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reportage

Coquillages, maladies parasitaires et crustacés

Une ONG sénégalaise pense avoir trouvé une solution durable contre l’épidémie de bilharziose : l'élevage de langoustines.

Un enfant sénégalais et une langoustine, aux alentours de Richard-Toll. Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de Nicolas Jouanard.

Alors que la communauté internationale guette les premiers cas d’Ebola hors de la zone d'infection principale (Guinée, Libéria, Sierra Leone), une autre épidémie est oubliée. Elle est constante, tue moins vite mais contamine toujours plus les populations des pays en voie de développement. 779 millions de personnes exposées, 243 millions infectées, plus de 200 000 morts par an, la bilharziose est une maladie méconnue qui ravage à long terme de nombreux pays tropicaux. Il s'agit de la seconde maladie parasitaire mondiale, juste derrière le paludisme.

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Le parasite de la bilharziose prolifère dans les eaux stagnantes. Une fois infectée, la personne souffrira principalement de fièvre, de diarrhées, de douleurs abdominales et d'infections urinaires. Il faut plusieurs années, voire plusieurs mois, pour que les dégâts commis sur le corps conduisent à la mort, multipliant ainsi les risques de contamination pendant autant de temps. Entre 1,7 et 4,5 millions d'années d'espérance de vie corrigée de l'incapacité sont ainsi perdues.

Dans la région du fleuve Sénégal, à la frontière mauritanienne, une épidémie de bilharziose est apparue brusquement en 1989. Certains villages, jusqu'alors épargnés par la maladie, ont vu leur population infectée à 95%.

Le point d’eau du village de Lampsar. Depuis la réintroduction des langoustines, on n’y trouve plus de larves parasitaires.

En 2012, alors que je travaillais à Dakar, j'avais entendu parler de l'ONG Projet Crevette (depuis rebaptisée Aquaculture Pour La Santé), qui luttait contre cette maladie. Après dix heures de route et deux taxis-brousse, j'arrivais à Saint-Louis. Située à l'embouchure du fleuve Sénégal, l'île de Saint-Louis, délaissée au profit de la géante Dakar, a petit à petit périclité. On pouvait voir sur les murs les traces des inondations successives provoquées par les crues du fleuve. L'atmosphère était humide ; des chauves-souris rodaient. L'éclairage public fonctionnait par intermittence ; les coupures d'électricité sont fréquentes sous ces climats. Après l'hôpital, réputé être le premier foyer d'infection de paludisme de la région à cause de ses caves inondées, je trouvais les bureaux de l'ONG. J'y ai rencontré Nicolas Jouanard, le coordinateur du projet. Autour d'un verre de pastis frelaté, il me raconta pourquoi ils avaient initié une nouvelle forme de « lutte biologique ».

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« L'idée nous est venue quand on a entendu parler de la grande épidémie de 1989 », commença-t-il. Cette année là, dans la région de Richard Toll à une centaine de kilomètre de Saint-Louis en amont du fleuve, la prévalence de la bilharziose dans certains villages était passée de 1 à 95 %. Une recrudescence jamais vue pour cette maladie. Très vite, une corrélation a été faite avec cette crise épidémique et la construction du barrage de Diama.

Cet ouvrage finalisé en 1988 sur le fleuve Sénégal a permis d'empêcher la remontée des eaux salées dans les régions agricoles. Les surfaces irriguables ont alors considérablement augmenté. Mais la construction de ce barrage a détruit l'écosystème du fleuve. Une espèce de langoustine en a particulièrement été victime. La Macrobrachium Vollenhovenii, de son petit nom, vit en eau douce mais se reproduit dans l'eau saumâtre. La construction du barrage a donc brusquement interrompu son cycle de reproduction, conduisant l'espèce à disparaître du fleuve Sénégal.

Grâce à la Macrobrachium Vollenhovenii, les habitants de la région de Richard-Toll peuvent mener leurs activités quotidiennes sans risque d’infection

Drame écologique, certes, mais surtout catastrophe humaine. Cette langoustine est le prédateur naturel de gastéropodes d'eau douce, principal vecteur de transmission de la bilharziose pour l'homme. Pour se développer, les œufs des parasites relâchés à l'eau via l'urine et les matières fécales des personnes malades ont besoin de ces escargots pour pouvoir évoluer. Le parasite sera ensuite de nouveau capable d'infecter par voie cutanée les personnes en contact avec l'eau contaminée. Son prédateur naturel disparu, les escargots ont proliféré massivement. Et l'épidémie de bilharziose débuta.

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« L'objectif d'Aquaculture Pour La Santé consiste à réintroduire les prédateurs des escargots pour réduire les foyers de contamination » m'expliqua Nicolas Jouanard. L'ONG menait en 2012 une étude pour vérifier l'impact de ces crevettes sur la prévalence et les taux d'infection des villages dans la région de Richard Toll. « Il nous a fallu d'abord trouver une méthode d'élevage performante pour les langoustines, ajoute Nicolas. L'écosystème du fleuve détruit, il nous a fallu récréer les conditions environnementales nécessaires artificiellement. Beaucoup de nos spécimens ont péri pendant cette phase ».

Le biologiste Amit Savaia

Amit Savaia, biologiste de l'université Ben Gourion, avait rejoint l'équipe pour améliorer les conditions d'élevage et surtout pour conditionner le sexe et la taille des individus de langoustine. Pour le chercheur, « le but est de créer des agents de lutte biologique extrêmement agressifs. Il suffit de procéder à une sélection et à une manipulation génétique pour que les femelles n'enfantent plus que des mâles de petites tailles ; ce sont des prédateurs beaucoup plus efficaces que les grands individus  ».

La vraie force du projet résidait dans l'impact socio-économique qui va découler de la réintroduction de la Macrobrachium Vollenhovenii. « Ces langoustines ont une forte valeur ajoutée ; les pêcheurs du fleuve vont pouvoir mener une pêche durable. Leurs ressources vont donc être considérablement augmentées » selon Nicolas Jouanard. Si le barrage a développé le potentiel agricole de la région, la réintroduction de ces langoustines devait elle aussi contribuer à un essor économique.

Deux ans plus tard, j'ai recontacté Nicolas Jouanard pour connaître les résultats des premières études de l'ONG. L'équipe du projet a pu mettre en route des encloseries performantes ; aujourd'hui, l'objectif est de produire deux milles alevins dans les douze prochains mois, puis de les relâcher dans les eaux du fleuve. « Dès que nous avons eu assez de spécimens pour pouvoir réintroduire l'espèce dans les points d'eau de villages tests, nous procédons à une série d'analyse tous les six mois pour mesurer l'impact sur l'épidémie ». Cinq enclos dans trois villages différents ont été installés. Pour pouvoir comparer les taux de prévalence et d'infection, des analyses ont été conduites dans des villages témoins qui n'ont pas reçu de langoustines.

« Les résultats sont très encourageants » se réjouit-il. Dans les villages qui ont pu bénéficier des crevettes, la prévalence de la maladie a chuté de 20 %. Selon l'ONG, si les résultats ne sont pas si importants, c'est parce que seuls les points d'eau du village ont reçu des crevettes. Les villageois peuvent donc toujours attraper le parasite dans les rizières, les canaux d'irrigation ou dans le fleuve. « Mais la réussite du projet concerne la chute conséquente des taux d'infection » explique Nicolas Jouanard. À partir de plus de 50 œufs par millilitre d'urine, l'individu est considéré comme ayant atteint le seuil symptomatique, c'est-à-dire qu'il va ressentir les symptômes de la bilharziose. « Dans les villages tests, le taux d'infection a chuté de 50 %. Les gens sont tout simplement à moitié moins malades ». Dans le village de Lampsar, il ne reste plus trace de larves parasitaires. Ce sont des centaines de personnes qui vont pouvoir guérir de la bilharziose sans crainte de rechute à la première baignade.

Des bailleurs internationaux se sont penchés sur ce projet. Ils souhaitent commencer un développement à grande échelle. « Dans les trois ans, nous voulons développer des infrastructures d'élevage capables de produire trois à quatre millions d'alevins par an pour endiguer à long terme la bilharziose dans la région du fleuve Sénégal », prévoit Nicolas Jouanard. « Si tout se passe bien, dans quelques années, nous devrions pouvoir exporter la méthode dans toute l'Afrique. Et peut être enrayer cette épidémie ».