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LE NUMÉRO SYNERGIE LYSERGIQUE

Distant Planet

À force de parler musique à Paris, je me rends compte que ce sont toujours les mêmes typologies d'écoute qui sont convoquées. Les deux principaux contextes de référence sont le cadre domestique et le club (parfois, en guise de précision, viennent des...

  À force de parler musique à Paris, je me rends compte que ce sont toujours les mêmes typologies d’écoute qui sont convoquées. Les deux principaux contextes de référence sont le cadre domestique et le club (parfois, en guise de précision, viennent des classifications par magasins et pubs TV) mais ce n’est que très rarement que l’on a recours au cadre auquel se destine la majeure partie de la production d’enceintes : l’automobile. Je comprends aisément pourquoi les urbains sous-motorisés voire dé-motorisés­ se limitent à ce genre de rapprochements. Emprunter la Smart de maman ou la Prius que papa a troquée contre son Audi trop polluante ne permet pas de se rendre compte de la communion des machines qui s’opère lorsque l’on dispose d’une cavalerie conséquente, d’une route dégagée et d’un gros caisson Blaupunkt.

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Communion des machines

car le rap, la techno et la house règnent en maîtres au sein des habitacles agencés de façon respectable (les proches parents de ces genres sont tolérés). Seules les musiques aux beats lourds et synthétiques y sont légitimes, les boomers se contrefichent des guitares et des métaphores de merde sur la liberté de circulation auxquelles se cantonne le rock depuis Kerouac. Autobahn, Motor-City,

Benz or Beamer

, voilà des sujets dignes d’intérêt. Malheureusement, depuis que j’ai quitté ma campagne natale pour rejoindre la caste des urbains diplômés précaires, je n’ai que très rarement l’occasion de conjuguer passion automobile et musique à gros kicks ailleurs que sur Xbox 360. Je regrette d’ailleurs souvent d’avoir dépensé autant pour des études menant irrémédiablement au RSA, au lieu d’avoir investi dans une allemande comme mes anciens camarades du collège. Aussi, je n’oublie jamais de prendre ma compilation maison

Born 2 Roll

lorsque je me joins à eux l’été pour palettiser des milliers de boîtes de conserve, broyer quelques tonnes de viande ou préparer des hectolitres de gelée de pâtée pour chien, en attendant de tester leurs montures à la sortie de l’usine.

Ma préférence va toujours aux

sleepers

, ces caisses de série – classiques en apparence – qui pourrissent aisément la Porsche Boxster du fils du patron responsable de com’. Attention, ne confondez pas avec le

rat’s style

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qui consiste à détériorer volontairement l’aspect extérieur de sa voiture (un genre qui semble faire de nombreux adeptes parmi les Européens à fixie au goût prononcé pour le second degré). Comme j’ai probablement déjà perdu la plupart du lectorat de cette chronique qui ne se déplace à coup sûr qu’en vélib, métro ou Vespa immonde, autant être précis et ne plus craindre les barbarismes. Il est ici question de VR4, Cosworth, M3 ou 335i bien affûtée. Contrairement au

low riding

, au

tuning

espagnol ou au

donk

, ce style d’automobiles n’a pas de genre musical attitré. J’aime pourtant associer la conduite de ces bolides avec un certain type de tracks qui pratiquent comme eux cette stratégie du

hustling

 : ils n’ont l’air de rien, sont dépourvus de mélodies tapageuses, sonnent comme des briques, et sans crier gare génèrent une puissante montée en régime. La face A du

KMS 049

de Chez Damier – premier morceau de ma compilation

B2R

– est un modèle du genre. L’année de sa sortie, 1993, coïncide avec l’arrivée sur nos routes de la BMW M3 E36, quintessence de l’esprit

casual sport

typique des

sleepers

de cette époque bénie où les designers subissaient sans broncher le joug des ingénieurs. Depuis, les créatifs ont mené à bien leur révolution perfide et la marque munichoise, comme tant d’autres, a sombré dans une débauche de lignes aussi complexes et inutiles que les concepts obscurs qu’elles sont censées exprimer (déconstructivisme, Flame design et autres inepties). Je ne laisserai pas enterrer sans combattre cet âge d’or du «

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eine Wurst, drei Größe

 » (une saucisse trois tailles différentes, en référence aux trois gammes proposées par BM à l’époque), cette glorieuse ère du design mou et sans personnalité à l’élégance digne d’un sweat Fruit Of The Loom gris. Mais trêve de polémique (Honda Legend KA7/8, Inspire CB5, Nissan Gloria Y31/32, BMW Série 7 E38, l’Histoire rétablira à coup sûr votre honneur), passons au morceau suivant de ma compilation : « Nuthin Wrong » de Tyree, extrait de la série

Da Soul Revival

(DM 099) qui vient justement de ressortir sur le label berlinois Mojuba. Ce morceau est l’exact opposé de la ghetto-house jouée par les DJ français à New-Era. Sans être plus subtile que les autres productions South Side, cette espèce de morceau ghetto-deep, lent et sans la moindre agressivité, a sur le rythme cardiaque les mêmes effets qu’une propulsion dans une route virageuse. Pour les adeptes du survirage pratiquant le

drift

tranquille, « Floorwax », sur le dernier EP de Ricardo Miranda, me semble être un allié de choix. Je vais aussi probablement ajouter à ma compilation le dernier split EP de MK et Omar-S afin d’agrémenter les phases de conduite nocturne propices au sentimentalisme solitaire. Le long des autoroutes radarisées, inutile de taper dans les BPM élevés, la réédition de l’album d’Harald Grosskopf,

Synthesist

, devrait suffire.

Mais je me rends compte que ma compilation ne permet pas d’exploiter tous les agréments que nous offre l’automobile puisqu’une caisse sert aussi à serrer et à rouler au ralenti sur le bord de mer. Pour ces deux cas de figure je préfère m’en remettre au talent de Tom Noble et Whitemare qui ont déjà réalisé la compilation mixée idéale :

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Liger Music Vol. 2

qui réchaufferait la banquette arrière de la plus triste des citadines.

Tyree – Nuthin Wrong (MU 1), Mojuba, Berlin

Ricardo Miranda – Floorwax (HHYR14), Hour House Is Your Rush Records, Amsterdam

MK/Omar-S – « Given » (MK Dub), « Sarah » (FXHE-001), FXHE Records, Detroit

Harald Grosskopf – Synthesist/Re-Synthesist (ReRVNG01, ReRVNG01.5), RVNG Intl. New York

Tom Noble/Whitemare – Liger Music Vol. 2 (LVM006), Liger Vision Media, LA/SF/DC/ATL/NASHVILLE