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Société

L’Église parisienne qui bénit les animaux est en passe d’être démolie

L'association des Arches de Sainte Rita doit récolter quatre millions d'euros pour continuer à bénir les caniches de ses fidèles.

F​rançois Lusinchi, président des Arches de Sainte Rita, en compagnie de sa femme et de son chien.​ 

Sainte-Rita est une petite église adossée à des immeubles en verre de l'UNESCO, située en plein milieu du XVème arrondissement de Paris. Tous ceux qui passent le pas du porche ne connaissent pas l'histoire de Sainte Rita, la patronne des causes désespérées dont l'église porte le nom. Quelques visiteurs sont interloqués par toutes ces statues aux murs ou par ces drapeaux français au fond de la nef. D'autres allument un cierge sans même remarquer ce qui fait la renommée des lieux, bercés par une musique en latin que crachent des petites enceintes. Pourtant, les traces de l'originalité de cette église sont partout. Sur le panneau de l'entrée, des coupures de presse consacrées à cette église qui bénit les animaux sont affichées par dizaines.

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Cette année, comme chaque premier dimanche de novembre, des centaines de personnes se sont pressées sur les bancs de l'église pour la messe des a​nimaux. Ça pourrait bien être la dernière fois. L'église Sainte Rita est menacée de destruction, mais Monseigneur Dominique Philippe et ses fidèles entendent bien résister.

L'archevêque Dominique Philippe. Photo de l'auteur ​​« J'ai 15 minutes devant moi, après je file à un enterrement ». L'archevêque Dominique Philippe est un homme pressé. Entre les messes quotidiennes, les enterrements, les mariages et les baptêmes, il a beaucoup à faire. Le tas de paperasse entassé à l'arrache dans son petit bureau sans fenêtre en dit beaucoup. Et son emploi du temps ne s'est pas allégé depuis le 25 septembre dernier. Ce jour-là, ce n'est pas un croyant, mais un huissier qui pénètre dans l'église, serviette sous le bras. Le délai accordé par la justice aux fidèles pour quitter Sainte Rita expire à cette date. Mais les occupants ont décidé de ne pas se laisser faire. Face à l'huissier, ils refusent de remettre les clés. Et pour que Monseigneur Dominique Philippe ne soit pas inquiété directement, une cérémonie de remise de clefs avait même été organisée quelques jours plus tôt avec l'association des Arches de Sainte-Rita. Le but de cette association de sauvegarde des lieux : racheter l'église grâce à des dons. Pour le moment, ils restent des hors-la-loi.

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Dominique Philippe lors de la cérémonie de remise des clefs.​

« C'est vrai que l'on peut être considéré comme des squatteurs aux yeux de la loi », reconnaît François Lusinchi, le président des Arches de Sainte Rita. Mais au cas où la police foulerait le pas de l'église, ils seront bien obligés de faire place nette. Et le chef d'entreprise moustachu ne compte pas payer de sa personne. Il faut dire qu'il n'a pas vraiment le profil d'un anarchiste. Pendant des années, il a milité au sein du Mouvement national républicain de Bruno Mégret, un parti d'extrême droite. Depuis 1988, il vient chaque dimanche avec sa femme et son chien. « J'ai vu la messe des animaux dans 30 millions d'amis, on y a été et notre chien malade a été béni par l'archevêque. Depuis, on revient tous les dimanches. »

Pour lui, c'est sur le terrain de la communication qu'il faut se battre. La trêve hivernale va leur donner un peu de temps pour se retourner. Jusqu'au 31 mars prochain, ils ne peuvent plus être expulsés. D'ailleurs, l'association vient de faire appel à une boîte de communication pour gérer ​sa campagne de donations – la même que celle qui gère les Pièces jaunes pour Bernadette Chirac. Car le nœud du problème est là, pour ne pas se faire expulser au printemps, il faudrait que l'association rachète le bail pour environ quatre millions d'euros.

En coulisse, François Lusinchi s'active. Il parie sur les investisseurs, les dons de fidèles de toute la France. Il évoque le Qatar sur le ton de la boutade. La Russie de Poutine aussi, mais sans rire cette fois. « Les négociations sont en cours. Mais entre temps, il y a eu l'Ukraine et tout ça. Monsieur Poutine avait bien d'autres soucis en tête que de nous aider », lâche-t-il très sérieusement. Sans l'aide de Moscou, ils ont déjà récolté près de 34 000 euros grâce à des dons. Parmi ces généreux donateurs, on retrouve la meilleure amie des animaux : Brigitte Bardot. Elle a promis d'en parler dans sa revue et de faire jouer ses connaissances.

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Les galères de Sainte-Rita ont commencé il y a plus de deux ans. L'association des chapelles catholiques et apostoliques, propriétaire des lieux, a assigné les occupants devant le tribunal de grande instance de Paris pour les faire expulser. Ils désirent vendre l'église de 720 m2 à un promoteur immobilier qui prévoit d'y construire un parking et des logements sociaux. Un projet qui reste théorique pour François Lusinchi. « Je ne pense pas que les habitants du coin aimeraient voir venir des gens du 9-3. Ce n'est pas péjoratif ce que je dis, mais c'est un quartier assez huppé. » Si les propriétaires des murs ont décidé de vendre, c'est aussi que Sainte Rita avait 47 000 euros de loyers impayés.  « Pendant la procédure, les avocats nous avaient dit d'arrêter de payer, ce n'est peut-être pas ce qu'on a fait de mieux », avoue l'archevêque.


​Quoi qu'il en soit, la disparition de cette église serait une perte pour beaucoup tant son évêque fait dans l'originalité à Sainte Rita. Car la fameuse messe des animaux n'est pas la seule à faire parler d'elle. Chaque été, il a aussi pris l'habitude de bénir ​les motards et leurs engins devant l'église.

En 2009, un office a même été réservé à Michael Jackson à la demande de son fan-club français qui cherchait en vain une église pour les accueillir avant de tomber sur Sainte Rita. « Si je le connaissais, peut être qu'il aurait racheté l'église », s'amuse le religieux aujourd'hui. Le président de la République lui-même s'est déjà recueilli sur ces bancs, à l'époque où il était premier secrétaire du Parti socialiste. « Hollande était venu avec Ségolène Royal et ses enfants à la fête des chats … Il paraît que Ségolène Royal adore les chats ».

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 À l'image de l'ancien moine dont les photos sont placardées un peu partout dans l'édifice, Sainte Rita est une bizarrerie. Un amalgame un peu étrange entre des fans de 30 millions d'amis, des catholiques traditionnels qui viennent pour la messe en latin et des habitants du quartier qui y trouvent le confort d'une église tout près de chez eux.

Pour certains, Sainte Rita est même un refuge. C'est le cas pour quelques personnes de la communauté du voyage qui viennent régulièrement. Ils n'ont pas toujours des relations excellentes avec les paroisses catholiques. « À Sainte Rita, ils sont un peu comme chez eux, assure l'archevêque. Quand ils veulent un truc qui ne se fait pas ailleurs, moi je le fais. Récemment, dans une paroisse du XIVe, des coups de feu ont été tirés pendant un mariage. C'est sûr que ça fait peur aux curés. »

Cette année, ils étaient plus de 600 dans l'église pour la messe des animaux. Dehors, un écran géant avait même été installé pour les fidèles présents dans la rue. Monseigneur Dominique, en surplis rouge, est arrivé avec un dromadaire, le sourire aux lèvres, limite bravache. Derrière lui, une procession façon arche de Noé avec des lamas et un âne blanc. Cette année, la bénédiction avait quelque chose de particulier, sans doute à cause de cette menace de destruction qui pèse sur l'église. « Il y a 29 ans, quand on a commencé ces messes, les gens prenaient ça à la rigolade. D'habitude ça hurle, les gens parlent fort, on se croirait presque dans un hall de gare. Cette année, c'était beaucoup plus pieux ».

Au micro, devant la foule de fidèles, de poules ou de chiens de toutes races sur les genoux de leurs maîtres, Monseigneur Philippe a donné rendez-vous l'année prochaine. « Je crois au miracle. Jusqu'à présent, ça a bien marché. »