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LE NUMÉRO QUI FAIT FROID DANS LE DOS

Distant Planet

Comme le terminal de paiement de Matos DJ Store et les autres distributeurs de billets de la rue Ledru-Rollin, cet automate se contrefiche du fait que

« Impossible d’accéder aux informations de votre compte » Comme le terminal de paiement de Matos DJ Store et les autres distributeurs de billets de la rue Ledru-Rollin, cet automate se contrefiche du fait que j’ai un article à rendre demain matin et pour ce faire des EP à acheter avant que les magasins ne ferment. Las, je n’ai plus d’autre choix que de m’en remettre à la bonne volonté des serveurs d’Europe de l’Est. « Impossible de se connecter à Internet » Moi qui me réjouissais du renouveau vitaliste, du récent mouvement de promotion sociale des objets dans les sciences et les philosophies, qui ai concédé une vie secrète à ma bouilloire et qui étais sur le point d’attribuer des droits politiques à mon congélateur au nom du « Parlement des choses » à venir, voilà que ces non-humains se révoltent et se liguent pour m’empêcher de travailler. Car ces désagréments croisés ne peuvent pas être le simple fruit du hasard. Seul face à Textedit, coupé du monde, privé de CB, d’Internet comme de téléphone (impossible à créditer faute de CB), je reconnais les signes avant-coureurs du soulèvement des machines. Il est désormais impossible d’avoir confiance en quoi que ce soit : ce pass Navigo ou bien ce chauffe-tasse USB fomentent probablement déjà le coup d’État à venir. Je ne sais donc pas si le dernier LP de BNMJN est aussi bon que le précédent ni si les derniers projets d’Arttu Snellman valent vraiment le coup. De toute façon, ces questions n’ont maintenant plus beaucoup d’intérêt puisque d’ici peu les membres de la rédaction, comme le reste de la planète, seront à coup sûr trop affairés à entasser packs d’eau, paquets de pâtes et bouteilles de gaz pour s’intéresser à la qualité de cet article. Je devrais moi aussi m’atteler à organiser ma survie mais les cannabinoïdes inhalés pour endiguer le stress de la situation me laissent tout juste la force de consigner et d’imprimer ces dernières frappes de clavier dans l’attente du black-out global, à la lueur vacillante d’une lampe à plasma sur pile. Alors que j’ai toujours récusé toute musique produite sur des instruments en bois et confié les moyens de ma subsistance à HydroHomeSoftTM, voilà que la technologie ne me laisse plus entrevoir qu’un avenir où il faudra lutter autour d’un bidon en flammes au son des percussionnistes amateurs pour obtenir un organe sur la carcasse d’un chien errant. Saloperie de Web des objets et d’Intelligence ambiante.  Lorsque Matt Black (Coldcut) parlait de DNA-ROM (Do No Art – Run Our Machines) et disait vouloir « se coucher et laisser les machines faire le travail », je m’étais contenté de ne voir là qu’une explication logique à la discographie du groupe, et m’étais senti rassuré quant à l’intelligence supposée des machines. Si à l’époque j’avais écouté le premier EP du mystérieux The Raw Interpreter, j’aurais compris que le talent n’était plus l’apanage de l’humanité (puisqu’un tel pseudonyme cache à coup sûr un automate). Le dernier Marcus Mixx aurait dû lui aussi m’éclairer sur les ravages des fantasmes transhumanistes jusque dans les ghettos de Chicago, car en y réfléchissant bien les orifices évoqués dans ce 12” rappellent plus ceux d’une Fleshlight USB que leurs homologues naturels qui firent les beaux jours de cette musique. Les machines nous tiennent littéralement par les couilles. Elles ont fait bien du chemin depuis ce XVIIIe siècle où les ingénieurs ne pensaient qu’à déconner. Jacques de Vaucanson ne se doutait probablement pas que son automate de canard capable de déféquer marquerait le premier pas vers le dépassement pur et simple de l’humain qui me laisse impuissant aujourd’hui. Sans même nous en rendre compte, nous venons probablement de franchir le mur du futur, cette ligne parfaitement verticale par ­laquelle se terminent les courbes exponentielles sur les ­graphiques représentant l’évolution technologique. Cette Singularité qui avait fini par boucher tout notre horizon et paralyser la mauvaise SF dans un bourbier cyberpunk, l’informaticien Raymond Kurzweil ne l’attendait pourtant pas avant 2020. Vernor Vinge lui-même a dernièrement remis en question ce concept qu’il a tant contribué à populariser. Mais les machines viennent de démontrer leur capacité à établir des stratégies pour déstabiliser les organes vitaux de nos sociétés. Désormais émancipées, on peut leur attribuer une certaine forme d’intelligence. Dans ces conditions, le Principe d’indépendance du support du philosophe suédois Nick Bostrom me remplit d’effroi. Sans limites à leurs capacités techniques, les machines capables de simuler l’intelligence sont probablement aussi en mesure de simuler des sociétés entières. Dès lors, la probabilité est grande que notre univers tout entier ne soit qu’une simulation. Je ne suis peut-être moi-même que le produit d’une machine au même titre que le logiciel que j’emploie en cet instant précis. Je me souviens de la dernière fois où j’ai eu le sentiment que le monde s’effondrait devant mes yeux. Finalement, le 12 septembre 2001, je n’ai pas échappé à ce devoir de géographie et dans l’heure je serai peut-être contraint de me soumettre aux injonctions du rédacteur en chef pour que je rende un article. J’aurai alors été la seule victime de cette frappe chirurgicale des machines, déloyale et injuste, à laquelle personne ne croira. The Raw Interpreter – Vintage Power (WS-001), Warm Sounds
Arttu – Transfiguration (Php057), Philpot, Stuttgart
Arttu ft Jerry The Cat – Nuclear Funk/Get Up Off It (Royal011), Royal Oak, Amsterdam
Various Artists – Wolf EP 09 (Wolfep009), Wolf Music Recordings, Brighton
Kink & Neville Watson – A Saturday in November (HHTR17), Hour House Is Your Rush, Amsterdam
Marcus Mixx – Use Your Mouth 2 Love Me (UTTU 003), Unknown To The Unknown, Londres