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Des nouvelles des génocidaires rwandais

Ils croupissent dans une prison de Kigali que j'ai visitée le mois dernier.

Toutes les photos sont de l'auteure. Note : pour des raisons évidentes, les noms ont été changés.

En entrant dans la prison Nyarugenge de Kigali, la capitale du Rwanda, je remarque que les gardes armés se tiennent à proximité d'un panneau qui précise « Pas de corruption ». Les prisonniers portent des habits roses lorsqu'ils sont en attente de jugement, et des tenues oranges quand ils ont été condamnés.

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Le génocide rwandais a duré un peu plus de trois mois. 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont perdu la vie, tués par leurs frères, leurs amis, leurs voisins. Suite à cette catastrophe, de nombreuses personnes ont été poursuivies, mais les ressources limitées du pays ont rendu les procès assez difficiles à mettre en place. Afin d'accélérer les procédures, un système de justice locale appelé gacaca a été établi. Les jugements ont eu lieu dans les villages – où les victimes et leurs familles étaient directement confrontées à leurs bourreaux.

Accéder aux prisons rwandaises n'est pas chose aisée et nécessite de nombreux accords, dont une permission écrite de la part d'une institution judiciaire gouvernementale. Après m'être soumise à toutes ces formalités, j'ai patienté sur un canapé dans la salle d'attente de la prison avant de pouvoir discuter avec deux génocidaires rwandais : Justine, une femme de 50 ans portant un foulard orange à pois, et Thomas, un homme de 54 ans qui m'a poliment serré la main avant de s'assoir.

VICE : Pourquoi êtes-vous en prison ?
Justine : Je suis ici à cause du génocide. J'étais membre du parti au pouvoir et j'ai participé à ce qui est arrivé à mes voisins. Lorsque le génocide a débuté, un poste de contrôle a été mis en place à côté de ma maison. Les soldats prétendaient qu'ils voulaient uniquement capturer des membres du Front patriotique rwandais. Je ne savais pas qu'un génocide était en cours. Pour protéger ma famille, je me suis mise à tuer des gens à mon tour – je faisais partie des Interahamwe [une milice Hutu].

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Vous êtes en prison pour combien de temps ?
Je suis ici depuis 1996, mais j'ai été autorisée à rentrer chez moi en 2007. De nouvelles accusations sont apparues à mon encontre et je suis retournée en prison en 2010. J'avais pourtant confessé tous mes crimes et demandé pardon. Je pensais que c'était fini – mais maintenant, les gens me disent que je vais passer ma vie en prison.

Pourquoi avez-vous été ramenée en prison ?
Ils ont mis en place les gacaca – tout le village vient vous accuser pendant le jugement. Ils prétendent qu'une seule personne a tué tout le monde dans les environs.

Beaucoup de gens ont perdu des membres de leur famille et avec le temps, ils se sont mis à accuser la personne qu'ils avaient sous la main. Comme ils sont en colère, ils vous accusent de nombreux crimes qui s'ajoutent à ceux déjà reconnus. Je ne pouvais pas me contenter de reconnaîre ce que j'avais fait – ils voulaient que je me porte responsable de tous ces meurtres.

Nous nous sommes confessés depuis longtemps pour les crimes que nous avons commis. Les survivants ont déjà porté plainte, et les gens de mon village m'ont pardonnée – seul le gouvernement s'attache encore à m'accuser de crimes que je n'ai jamais commis. Je suis sûre que de nouvelles accusations contre moi vont surgir. Tout ce que je sais, je l'ai déjà raconté, mais je n'ai pas réussi à trouver quelqu'un pour me défendre contre ces nouvelles accusations. Dans les gacaca, si vous n'avez personne pour vous défendre, vous êtes perdu.

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Des enfants morts pendant le génocide

Il est toujours dur d'imaginer que tant de gens aient pu participer à ces massacres. Pouvez-vous l'expliquer ?
Je travaillais à l'aéroport en tant que réceptionniste. Nous lisions souvent les journaux. Lorsque l'avion du président a été abattu, l'information a été directement relayée par la Radio-Télévision Libre des Milles Collines. Les médias ont implanté la haine dans le cœur des gens. Après le crash de l'avion, ils répétaient sans cesse de se méfier de tout le monde.

Le génocide s'est achevé avec la victoire du Front patriotique rwandais, à majorité Tutsi. Comment l'avez-vous vécu ?
Au début, nous étions sous le choc. Nous pensions finir assassinés par les gens que nous avions nous-mêmes attaqués. En réalité, ils nous ont bien traités. Nous avons eu de l'eau, de la nourriture. Les gens qui critiquent le gouvernement rwandais ont tort. Si vous êtes malade, on vous soigne. On ne peut pas rendre visite à nos familles, mais elles peuvent venir nous voir.

Existe-t-il une distinction au sein de la prison entre les génocidaires et les autres criminels?
Non. Je suis émue par le fait que tous les prisonniers vivent ensemble. Alors que je suis en prison à vie, je côtoie des gens qui ne sont là que pour un mois. Certains d'entre nous se sentent coupables au vu de ce que nous avons fait et de la façon dont nous sommes traités maintenant. Il n'y a aucune distinction sur la base des crimes commis, la seule séparation qui existe est justifiée par la présence de femmes avec des enfants, qui ont besoin de beaucoup d'attention.

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Pensez-vous que les tensions puissent ressurgir au Rwanda ?
Si le gouvernement continue à enseigner aux gens ce qu'il s'est passé, je ne crois pas. Il est essentiel d'apprendre aux jeunes générations ce que peut être l'amour d'autrui.

Quelle est la durée de votre peine ?
Thomas : 30 ans.

Beaucoup de gens disent que les médias et les hommes politiques ont joué un rôle majeur dans le génocide. Vous êtes d'accord ?
Les médias ont jeté de l'huile sur le feu parce que les leaders politiques se servaient d'eux pour propager leurs messages. Les gens disent que le génocide a été causé par le crash de l'avion, mais je crois que ce sont les médias qui en portent la responsabilité.

Pensez-vous que les tensions ont persisté après la fin du génocide ?
En 2002 et 2003, avant la mise en place des gacaca, les gens ont tenté de se pardonner et des cours ont été donnés dans les prisons. Aujourd'hui, j’enseigne ce qu'il s'est passé à d'autres prisonniers – je veux enseigner la paix désormais.

À quoi ressemble une journée classique dans la prison ?
On fait du sport entre 7 et 8 heures du matin puis on étudie l'électricité, la mécanique, ce genre de choses. Par la suite, on travaille dans différents départements. Personnellement, je travaille avec la sécurité.

Avez-vous organisé quelque chose lors des récentes commémorations du génocide ?
Oui, une messe a été organisée dans notre église.

Le président Paul Kagame doit quitter le pouvoir en 2017. Il a été un des leaders du Front patriotique rwandais. Selon vous, comment va évoluer le pays après son départ ?
La constitution – qui prévoit une limite de deux mandats– peut être modifiée. Le président peut changer d'avis, pour le moment il n'a rien dit. Mais en prison, nous ne sommes pas autorisés à voter donc je n'aurai pas mon mot à dire.

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