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Mode

En enfer avec les assistants mode pendant la Fashion Week

Subordination extrême et haine de soi : bienvenue dans la vie invivable des jeunes Françaises de la mode.

Photo via Flickr

La Fashion Week est une jungle, et comme dans toute jungle il n'y a qu'une loi : celle du plus fort. Et celle de la victimisation des plus faibles. Et qui dit victime dominée dit : assistant mode.

Quasi invisibles et néanmoins indispensables, ces individus qui décident en pleine conscience, un jour, de mettre de côté 100 % de leur amour-propre dans l'espoir de devenir la copie de leur idole créateur, sont passionnants. L'adoration de leur gourou est sans limite, malgré une maltraitance psychologique et physique quotidienne, naturellement exacerbée pendant l'effervescence de la Fashion Week.

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S'il y a un postulat à connaître dans la mode, c'est celui-ci : Il y a Dieu – le créateur et/ou la styliste star –, et les autres – les assistants. Ces derniers sont néanmoins plus proches de l'esclave que de l'apôtre.

Pour mieux comprendre ce qui motive des êtres humains à se soumettre volontairement à d'autres êtres humains, j'ai enquêté dans le milieu des assistants, et certains ont accepté de témoigner de leur petit calvaire journalier. Aussi fou que ça puisse paraître, ces filles et mecs entretiennent des rapports oscillant entre amour exacerbé et détestation maximale pour leur supérieur.

Évidemment, aucune des personnes interrogées n'a souhaité que nous divulguions sa véritable identité ni son véritable employeur, sous peine « d'être viré sur-le-champ et rayé à vie du métier ». Je les comprends et leur souhaite bien du courage pour cette Fashion Week – et les dizaines d'autres à venir.

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Alice, 26 ans, assistante de stylistes stars depuis 5 ans
« J'ai commencé à travailler à 20 ans environ. Je faisais tous mes jobs gratuitement – dans la mode, c'est comme ça. Personne ne se fait payer au début. Je savais d'entrée de jeu que ça allait être dur. Mais j'étais motivée et déterminée à réussir. Mon métier c'est d'aider la styliste star pour laquelle je travaille à choisir les tendances d'une saison pour faire des histoires et des looks en vue d'un édito dans un magazine. Pour cela, quand on est en période de Fashion Week c'est la course, on doit suivre la styliste pour laquelle on travaille partout, retenir tous les looks, les revoir ensuite et bien sélectionner les pièces importantes. On doit être son cerveau. L'astuce, c'est de te faire copine avec le chauffeur : lui, il peut vraiment te sauver la vie pendant les shows ! Si t'es en retard, si t'as oublié un truc, si tu dois revoir des looks – s'il t'aime bien, il t'aidera pour tout !

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Surtout ne jamais se tromper, ou t'es foutue. Ta boss peut te hurler dessus et vraiment péter un câble. En Fashion Week, le stress est maximal et la fatigue n'arrange rien.

Ensuite, quand tu bosses sur un shooting, pour un magazine par exemple, c'est toi qui fais 70 % du taf. Sourcer les pièces, appeler en flux tendu les attachés de presse qui deviennent tes meilleurs potes au fil du temps (et il vaut mieux sinon une fois de plus, t'es foutue), faire les looks. Le jour du shooting, tu fais tout aussi : tu habilles les mannequins ou les célébrités, tu ranges, tu ramasses, tu changes, enfin tout quoi. T'es toujours sous pression. T'obéis aux ordres de ta styliste star, à ses envies et souvent, à ses caprices. Une fois, un vendredi soir une styliste a changé tout le thème du shooting qui était prévu pour le lendemain matin. J'ai dû appeler tous mes potes attachés de presse, les supplier, courir, hurler pour refaire tous les looks avec une nouvelle histoire. J'ai même failli pleurer parce qu'un attaché de presse ne pouvait pas me sortir une robe d'une grande maison. L'horreur. Le tout avec une pression de dingue parce que si jamais tu te plantes : t'es virée. Et sache que tout le monde veut ta place, t'es hyper remplaçable.

Ce métier est un cauchemar. L'une des stylistes que j'assistais me demandait de répondre aux textos de son mec ou d'aller chercher son pressing – des tâches qui n'avaient rien à voir avec ma fonction.

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Ce qu'il faut savoir, c'est que ce métier est un cauchemar. Mais un cauchemar addictif, il y a quelque chose du syndrome de Stockholm dans nos relations avec nos bosses. On est toutes soumises. Par exemple, moi j'ai peur d'une chose : c'est de décevoir. C'est pour ça que je suis incapable de dire non quand on me demande quelque chose, aussi absurde que puisse être la demande. L'une des stylistes que j'assistais à mes débuts me demandait de répondre aux textos de son mec, ou encore d'aller chercher son pressing tous les jours – des tâches qui n'avaient strictement rien à voir avec ma fonction initiale d'assistante styliste. Mais c'est ça le truc de ce métier : c'est que ce n'est pas comme si tu bossais chez Orange.

Ton rapport à ta boss est super différent, ça devient comme un membre de ta famille, tu passes tellement de temps avec elle que t'as une relation super étroite et ambiguë.

À un moment elle te parle de son mec, de ses problèmes gynécologiques et l'instant d'après t'es son larbin, tu travailles et tu fermes ta gueule sur le shoot. L'autre truc pour être une bonne assistante c'est de toujours répondre au téléphone. Peu importent les circonstances, dimanche, vacances, Noël. Si tu ne réponds pas elle panique direct et tu reçois 10 textos qui te demandent pourquoi tu ne réponds pas, où tu es. Ça peut paraître bizarre mais c'est comme ça. C'est une relation perverse. Dès que je suis malade, les stylistes pour qui je bosse sont super gentilles avec moi. Elles me préservent et font attention à moi. Il y en a même une qui m'a achetée du Doliprane une fois parce que j'avais de la fièvre. Je me dis qu'elles ne sont pas cruelles, justes spéciales. Si j'accepte tout ça c'est parce que c'est un rite initiatique pour arriver à mon objectif : être styliste et devenir une star dans la mode comme elles. »

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Sébastien, 23 ans, assistant d'un créateur
« Je suis passionné de mode depuis que j'ai 10 ans. Genre, je ne vis que pour ça. J'ai commencé à travailler avec des stylistes un peu connus dans des magazines français et anglais à l'âge de 20 ans, et comme je n'étais payé que 100 euros par mois, j'ai décidé d'entrer dans une maison pour mieux gagner ma vie. Quand j'ai commencé, j'ai rien compris, j'étais le deuxième assistant du créateur – en gros c'est comme assistant de l'assistant – et je passais mon temps à : régler des factures, chercher des magazines, acheter du Coca Zéro, chercher des fringues au pressing, sortir le chien du créateur, gérer son agenda, acheter des crayons – et les tailler – acheter des cahiers, changer les fleurs, faire du café italien (car il n'aimait que ça) bref, tout faire sauf du stylisme.

Lui, je ne le voyais même pas. Et encore moins les vêtements, sauf en période de fitting juste avant les shows, et là je ramassais les épingles et pliais les fringues. En période de défilés, tout le monde est crevé et stressé. Sauf qu'il ne faut rien montrer devant le créateur. Il a besoin de calme et toi tu dois tout faire pour que son génie puisse s'exprimer.

J'étais payé mieux qu'avant mais ce que je faisais était encore moins bien. Je devais être malléable à souhait, tout accepter. Je ne comptais évidemment pas mes heures au boulot, pendant les shows j'arrivais à 7 heures et je ne repartais pas avant 22-23 heures – et parfois à 2 heures du matin pour aider sur le défilé. Sans broncher. J'en retirais même une forme de plaisir.

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Je ne me plains pas et je dois avouer qu'il y a quelque chose de très excitant à travailler pour des grandes maisons auprès de personnalités influentes de la mode. Surtout en période de défilé ; ça a beau être épuisant, il y a quand même une excitation et une émulation créative de toute l'équipe. Même si tout le monde se tire dans les pattes pour bien se faire voir. C'est un peu la Cour du Roi avec son jeu de courtisans et de traîtres. Quand t'es l'un de ses assistants, tu dois jouer politique et stratégie. C'est L'Art de la guerre, un peu. »

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Juliette, 25 ans, assistante d'une styliste star depuis 1 an
« C'est un vrai métier de chien. Voilà. Moi, la styliste super connue que j'assiste, la première fois qu'elle m'a vue elle ne m'a pas adressé la parole. La deuxième fois, on a pris un café pour parler de la suite. Je voulais absolument travailler pour elle, j'admire son goût et son travail. Elle m'a dit : "J'te préviens, je suis particulière. Et super dure. Je déteste les gens qui bossent mal, je n'ai pas de patience et j'ai un très haut niveau d'exigence. Tu veux toujours m'assister ?" J'ai accepté, évidemment.

Moi en gros, mon boulot c'est de préparer en amont tous les shootings en fonction des demandes de ma boss. Préparer, ça veut dire faire tout le boulot de larbin : à pieds quand elle est en taxi, en métro quand elle et en voiture, courir quand elle prend un café – bref, tout doit bien se passer et tout est entre mes mains. Donc, j'ai une pression de fou. Elle me laisse la possibilité quand même de faire les accessoires chaussures et bijoux, ce que je trouve sympa.

Parfois, t'as une histoire à faire avec des looks pour un édito pendant la Fashion Week, et elle te demande des pièces qui n'existent pas : même les attachés de presse ne savent pas de quoi tu parles. Et là, comme tu ne dois jamais dire non, tu paniques. Grave. En général, le pire c'est la veille du shooting. Elle n'a rien suivi de la logistique et d'un coup elle veut te montrer qu'elle gère tout, que c'est elle la boss – et bim ! Tu te prends plein de réflexions et des questions pièges du type : pourquoi t'as pas pris cette robe (alors qu'elle ne l'a jamais demandé) ? Si tu tombes dans le piège c'est terminé, il faut avoir du répondant sinon elle t'écrase comme une merde. Mais dans le fond, je la respecte, parce qu'elle est douée et je sais que grâce à elle je vais me faire un carnet d'adresses et réussir.

On a une relation bizarre. Elle me demande souvent mon avis et en même temps, je dois bien rester à ma place d'assistante. J'ai remarqué que ces gens, qui ont un pouvoir dans la mode, qui sont respectés et admirés, sont en général des enfants. Elles ont toujours besoin d'être rassurées, font des caprices, et ne peuvent pas rester seules longtemps. Je sais que je ne me fais pas toujours bien traitée, que c'est hard, mais je l'accepte. C'est comme ça.

Ça pourrait être pire : quand t'es dans un magazine, là t'es pris dans un étau. La pression de ta boss plus la méchanceté et la convoitise des autres assistantes qui ne rêvent que d'une chose : que tu t'écroules. Jamais elles te diront que ta série mode est bien. Et elles te défonceront toujours par-derrière. Souvent par jalousie, pour piquer ta place. »