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LE NUMÉRO MODE 2011

Distant Planet

Je vous l’accorde, 10 euros pour un 12” avec un seul morceau gravé sur une face, cela ressemble à du vol. Sauf que l’employé de chez Ford, qui s’adonne le Week-End aux courses de rue à bord de sa...

Je vous l’accorde, 10 euros pour un 12” avec un seul morceau gravé sur une face, cela ressemble à du vol. Sauf que l’employé de chez Ford, qui s’adonne le Week-End aux courses de rue à bord de sa Subaru STI et qui est à l’origine ce track, est un tueur. Bien que pour lui la musique soit un second emploi pour subvenir aux besoins de sa famille, Omar-S ne fait pas les choses à moitié ;

Here’s Your Trance, Now Dance!

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contraint inexorablement à se soumettre à l’ordre qu’il assène.

J’aimerais être aussi élogieux au sujet de l’EP

Let’s Get It Straight

de The One. Je n’ai aucune raison de descendre le morceau qui a donné son nom à ce vinyle puisqu’il ­défonce. Sauf que je déteste les séries de 200 vinyles numérotés à la main et assortis d’un artwork original A3. Je ne comprendrai jamais ces tactiques commerciales présomptueuses dignes du monde des art toys (et malheureusement très répandues parmi les photographes et les graphistes/illustrateurs). Omar-S a le mérite d’essayer ouvertement de faire du fric, alors que certains essaient lamentablement de faire de l’art. Arrêtez de faire des séries limitées de trucs dont personne ne veut, même si c’est parfois parce que les gens n’ont aucun goût (puisque deux mois après sa sortie, il reste plein d’exemplaires disponibles de ce très beau 12”). Si vous ne pouvez pas presser plus de copies parce que vous êtes pauvre ou parce que vous pensez que votre production n’intéresse personne, par pitié, ne vous enorgueillissez pas de les avoir numérotées avec un stylo Bic.

À mon avis, Larry Heard, lui, n’a pas lésiné sur le nombre de copies de la troisième réédition (donc quatrième version) de son célèbre

Washing Machine

. Cette fois, il le sort sur son propre label, Alleviated, et non plus sur Trax Records. Cependant, c’est un autre groupe apparu sur ce label mythique (mais resté dans l’ombre de géants tel que Mr. Fingers) qui fait l’événement depuis fin février : Virgo Four. Déjà en 2010, le meilleur disque house de l’année a été la réédition par Rush Hour de l’unique album de Merwyn Sanders et Eric Lewis, initialement sorti en 1989. Cette année, le label néerlandais risque de réaliser le même coup avec

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Resurrection

, mais il s’agit cette fois d’une compilation d’inédits (15 sur CD, 30 sur LP) qui prenaient la poussière depuis plus de vingt ans dans les cartons du duo chicagoan. Sans avoir jamais eu recours à la moindre substance psychotrope, ces mecs – qui se contentaient de s’enivrer des mix de Ron Hardy en buvant du Kool-Aid au Music-Box – ont réalisé dès l’âge de 14 ans des morceaux incroyables qui semblent provenir d’une autre planète. On a discuté sur Skype, moi chez moi, eux dans le bureau du proviseur adjoint qu’est Eric (entre deux interruptions de collégiens venus lui présenter leur prix gagné au concours de science qui se déroulait cet après-midi-là dans l’établissement).

Vice : Comment s’est passée votre « résurrection » ?

Merwyn :

Après la réédition de l’album de 1989, Christiaan [

ndlr : Macdonald, de Rush Hour

] nous a contactés afin d’écouter les innombrables K7 qui traînaient dans nos sous-sols. Il a profité d’un voyage aux US pour passer nous voir à Chicago. Finalement, il est resté deux semaines chez Eric à tout écouter. Je crois qu’il ne pensait pas qu’il y en avait autant.

Vous avez déclaré que vos meilleurs tracks n’étaient pas ­sortis à l’époque. Est-ce que c’est réparé avec Resurrection, ou vous vous avez d’autres inédits en réserve ?

M :

Christiaan avait sélectionné cinquante morceaux au départ, donc il y en a encore vingt potentiellement sortables.

Eric :

Mais bon, trente, c’est déjà beaucoup. À un moment, il faut savoir dire stop. Dix auraient probablement suffi. Si on devait ressortir d’autres vieux morceaux, on préférerait les rejouer, les réarranger.

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M :

Ou sortir de nouveaux trucs.

Rush Hour s’intéresse à ce que vous faites aujourd’hui ?

M :

On a fait écouter à Christiaan, mais il n’a pas été convaincu. Il s’attend à un certain son Virgo. Il était là genre, « je sais pas, mouais, c’est pas ce que j’attends ».

Comme Larry Sherman, le patron de Trax, il y a vingt ans.

M :

Ah, ah, exactement.

Vous pensez quoi de ces rééditions qui se multiplient ? Je me rappelle que Jamie Principle s’est plaint de ne pas avoir été contacté. Il y a aussi des embrouilles pour savoir qui a les droits du catalogue Trax.

M :

Ça ne nous a pas dérangés de ne pas avoir été contactés­ pour la réédition de l’album l’an dernier. ­L’important, c’est que plus de gens aient accès à notre musique. D’un autre côté, c’est vrai que j’ai toujours voulu avoir les droits sur ce qu’on faisait. Le problème vient probablement des contrats que Larry faisait signer à l’époque. J’en ai parlé à Rush Hour, c’est difficile pour eux aussi de gérer ça.

E :

Pour nous, c’est du passé tout ça. Il y a toujours eu des bootlegs, des rééditions. Les gars de Rush Hour font du mieux qu’ils peuvent. On espère que ça donnera un ­nouveau souffle à cette musique aux États-Unis.

[

Un élève vient présenter à Eric son deuxième prix au concours de science du collège

.]

Est-ce que vos élèves savent que vous faites partie d’un groupe légendaire ?

E :

Certains l’ont découvert. Des profs leur ont fait faire des travaux sur l’histoire de la ville et donc ils se sont penchés sur la house. Ils sont tombés sur Virgo, et ils étaient là genre, « hé ! C’est le principal Lewis ».

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La juke, vous pensez que c’est un peu la house des gamins d’aujourd’hui ?

E :

C’est de la merde. C’est hyper ennuyeux, toujours le même rythme.

M :

Ah, ah, tomtomtom-toumtoumtoum… En même temps on peut dire pareil de la house,

E :

C’est pas aussi « poétique », et ça va trop vite.

M :

Ça n’a pas le côté novateur qu’avait la house à l’époque. On était vraiment scotchés par ce son, c’était entièrement nouveau.

E :

Je sais pas, il y avait un pont avec le disco quand même.

M :

Ouais, mais la vibe était complètement différente.

E :

La juke, c’est pourri. C’est une musique de programmeur, pas de musicien. Il n’y a aucun groove. De toute façon les vieux détesteront toujours la musique des jeunes. C’était pareil pour nous à l’époque, les vieux se foutaient de notre gueule.

M :

Oui. On connaît pas vraiment non plus, en même temps. Mais je ne pense pas qu’en club cette musique ait l’impact qu’avait par exemple « Your Love » quand Jamie Principle le jouait.

Vous avez connu les « soirées Mendel » : c’était comment à l’époque ?

M :

C’était plus d’un millier de gamins entre 14 et 18 ans qui s’y rendaient uniquement pour la musique et se rencontrer. Ni drogue ni alcool.

E :

Il n’y a plus d’endroit comme Mendel aujourd’hui pour les gosses, et j’ai le sentiment que les plus vieux vont juste en club pour se la mettre.

M :

Maintenant, dès qu’ils sortent de l’école, les gamins vont sur Facebook.

E :

Et puis il y avait des filles.

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Il n’y avait pas que la musique alors, il y avait les filles ?

M :

Ah, ah, oui, il y avait les filles, mais la plupart du temps la musique les éclipsait.

E :

Oui, complètement. Elles venaient aussi en semaine de toute façon. Mendel était une école de garçons de bonne famille, une école payante et catholique. Toutes les filles de la ville le savaient, alors elles venaient pour se trouver un mec.

Dans une autre interview, vous avez parlé d’un dress code particulier lors de ces soirées. C’était quoi exactement ?

E :

Fallait avoir un imper.

M :

En réalité, c’était un mixte d’un tas de styles, de punk à preppy. Il y avait des mecs avec des crêtes, des mecs rasés, des piercings, mais c’était quand même essentiellement preppy : penny loafer sans chaussettes, polo, pull jacquard. Il y avait aussi quelques mecs du ghetto avec des looks de thug.

E :

Pas beaucoup quand même, c’était surtout preppy. La plupart des gens étaient en Izod, Ralph Lauren… Qu’il pleuve ou qu’il vente, les filles étaient hyper stylées aussi. C’était vraiment cool.

Je me rappelle avoir lu qu’à l’époque, un des profs d’Eric vous raccompagnait en voiture de ces soirées.

E :

Oui, monsieur Bush !

M :

En fait, c’est parce qu’à l’époque Mendel était au cœur d’un quartier infesté de gangs. Dès qu’on sortait du campus il y avait des mecs qui mettaient les gosses à l’amende. C’était risqué de rentrer chez soi en prenant le bus.

Généralement, la house est faite pour les soirées, pour serrer des meufs, alors que vos morceaux sont plutôt mentaux. Ils évoquent l’espace intersidéral comme certains tracks de Larry Heard.

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M :

La première fois qu’on a entendu Mr. Fingers, on était là : « WAOUH. »

E :

Même si c’est de la house, que c’est censé faire danser, on voulait que nos tracks soient mélodiques. On était obsédés par ça. On voulait créer une atmosphère particulière, hypnotique. C’est probablement cet aspect planant, ces espaces ­intérieurs et intersidéraux dont tu parles.

M :

C’est marrant qu’aujourd’hui les gens apprécient cet aspect de notre musique, parce qu’à l’époque, tous nos potes se moquaient de nous : « C’est un super morceau, ne le pourris pas, ne commence pas à rajouter des strings par-dessus. »

Ma petite sœur pensait que votre nom avait été minutieusement choisi, elle le trouvait parfaitement adapté a ces aspects « spatio-spirituels ». Mais j’ai cru entendre dire que vous n’étiez pas contents du fait que Larry vous l’ait imposé à la place de votre nom originel, M.E.

E :

On s’en fout désormais, on trouvait ça stupide, c’est tout. C’est comme si je te disais : maintenant tu t’appelles « Prince & The Revolution ».

M :

Larry pensait nous faire profiter du succès de l’autre Virgo, composé de Marshall Jefferson, Adonis et Vince Lawrence. « My Space » et « R U Hot Enough », deux de leurs morceaux, étaient tout le temps joués à l’époque.

E :

En fait, le symbole de la vierge est assez cool. Je me renseigne sur les significations sur Wiki, là. C’est fou : le symbole ressemble aux lettres M.E. Google « Virgo », mec. Je crois qu’on devrait s’en servir comme d’un logo, comme Prince.

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M :

Ah, ah, Larry savait peut-être ce qu’il faisait, après tout.

E :

Il avait tout prévu.

M :

T’as lu la critique de l’album sur Gridface ?

Oui, elle est bien je trouve.

M :

C’est la première fois que je lis une critique « sérieuse » de nos morceaux. Ça me rappelle les analyses des moindres gestes de Michael Jordan par les journalistes sportifs. C’est étrange pour moi parce que ce sont des tracks hyper spontanés. Au mieux, on a fait trois ou quatre prises sans séquenceur, mais sinon on jouait live, direct sur 4 pistes. On enchaînait les morceaux jusqu’à ce qu’on aille jouer au basket ou qu’on parte en club, puis on revenait et on recommençait. J’avais répondu sur Facebook à Jacob Arnold, le gars qui tient Gridface. Je lui avais dit que

Resurrection

, c’était un peu comme si on m’avait filmé en train de danser nu dans ma salle de bains. J’ai effacé ça depuis, les gens se seraient foutus de ma gueule.

E :

Faut pas considérer

Resurrection

comme un album conçu comme tel. Ça date d’il y a des milliards d’années.

L’article de Gridface aborde une question intéressante lorsqu’il évoque les choix de Larry : il cherchait des sons uniquement orientés club, immédiats.

E :

En fait, on n’a jamais fait écouter la plupart de ces tracks à Larry. Même s’il les avait acceptés, on pensait qu’il les aurait gâchés en essayant d’en faire des tubes.

Il vous a vraiment signés parce que son chien Rowdy vous appréciait ?

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E :

Ah, ah, oui, c’était un airedale terrier. C’est aussi probablement parce que Larry n’avait rien d’autre à sortir à ce moment-là. D’autres artistes se pointaient souvent à son bureau et, selon lui, ils déprimaient son chien ou le faisaient grogner. Alors que quand on est arrivés, Rowdy sautait partout, il était vraiment fou de joie. Il n’aimait personne à part nous.

M :

Hé, tu sais si notre musique est appréciée à Paris ?

Tout ce que je sais, c’est que le disquaire à côté de chez moi a vendu ses douze coffrets vinyles de Resurrection en moins d’une heure.

M :

Sérieux ?

E :

On aimerait beaucoup jouer à Paris, on n’y est jamais allés.

LA FOUGÈRE