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LE NUMÉRO SYRIE

Défendre l'indéfendable

Un soir d’hiver au début de l’année 2012, j’ai sonné à la porte de mon voisin de palier du CROUS Paris-Bastille pour lui taxer du sel. C’est comme ça que j’ai rencontré Wissam, doctorant syrien à l’École pratique des hautes études.

Dima arbore son Blackberry dont le fond d’écran n’est autre que le drapeau syrien

Un soir d’hiver au début de l’année 2012, j’ai sonné à la porte de mon voisin de palier du CROUS Paris-Bastille pour lui taxer du sel. C’est comme ça que j’ai rencontré Wissam, doctorant syrien à l’École pratique des hautes études. Mes problèmes culinaires ont bien vite laissé place à une discussion sur la révolte syrienne – c’était encore un peu avant l’offensive de Homs et le plongeon dans la guerre civile. Il était loin d’être emballé par les élans révolutionnaires de son pays. Sans être un soutien d’Assad, il m’a expliqué pourquoi il préférait voir le régime rester en place. Quand j’ai su que VICE préparait un numéro consacré au conflit syrien, j’ai passé un coup de fil à Wissam et lui ai demandé de nous rencontrer à nouveau. J’avais envie d’en savoir plus sur les raisons pour lesquelles il défendait les agissements d’un gouvernement qui tue rebelles armés et innocents de 10 ans comme si c’était la même chose. Plutôt que nous voir seul à seul, il m’a proposé de rencontrer d’autres pro-régime, ses amis de l’Union des patriotes syriens, dans un café du 15e arrondissement. J’ai donc discuté avec Wafa, chercheuse à la Sorbonne, Dima, conseillère chez l’Oréal, Khaled, chef d’entreprise et militant au sein du collectif Pas en notre nom et Mustapha, chercheur au Centre d’études euro-arabe. Ils ont refusé de se faire prendre en photo, par peur des représailles. VICE: Vous êtes pro-Assad ?
Khaled : Non. Ça dépend de nos membres en fait. Il y a différentes sensibilités politiques et religieuses au sein de notre association mais nous sommes tous laïques. Libre à qui le souhaite de contester la politique de Bachar al-Assad ou de la soutenir. Le problème n’est pas là. On revendique simplement le droit des Syriens à décider de leur sort.
Mustapha : Nous nous sommes rencontrés lors des manifestations. C’est la crise syrienne qui nous a réunis, on ne se connaissait pas avant mais on avait en commun de nous opposer à deux choses: la violence de tous bords ainsi que l’ingérence. Ce n’est pas ce que réclament aussi les rebelles ?
Mustapha: Non, la rébellion n’est pas un mouvement populaire comme beaucoup le croient. Ce sont les Frères musulmans qui ont tenté de faire tomber le régime. S’il est toujours en place, c’est que le peuple ne les a pas suivis. Ces extrémistes ont trouvé le soutien de l’Arabie saoudite, du Qatar et des pays occidentaux.
Khaled: Vous n’avez qu’à lire les noms des factions rebelles. Ils sont tous de consonance islamiste, pas une seule n’est laïque. Vous ne pensez pas que les Syriens marchent simplement dans les traces des Tunisiens ou des Libyens ?
Khaled : En Tunisie comme en Égypte on pouvait parler de soulèvements populaires, bien qu’ils aient été récupérés par la suite. En Syrie comme en Libye, c’est différent.
Mustapha : En réalité, la plupart des rebelles ne sont même pas syriens, à l’exception des Frères musulmans. Je suis d’Alep alors je vais prendre cette ville comme exemple. Le quotidien allemand Die Welt a publié une note du BND, le service des renseignements allemands, qui estime que 95 % des rebelles qui occupent la ville ne sont pas Syriens mais viennent de bases arrière turques où des combattants islamistes du monde entier se sont regroupés.
Wissam : Regardez ce qui se passe à Antioche, où est né mon père. La ville est envahie par des combattants étrangers et des hommes d’affaires arabes qui les financent. La population n’en peut plus.
Mustapha : La France soutient des rebelles qui seraient considérés comme des terroristes sur le territoire français. C’est insupportable.
Dima: C’est un coup d’État masqué. Ça semble ne déranger personne de s’asseoir aux côtés de dictatures telles que l’Arabie saoudite et le Qatar où les libertés d’expression et de culte sont bafouées en permanence, pour décider du sort des Syriens en prétendant œuvrer pour la démocratie.
Mustapha : l ne s’agit que d’une lutte pour la maîtrise de l’énergie. Le Qatar et l’Arabie saoudite cherchent à acheminer en Europe du gaz et du pétrole via des pipelines à travers la Syrie. Grâce à cela les Occidentaux espèrent court-circuiter la Russie. Mais en termes de violence, vous ne pensez pas que le régime est allé trop loin ?
Khaled : Là encore, la désinformation bat son plein. Prenons le cas du massacre de Houla dont on a tellement parlé. Sur les 108 morts, il y avait trois familles proches d’un élu du parti Baas, dont son frère, sa femme et leurs enfants. 39 personnes en tout, leurs noms sont connus. Avec eux une vingtaine de personnes qui ont tenté de les défendre, ainsi que 50 assaillants. Après on a réuni les corps et annoncé dans la presse le massacre de 108 personnes par les forces du régime, à grand renfort d’images terrifiantes. C’est ridicule.
Dima: L’armée du gouvernement est constituée de conscrits appelés à se battre dans leur propre ville, pas de militaires professionnels. Comment peut-on croire qu’ils massacrent leurs voisins ?

Khaled pointe la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’il a pris soin d’imprimer

Vous avez perdu des proches ?
Khaled : Un ami avec qui j’ai fait mes études à Toulouse, un ingénieur en aéronautique qui travaillait dans l’armée, a été assassiné. L’école aurait dû être indignée mais à la place il a été présenté comme un shabiha [un milicien pro-régime], alors que c’était juste un scientifique qui faisait son boulot. Moi-même je suis passé sur France 24 il y a peu et on m’a accusé d’être un shabiha. C’est n’importe quoi.
Wafa : Six membres de ma famille ont été tués par ces « révolutionnaires ». Mais on nous refuse le droit de nous indigner contre cette terreur. Personne ne nie que la Syrie est une dictature, qu’elle n’a rien d’une démocratie – mais ce n’est pas un avenir meilleur que les rebelles lui réservent.
Khaled : Il est de notoriété publique que les premiers morts sont des militaires. Souvenez-vous de ce colonel tué à Homs deux semaines après le début du prétendu mouvement civique. Il a été enlevé et torturé avec deux enfants, dont son neveu. On a fait passer un camion sur leurs têtes. La grande majorité des Syriens n’est pas dupe et continue de soutenir le régime contre cette mascarade. Pourquoi on entend si peu votre voix en France, si la majorité des Syriens craint les rebelles ?
Wafa : Al-Jazira – qui appartient à l’émir du Qatar – et France 24 se livrent à une véritable propagande. De notre côté, on reçoit des menaces par téléphone et sur Facebook. C’est difficile à supporter. Ça fait deux ans qu’on manifeste à Paris tous les quinze jours mais les médias s’en fichent. Personne ne se soucie non plus des millions de Syriens qui sont descendus dans les rues pour soutenir le régime contre les extrémistes. J’ai l’impression que lorsque ça arrive, ceux-ci sont décrits comme des « victimes de la propagande ».
Dima : Nous sommes allés à l’une de ces manifs pour une Syrie « libre ». On voulait dialoguer avec ces opposants mais on s’est rendu compte que parmi ces manifestants qui brandissaient le drapeau syrien en conspuant le régime, il y avait une majorité de Marocains, de Tunisiens, etc. Très peu de Syriens ! Ils ont le droit de soutenir des révoltes qu’ils estiment proches de celles qui ont eu lieu dans leur propre pays, non ?
Khaled : Oui, mais quand on leur a parlé, certains nous ont avoué être payés par des associations de soutien au peuple syrien pour faire acte de présence. C’est pour ça que leurs manifestations durent juste une heure, le temps de satisfaire les médias. Après tout le monde rentre vite chez soi. Ah ouais ?
Wafa : Quand on a décidé de se réunir dans un café en face du ministère des Affaires étrangères en juillet, on nous a envoyé trois ou quatre camions de CRS alors que nous étions à peine une dizaine. On a expliqué qu’on était là pour parler entre nous autour d’une table, et on s’est entendu dire : « Oui, mais vous parlez de la Syrie! » J’étais scandalisée. Le Qatar, l’Arabie saoudite, la France et d’autres ont le droit de parler du sort de notre pays mais pas nous. Dès qu’on s’oppose au discours ambiant, on nous accuse d’être financés par le régime, et le débat est clos.
Khaled : J’ai assisté à une réunion de soutien au peuple syrien pro-rébellion et on y parle en millions accordés par le ministère des Affaires étrangères, alors que nous, on se débrouille avec 3 000 euros qu’on sort de notre propre poche. Le gouvernement français prétend aider les Syriens mais dans le même temps il instaure un blocus sur les médicaments et les liaisons aériennes sont coupées. On arrive encore à y retourner mais c’est très difficile.
Wafa : C’est le peuple qui paie le prix de ces sanctions. Bachar al-Assad ne prend pas Syrian Air et n’a pas besoin de vaccins. On nous parle de liberté d’expression et dans le même temps les médias syriens sont censurés par le blocage des stations à l’international. On ne peut même plus rapatrier nos morts. Tout ce que je souhaite, c’est que mon pays ne devienne pas une Libye ou un Irak bis.