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La petite Pyongyang du sud de Londres

New Malden abrite la plus grande diaspora nord-coréenne d'Europe.

Dans les bureaux du journal Free NK

On a beaucoup écrit sur l’exode des Nord-Coréens. On sait qu'ils fuient la famine, et qu'ils doivent traverser de nombreux pays avant d'être finalement en sécurité, s'échappant d'un État qui ne manque jamais de créativité lorsqu’il s'agit de punir ceux qui ont osé défier le Chef suprême. Cependant, il est plus difficile de trouver des informations sur la façon dont ces déserteurs s'installent une fois qu'ils ont élu résidence – notamment en Grande-Bretagne.

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Pour comprendre comment on passe d'une dictature à une démocratie dans laquelle ni les coupes de cheveux, ni l'accès à Internet ne sont réglementés, je me suis rendu à New Malden, une banlieue au sud-ouest de Londres. C'est là que vit Joo-il Kim, un transfuge Nord-Coréen et rédacteur en chef du journal Free NK.

New Malden compte une population de 20 000 Coréens, dont 600 venus de Corée du Nord. Cela fait de New Malden le lieu le plus populaire en Europe pour la diaspora nord-coréenne, et l'une de ses plus grosses communautés au monde en dehors de la RPDC elle-même. Sans surprise, la majorité des commerces du coin se sont adaptés à la clientèle locale ; en plus d'une rue principale remplie de restaurants coréens, on m'a indiqué trois karaokés qui dissimulaient des bordels, rappelant à leurs clients les lumières du quartier rouge de Séoul à plus de 5 000 km de chez eux.

En dehors des bureaux de Free NK

Les bureaux de Free NKse trouvent entre deux entrepôts – l'un appartenant à la Séoul Bakery, l'autre à la Korea Food Company – de la zone industrielle. C'est ici que Joo-il Kim m'a présenté à Joong Wha Choi, un autre transfuge actuellement président de la North Korean Residents Society, organisation dont le but est d'aider les réfugiés à s'adapter à leur nouvelle vie au Royaume-Uni.

Joong Wha a 48 ans et travaille pour le journal lorsqu'il n'est pas occupé par son emploi principal à Korea Foods. Une vie très différente de celle qu'il menait en Corée du Nord où il était à la fois soldat et « expert en conseil ». Arrivé à Newcastle il y a plus de six ans, il a vite déménagé dans cette Little Pyongyang de la périphérie londonienne. À l'époque, il avait du mal à apprendre l'anglais, et était donc incapable de trouver un job. Si New Malden était peuplée d'autant de Coréens qu'on le lui avait dit, il pensait pouvoir y trouver un bon réseau de soutien.

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« J'ai pensé qu'en vivant à New Malden, il me faudrait plus de temps pour m'intégrer à la société anglaise, vu que j'allais être entouré de Coréens, » m'a dit Joong Wha. « Mais je devais résoudre des problèmes plus urgents. »

Une boucherie coréenne, à New Malden

Ce qu’a vécu Joong Wha en arrivant là-bas est un phénomène familier pour la plupart des transfuges : une barrière de la langue entre les Coréens du Nord et ceux du Sud, qui rend souvent difficile la communication entre les différents expatriés.

« En Corée du Nord, on employait aussi beaucoup de mots étrangers – de Russie, du Japon ou de Chine », m'a-t-il expliqué. « Mais un mouvement [impulsé par le régime] nommé “Donner Vie à Notre Propre Langue” est né. On s'est débarrassé de tous les mots d'origine étrangère. Tous les mots employés par [les Nord-Coréens] sont désormais du “pur Coréen”, et ma génération a appris ces mots purs. Par conséquent, quand j'échange avec des Sud-Coréens et qu'ils emploient des mots anglais, j'ai parfois du mal à comprendre ce qu'ils veulent dire. »

Joo-il a aussi soulevé un autre problème rencontré par les Nord-Coréens à la recherche d’un boulot au Royaume-Uni. Quand ils arrivent dans ce pays où la situation économique est totalement différente de celle qu’ils connaissaient jusqu’alors, ils doivent s'assurer que personne ne profitera de leur ignorance. Ils pourraient vendre leur force de travail à faible coût, et se retrouver dans la même misère que celle dont ils cherchaient à s'extraire.

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La majorité de ces dissidents en fuite sont des femmes, ce qui surprend souvent – peut-être parce que beaucoup supposent que seuls des hommes pourraient survivre au parcours éreintant qui les attend passée la frontière. Depuis plus d'une décennie, on constate que le sort réservé aux femmes atteignant la Chine est généralement l’esclavage sexuel. En juin dernier, un reportage de Radio Free Asiaexpliquait comment, par crainte du rapatriement, ces femmes étaient exploitées par des macs – et finissaient toujours par se faire rapatrier lorsque les autorités découvraient leurs activités.

Joo-il en train de feuilleter un numéro de Free NK

Ce genre d'histoires n’a fait que confirmer la conviction de Joo-il et Joong Wha ; le Royaume-Uni constituait bien le meilleur endroit pour s'installer après leur fuite. « La Grande-Bretagne est un endroit fantastique, non seulement parce qu’il s’agit d’une nation respectueuse des droits de l'homme », m'a confié Joong Wha. « Mais aussi grâce à la Révolution industrielle. »

Il se trouve que cette célèbre période de l'histoire Britannique apparaît, et de manière très importante, dans les cahiers nord-coréens, où l'ère est célébrée comme un exemple de la réussite économique – que la Corée du Nord doit encore s'efforcer d'atteindre. Il est pour le moins étrange d'apprendre cela, mais il est au moins rassurant de savoir que des milliers d'élèves nord-coréens pleureront la perte de l'industrie britannique lorsque leur gouvernement annoncera finalement l'oblitération nucléaire de l'Occident.

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« Le Royaume-Uni est perçu comme un pays très positif, très bon », m'a affirmé Joong Wha. « Je le voyais comme une bonne société. »

Joong Wha

J'ai demandé à Joong Wha et Joo-il s'ils pensaient que les récentes restrictions en termes d’immigration avaient dissuadé certains déserteurs de se rendre au Royaume-Uni, ou si certaines de leurs connaissances avaient rencontré des difficultés dans leur recherche d’asile.

« Oui, je connais certains cas dans lesquels les gens ont eu du mal. Lorsqu’un Nord-Coréen est pris pour un Coréen de Chine ou un transfuge déjà passé par la Corée du Sud par exemple », m'a répondu Joo-il. « Le gouvernement du Royaume-Uni essaie peut-être de freiner l'immigration, mais à ma connaissance, ça n'affecte pas les demandeurs d'asile. »

Les difficultés dont parle Joo-il ont déjà été abordées par le gouvernement britannique. Mais plutôt que de les qualifier d'« erreurs », le gouvernement prétendait que ces transfuges à la recherche d'asile avaient déjà reçu la citoyenneté sud-coréenne, annulant de fait leur statut de réfugiés. Or, la Corée du Sud reconnaît immédiatement tout déserteur nord-coréen comme l’un de ses citoyens, donc même s'ils ne souhaitent pas s'y installer, il est difficile pour eux de demander l'asile ailleurs, puisqu'ils sont traités comme des migrants ordinaires.

En 2008, la UK Border Agency (UKBA) a annoncé qu'elle déporterait de force tout transfuge nord-coréen prétendant venir directement de RPDC mais qui aurait déjà reçu l'asile en Corée du Sud. Cette initiative s'est inscrite en réaction à l'augmentation des demandes d'asile de soi-disant réfugiés nord-coréens, l'UKBA n'arrivant pas à différencier les requêtes légitimes de la grosse quantité de demandes frauduleuses venant d'immigrants chinois tentant de se faire passer pour Nord-Coréens.

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Une fiche de révision de vocabulaire nord-coréen/sud-coréen/anglais

Joong Wha m'a rappelé qu'une fois la Corée du Nord derrière soi, le lieu d'arrivée n'est pas vraiment un choix. La Corée du Sud est l’un des trois ennemis officiels du gouvernement nord-coréen, et bien que beaucoup de transfuges s'y rendent, s'installer là-bas garantit aux familles restées sur place « les plus stricts châtiments ».

« En grandissant en Corée du Nord, on nous apprend que ceux du Sud ne s'intéressent qu'à l'argent, et on s'inquiète d'être discriminés vis-à-vis de nos revenus. Vivre dans une société où l'argent serait la priorité, ce serait très difficile pour nous, compte tenu de notre passé », m'a affirmé Joong Wha.

J'ai d'abord rencontré Joo-il tandis que j'assistais à une conférence sur la manière d'intégrer les Nord-Coréens dans la communauté de New Malden. Une femme sud-coréenne a soulevé le fait qu'il lui était difficile de vaincre les préjugés qui lui avaient été inculqués depuis son enfance envers ses voisins du Nord. La North Korean Residents Society existe depuis six ans pour aider les réfugiés à surmonter ce genre de problèmes et à se reconstruire une vie en dehors de la RPDC.

L'association participe aussi à informer les gens au sujet des atteintes aux droits de l'homme perpétuées en Corée du Nord, comme il y a quatre ans lorsqu'elle a mené une manifestation devant l'ambassade du régime, après un événement organisé par le Royaume-Uni pour célébrer les relations entre les deux pays. Naturellement, cet éloge des échanges avec un régime totalitaire était choquant pour Joo-il et ses camarades.

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« Je ne vois pas vraiment l'ambassade comme une menace », m'a précisé Joo-il. « En plus, ils n'ont pas un très gros budget ». (Un budget qui sera considérablement réduit lorsqu'ils s'occuperont de payer les 200 000 pounds qu'ils doivent en PV de stationnement).

Une page de Free NK

Pendant une pause dans notre conversation, les deux hommes m'ont fait signe qu'ils sortaient prendre l'air. J'en ai profité pour feuilleter les journaux étalés dans le bureau.

Le Free NKa été fondé pour apporter des nouvelles du monde aux citoyens nord-coréens, ainsi que pour sensibiliser la communauté internationale sur la situation en Corée du Nord. Cela explique peut-être pourquoi, en parcourant le journal, on passe de reportages sur des réunions du Conseil de sécurité de l'ONU à des articles sur des porn stars mobilisées pour une meilleure législation.

Quand Joo-il est revenu dans la pièce, il m'a expliqué en souriant que la date à laquelle ils avaient lancé leur site, le 10 octobre 2011, n'avait pas été choisie au hasard. En Corée du Nord, c'est le « Jour de fondation du Parti ». Le 8 juillet 2013, date à laquelle ils ont commencé à imprimer le journal, correspondait quant à lui à l'anniversaire de la mort de Kim Il-sung.

« On voit ça comme une première étape. On distribue le journal à la diaspora européenne afin de sensibiliser les évadés au sort actuel de la Corée du Nord », m'a dit Joo-il. « Certains articles sont fournis par des correspondants en Corée du Nord, et d’autre part des médias avec lesquels nous avons des contrats. »

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Des tas de vieux numéros de Free NK

J'ai demandé si beaucoup de transfuges nord-coréens se sentaient moralement obligés de militer pour des changements dans leur pays.

« Parfois, je me dis que ce serait fantastique si quelqu'un d'autre risquait sa vie pour s'échapper et accomplissait tout ça. » Il s'est tu, et a repris, las. « Par le passé, on avait des régimes dirigés par des rois, et même ces monarchies accordaient un peu d'importance au bien-être de leurs peuples. Mais pas le gouvernement de Corée du Nord – tout ce qu'ils veulent, c'est sauvegarder leur pouvoir. Je mène une vie confortable ici au Royaume-Uni, mais c'est une société pour laquelle d'autres ont lutté, et je viens profiter de leurs sacrifices. »

Pour Joo-il, l'objectif final est la réunification des deux Corées. Il perçoit donc la communauté de New Malden comme un bon modèle – un endroit où les Coréens du Nord, du Sud, ou de Chine cohabitent sans incident.

« Il est de mon devoir de changer les choses pour les futures générations de Corée du Nord. »

Merci à Su-Min Hwang pour la traduction@RoxyRezvany