranos d’entre nous le pensent, décréterait un état d’urgence et mettrait en place des lois totalitaires ?

« Je n’ai aucun argument qui tendrait à justifier la formation d’une milice de nos jours, dit Jon. Les choses ont changé depuis le XVIIIe siècle, quand les milices avaient comme rôle principal de défendre les États-Unis des invasions, internes ou externes. Les milices étaient la solution à tout. Il y avait différents types de milices ; les plus petites étaient organisées par l’État dont elles dépendaient. La plupart des milices étaient organisées à l’échelle locale. Les armes étaient fournies, les uniformes l’étaient aussi. Si vous remontez un peu l’histoire, ne pas combattre les criminels était considéré comme un crime. Beaucoup de gens ne le savent pas. »

En me remémorant tout ce que j’avais appris sur les transactions mettant en jeu des armes dans cet État, j’ai demandé à Jon si j’avais bien tout saisi : ce que je sais, c’est qu’il est parfaitement légal pour un résident de Floride d’acheter une arme chez Walmart et de la revendre à n’importe qui se prétendant résident de l’État de Floride. Pas de paperasse, pas de reçu écrit, rien. Et si le jour d’après l’acheteur décide de charger son arme et de déposer chacune de ses munitions dans la boîte crânienne d’un inconnu, alors le vendeur n’est pas responsable – à moins que la police ne découvre que le flingue était destiné à une tierce personne ou ne prouve que le désir de tuer de l’acheteur était palpable dès l’achat de l’arme.

« Tu ne peux pas en vendre aux personnes non autorisées, m’a-t-il dit. Mais, à moins que tu n’en sois informé avant la transaction, tout ce que tu peux faire pour le savoir, c’est demander : “Vous êtes de Floride ?” ou “Vous êtes certain d’avoir le profil nécessaire pour porter une arme ?” Si l’acheteur prétend être de Floride et a l’air sain d’esprit, tu as le droit de lui vendre. »

Je n’y croyais toujours pas, mais j’allais bientôt réaliser.

Le Sig Sauer P238 qu'Eddie a acheté sur le site web Florida Gun Trader. La transaction, douteuse, s'est déroulée sur un parking à 10 heures du soir.

L

e matin suivant, j’ai téléphoné à Eddie pour lui demander s’il était d’accord pour effectuer une transaction – je lui donnerais l’argent et il achèterait une arme pour moi. N’étant plus résident de l’État, il aurait été illégal que je le fasse moi-même. Eddie, qui passe parfois moins d’une demi-heure sur Florida Gun Trader (une sorte de Craigslist des armes) avant de commander une arme, était totalement d’accord. Après avoir fixé un budget de 550 dollars et passé quelques coups de fil, nous sommes tombés sur une offre alléchante – un SigSauer P238, avec un boîtier et une boîte de balles à tête creuse. Eddie a appelé le vendeur et ils sont convenus d’un rendez-vous le jour même, à 22 heures, dans un parking souterrain proche de Lowe. J’ai demandé à Eddie d’estimer l’illégalité de la vente sur une échelle de 1 à 10.

« Neuf et demi. Acheter une arme à 22 heures est un peu… suspect. Mais tant que j’ai l’argent, il me la vendra. » Trente minutes plus tard, j’étais garé à quelques rangées d’un pick-up noir. J’attendais qu’Eddie arrive en moto et je scrutais les environs à travers le pare-brise. J’avais le sentiment d’être surveillé, mais tout ce qui allait suivre était légal.

Eddie est entré dans le parking, s’est garé le long du pick-up et s’est dissimulé pour inspecter l’arme. Avant de partir, j’avais équipé Eddie d’un mini-micro sans fil et, après avoir écouté leur conversation douteuse, j’ai aperçu l’arme par la lunette arrière du pick-up, alors qu’Eddie l’approchait de son visage.

« Mon téléphone a sonné toute la nuit, mec, a dit le vendeur à Eddie. Si tu ne le prends pas, quelqu’un d’autre le prendra.

– Non, je vais le prendre. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien. Je voulais juste m’assurer que cette arme n’avait pas été utilisée lors d’un crime et que vous n’étiez pas un criminel.

– Nan mec, j’en suis pas un, et le mec à qui je l’ai acheté n’en était pas un non plus. Enfin, je suis presque sûr de ne pas en être un. Je pense pas que leurs accusations contre moi tiennent. Donc y’a pas de problème. »

Le vendeur ne s’est pas rétracté et la transaction a été effectuée. J’avais aussi enjoint Eddie de demander un reçu écrit. Le vendeur, qui prétendait être prêteur sur gages, n’a pas hésité une seule seconde à lui en fournir un. Il n’a demandé aucun papier d’identité – Eddie lui avait dit au téléphone qu’il habitait en Floride. Oui, c’est aussi facile que ça d’acheter une arme en Floride.

Quelle que soit votre opinion sur la question, on peut dire que la situation représente ce que Horst Rittel et Melvin M. Webber appellent « un problème pernicieux » dans leur traité de 1973 sur le sujet. Un problème pernicieux est un problème qui ne peut être ni résolu, ni même expliqué – définir ce qu’est un « problème pernicieux » est à l’origine un problème pernicieux. Il s’agit de ces dilemmes « qui n’ont pas d’ensemble de solutions potentielles qu’on peut énumérer. Chaque problème pernicieux est unique en son genre. Et chaque problème pernicieux peut être considéré comme le symptôme d’un autre problème ».

Tout comme l’avortement, le mariage gay et d’autres points sensibles, il est impossible d’aller à rebours des convictions d’une personne et de lui démontrer qu’elle a tort. Même si le gouvernement essayait de bannir les armes, les gens en stockeraient de plus en plus jusqu’à ce qu’ils ne soient plus autorisés à le faire. Qui les leur ôterait ? La Garde nationale ? Les flics locaux ? Essayez de simuler un tel scénario à un pro-armes à feu si vous voulez le faire rire.

Outre les règlements de plus en plus stricts en termes de -vérification d’antécédents et la volonté de mettre les armes à feu hors de portée des personnes mentalement instables, il n’existe aucune réponse au débat sur les armes à feu qui puisse convenir à tous. Tout ce que je sais, c’est qu’il ne faut jamais énerver un détenteur d’armes. Vraiment jamais.

Cet article est paru dans le numéro des causes perdues, dont vous pouvez retrouver tous les articles ici