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Des pouvoirs magiques d'une ampleur inimaginable

Nos collègues et frères de sang de VICE Angleterre sont en train de fêter leur dixième année d'existence.

Andy et Andrew, au début des années 2000

Nos collègues et frères de sang de VICE Angleterre sont en train de fêter leur dixième année d'existence. En conséquence, ils viennent de sortir un numéro anniversaire dans lequel ils évoquent tout ce qu'ils ont vécu ces dix dernières années depuis leur pays où il pleut tout le temps. C'était donc l'occasion d'évoquer les débuts difficiles du magazine au Royaume-Uni, qui deviendra plus tard la base de VICE en Europe.

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Comme on se connait tous depuis des plombes, on pensait qu'il serait facile de retracer avec Andy, rédacteur en chef monde et Andrew, directeur et président de VICE, la naissance de VICE en Europe. Et pourtant, ça s'est révélé être le boulot le plus stressant pour moi depuis ce temps reculé où j'ai passé 6 jours à Belfast pour devenir pote avec des mineurs en grève ultraviolent. En fait, l'interview a été repoussée ou annulée presque tous les jours durant sept semaines d'affilée. Finalement, quelques heures avant l'impression, alors qu'Andy était en Jamaïque pour shooter un clip avec Beenie Man, et qu'Andrew poireautait dans d'interminables réunions à New York, on a réussi à revenir avec eux sur la naissance douloureuse de VICE UK.

VICE : Qu'est-ce qui vous a donné envie de lancer VICE en 2002 au Royaume-Uni ?

Andrew Creighton : J'ai découvert VICE aux alentours de 2000, lors d'un salon de presse à San Diego. Je l'ai chopé parmi d'autres magazines pour mon vol retour vers Londres, où je dirigeais à l'époque une boîte qui gérait une vingtaine de mags « urbains et stylés ». En lisant le truc, je me suis mis à éclater de rire si fort que de la morve est sortie de mon nez pour atterrir sur le siège de la nana devant moi. Puis j'ai décidé de me la péter. J'ai vu que la place à côté d'elle était libre. Je m'y suis assis, me suis excusé et lui ai montré l'article. Elle a ri et on a baisé le soir même. Je me suis rendu compte que VICE avait des pouvoirs magiques d'une ampleur inimaginable et j'ai vite compris que mon destin en dépendait – même si ça a pris pas mal de temps pour voir le truc se réaliser.

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Andy Capper  : J'ai pris cette décision lorsqu'un jour, Piers Martin est venu me voir dans les bureaux du NME où je bossais avec un numéro de VICE sous le bras. Il m'a dit : « lis ça, ça devrait te plaire ». Je suis tombé amoureux du truc et j'ai de suite demandé à des mecs de VICE d'écrire un truc sur « New York en 2001 » pour le NME – on a même eu des photos de Ryan McGinley, etc. Peu de temps après, Shane Smith, cofondateur de VICE, est venu de New York pour me rencontrer, puis on a fait la connaissance d'Andrew. J'ai compris que j'avais en face de moi les deux personnes les plus extraordinaires que j'avais jamais rencontrées. Du coup, je me suis barré du NME. En réalité, je pense que c’est plus le NME qui voulait que je dégage, mais c'est une autre histoire. Avec Andrew, on est ensuite allé voir un mec qui avait créé un grand magazine anglais des années 1990 pour qu'il nous assure le financement ; ça a foiré. En fait, j'ai fini par bosser pour ce type. Quand je lui ai dit que j'étais sur le point de me barrer, il m'a fait un speech genre, « tu ne trouveras plus jamais de boulot dans cette ville » et m'a fait savoir qu'il dirait à tout le monde qu'il avait trouvé des trucs louches sur mon ordinateur et qu'il avait dû me virer aussi sec.

De gauche à droite : Andy, cofondateur de VICE, Suroosh Alvi, Wendall, Shane Smith et Moose. Moose et Wendall faisaient partie de la bande dans les premières années du VICE UK.

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Ça avait l'air chelou.

Andy : Ouais. En revanche, ceux qui nous ont soutenus étaient des mecs géniaux, des types de Liverpool ; ils ont réglé pas mal de nos problèmes. Il y a notamment un mec assez connu dans les médias qui est devenu un bon pote et qui m'a beaucoup soutenu dans le lancement du magazine. Je lui dois beaucoup. On pensait que VICE serait une bonne idée car à l'époque, les magazines se ressemblaient tous : ils étaient guindés, lourds et chiants. Les boss de ces mags étaient des abrutis finis doublés de gros losers. Je me suis autant inspiré de Suroosh [Alvi] et d'Eddy [Moretti] que de Shane et d'Andrew. J'ai senti que naissait avec eux une sorte d'harmonie. Chris Nieratko avait également le même esprit et les mêmes aspirations que nous autres. Cette réponse s'autosuce assez la bite pour toi, Bruno ?

Ouais, c'est parfait. Ça a été difficile de faire en sorte que les gens s'intéressent au magazine ?

Andy : J'étais naïf et modeste quant à l'effort que ça allait me demander, mais Andrew avait mis au point un vrai business plan et des moyens pour gagner de l'argent. Il a forcé Matt Elek à quitter son job chez FHM dans l'espoir qu'il bosse pour nous gratos pendant quelques mois – à cette époque il a aussi rencontré Ashleigh, sa future femme. On était une drôle d'équipe : deux mecs du Nord et deux Canadiens qui n'avaient pas grand chose en commun à part être bourrés. Mais ça a plutôt bien fonctionné. Et puis, au fur et à mesure, j'ai compris que je n'étais pas fait pour rencontrer les annonceurs. C'est pourquoi Andrew m'a donné la liberté de faire un peu ce que je voulais.

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Andrew : VICE était nouveau, différent, génial, stupide et allait contenir tout ce que les autres n'auraient jamais les couilles de publier. Et c'est ce que les gens ont adoré, ou détesté. Mais vraiment, attirer les gens a été plutôt simple. En revanche, attirer les gens prêts à nous donner des thunes s'est avéré plus compliqué. Les agences de pub ont galéré à trouver une catégorie de gens qui corresponde aux lecteurs de VICE. Alors j'ai décidé de le faire à l'ancienne. Je suis allé voir des gens plein de thunes à des heures où je pouvais les rencontrer bourrés et défoncés, histoire de parler business, tout en restant toujours un peu moins bourré qu'eux – les cas de succès étaient assez limités. Au début, c'est comme ça que je procédais pour les convaincre de passer de la pub chez nous. Puis nos premiers vrais annonceurs ont été les marques de streetwear et de skate – ils l'ont vite capté à partir du moment où ils entendaient leurs clients parler de VICE dans leurs shops. En tout cas, le « bouche-à-oreille » a toujours bien fonctionné pour nous. Il fallait juste qu'on l'entretienne.

Ça a été un gros investissement personnel pour vous ?

Andrew : J'ai lâché ma boîte et je ne me suis pas payé pendant neuf mois. J'ai eu 86 000 euros de dettes sur mon compte et ma meuf m'a largué après sept ans de relation. J'ai aussi perdu mon appartement, perdu mes amis et ai sans doute développé les problèmes de santé qui se manifestent aujourd'hui.

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En quoi c’était marrant, alors ?

Andrew : Pour la soirée de lancement, on a acheté 500 taz à distribuer aux participants mais on en a finalement filé qu'une centaine. Le lundi d'après, je me suis retrouvé avec de la dope plein les tiroirs. Je me suis dit que j'allais les utiliser pour passer ces longs appels aux éventuels annonceurs. Puis, je me suis dit que j'allais faire des sortes d'appels d'offre. Je les ai donc filées aux stagiaires que je trouvais jolies. L'une d'elles est devenue ma femme.

Suroosh et Andrew au deuxième anniversaire de VICE, en novembre 2004.

C'est un conte de fées que tu nous racontes là. D'où est venue l'idée d'acheter le Old Blue Last ? Et comment vous avez conclu le deal ?

Andy : Andrew a toujours rêvé de vivre dans un pub.

Andrew : En fait, comme on avait un bureau de merde où l'on ne pouvait pas ramener les clients, on a fait du Old Blue Last notre salle de réunion – il était toujours vide. Un jour, Shane, Alan (notre investisseur principal) et moi nous sommes retrouvés au pub pour boire des bières et parler stratégie. À un moment, le responsable Tommy est venu et nous a dit qu'il allait mettre la clé sous la porte. Comme on était bourrés, on l'a racheté sur-le-champ. Comme on n'avait pas de thunes, on a emprunté. C'était con mais aujourd'hui, ça nous sert encore beaucoup et, d'ailleurs, la presse dit que c'est l'un des bars les plus cool de l'univers. On ne va pas se plaindre.

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Andy : Je voulais sortir les groupes de cet endroit merdique qu'est Camden pour ne plus jamais devoir aller vers là-bas.

Quand la boîte a commencé à s'implanter dans d'autres pays, comment vous avez fait pour les inciter à bosser ?

Andy : Le plus important a été d'encourager les Européens à bosser autant que nous et à prendre le projet avec beaucoup de considération. Je me souviens que ça gueulait au début. D'ailleurs, désolé pour tout Tim [Small, qui a été stagiaire d'Andy en 2003 et qui est aujourd'hui rédacteur en chef de VICE Italie] !

Andrew : Le plus gros défi était sur un plan commercial : on voulait absolument bosser avec les gens qu'on aimait. Le problème, c'est que les gens qu'on aimait étaient généralement des mecs complètement perchés. Et c'est ce qu'on a obtenu, au final ; un groupe hétéroclite de mecs qu'on aimait et qui y croyaient à fond. Notre rédacteur en chef en Allemagne était espagnol et ne parlait pas un mot d'allemand. Mais comme il était cool, on l'a embauché – ce qui était complètement con, bien sûr. Pour le reste, voyager toutes les semaines en Europe pour rencontrer des gens, faire la fête et bien bouffer, ce n'est pas ce qu'il y a de plus dur.

Comment vous avez vu l'évolution du paysage médiatique lors des cinq premières années ? Et comment vous vous y êtes préparés ?

Andrew : On n'a jamais été assez intelligents pour être réellement préparés à quoi que ce soit. À vrai dire, on n'a jamais suivi les tendances médiatiques ; on était simplement des gens qui avaient l'habitude de faire les choses comme ils l'entendaient. Le truc important à savoir à propos de VICE, c'est que le contenu a toujours été adaptable à tous les supports médiatiques, pour la simple et bonne raison qu'il était unique. Internet a complètement ruiné les avantages compétitifs d'un grand nombre de publications car elles sont devenues de moins en moins exceptionnelles et de plus en plus en retard sur le net. VICE n'a jamais souffert de ça. On a compris que distribuer le magazine gratuitement créait une forme de communauté. C'est pourquoi on applique encore cette technique aujourd'hui.

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Andy : On savait qu'on passerait un jour à la vidéo, tout en continuant l'impression papier du magazine. Ça a pris un temps fou pour faire de notre site Internet autre chose qu'un simple « supplément » du mag et de réussir à brancher notre maison de disques par dessus. Finalement, la vidéo est devenu le truc que je préfère – j'ai réalisé des vidéos pour les Black Lips, puis je suis allé au Libéria pour tourner avec Shane et le général Butt Naked. J'ai aussi bossé avec Leo Leigh sur notre reportage « Swansea Love Story ». J'ai produit une tonne de vidéos pour A$AP Rocky ou Vybz Kartel, et maintenant je bosse sur Reincarnated, le film de Snoop. Tout ça pour vous dire que Shane, Andrew et Suroosh m'ont donné l'opportunité de réaliser tous mes rêves et que sans eux, je ne serais rien.

Quel est votre plus gros regret ?

Andrew : Aucun. Je bénis d'ailleurs toutes les pertes de mémoire causées par les excès des premiers jours.

Andy : Beaucoup trop pour les citer.

Quel est le truc dont vous êtes le plus fier dans votre carrière ?

Andy : Avoir acheté une salle de bain avec la lumière qui s'allume quand tu rentres dedans. J'espère que personne ne lira ça, jamais.

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