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reportage

En filature avec un détective privé lyonnais

Poursuites, photos et pas mal d'heures d'attente : dans la vie des mecs qui traquent les maris infidèles.

Le détective David Liobard dans les bureaux d'Investipole. Toutes les photos sont de l'auteur.

Depuis onze ans maintenant, David Liobard, qui s'est associé avec un pote d'enfance, Emmanuel Magne, traque l'adultère, surveille les salariés véreux, retrouve des disparus ou encore démontre des dissimulations de revenus. « J'ai commencé dans la presse locale, et j'ai vite été frustré, me dit-il. J'avais envie de l'ouvrir, donner mon avis » me raconte ce Lyonnais de 33 ans. Un truc va lui faire changer de carrière : l'interview d'un détective généalogiste dont il s'occupe à la demande de son chef de service. Nous sommes un lundi matin du mois de juin, et c'est une belle journée qui commence pour David Liobard. C'est une belle journée car il fait un boulot qui lui plaît. Et avec lequel il vit bien : son entreprise annonce 300 000 euros de chiffre d'affaires pour l'année 2015. Il est détective privé.

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Après une licence de droit et après avoir fait une croix définitive sur le journalisme, il se lance dans une formation à l'IFAR, l'Institut de formation des agents de recherches, dans la ville de Montpellier. Restant dans le sud de la France, il débute à Marseille en tant que salarié dans un cabinet de détectives privés. « Même si j'y suis resté un an et demi, c'est comme si j'avais eu six ans d'expérience » raconte-t-il. Il en a sa claque et remonte donc à Lyon, où il crée la structure Investipole. Nom qui n'est pas sans rappeler Interpol, l'organisation internationale de police, Interpol, également située à Lyon.

« Au début on voulait s'installer à la Cité Internationale, sans savoir qu'Interpol y était déjà. Avant même qu'on puisse le faire, ils nous ont contactés pour nous faire comprendre qu'il était préférable qu'on s'établisse dans un autre quartier » se souvient David. D'où l'installation dans cette cour. Celle-ci reste un lieu stratégique, car à proximité de tous les grands axes de la ville. « La plupart des gens qui viennent nous voir sont en état de stress. C'est pour ça qu'il est important qu'on n'ait pas pignon sur rue. Il est d'ailleurs rare que les détectives privés affichent clairement sur leur devanture leur activité. »

Même s'il concède que sa « tête de bébé » ne l'a pas toujours aidé, il s'est fait une place dans le milieu des détectives. Notamment grâce à des connaissances dans le milieu juridique, dont des avocats. Comme il l'indique, le physique compte énormément. « Le métier est très discriminatoire : il faut pouvoir se fondre dans la masse. Si vous faites 1m95 ou à l'inverse si vous êtes très petit, mieux vaut oublier. » À ce titre, David est loin des clichés entretenus par les films ; il porte un polo Puma Mercedes-AMG, des baskets noires et un pantalon quelconque. Il revient d'une mission de filature dans l'Isère, après avoir fait un petit saut du côté de la Savoie.

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Ce matin-là, David s'est levé à 5 h 30. Il devait commencer une mission impliquant un adultère dans le cadre d'une procédure de divorce, genre de missions qui occupe près de la moitié de son activité. « C'est assez fréquent. Dans le cas présent il s'agit de prouver que la cible effectue du travail dissimulé, ce qui lui permet de diminuer sa pension alimentaire. »

Une photo prise à la dérobée depuis la voiture du détective.

En revenant vers Lyon, il fait un crochet par l'Isère, pour donner un coup de main à l'un de ses enquêteurs lors d'une filature. « Quand on doit suivre quelqu'un qui sait qu'il est suivi, les choses sont plus compliquées : il peut effectuer des trajectoires illogiques, ou même faire dix tours de rond-point, m'annonce-t-il. Dans ces cas-là, on se relaie pour éviter de se faire repérer. » Selon lui, plus la voiture est banale, mieux c'est. C'est pourquoi ses gars roulent en Clio, exception faite des vitres teintées.

Pour encore davantage de discrétion, les détectives s'échangent entre eux les voitures. Leurs outils principaux : « un véhicule, un appareil photo, un téléphone portable, Internet – et un cerveau ». Quand il n'est pas possible de réaliser une filature en voiture, ils ont quelques trucs. L'un d'eux, m'apprend David, consiste à marcher avec un sac plastique, et ce faisant, en dix secondes changer d'apparence au moyen d'un béret, de fausses lunettes de vue, voire changer de chemise ou de veste. « Plus c'est gros, plus ça passe, m'indique David. Et c'est imparable pour ne pas se faire reconnaître, surtout quand il y a beaucoup de monde. »

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Les outils principaux des détectives : « un véhicule, un appareil photo, un téléphone portable, Internet – et un cerveau ».

Il faut bien reconnaître que le quotidien d'un détective privé peut être aussi intéressant que chiant. Un peu plus tôt avant notre rencontre, une enquête censée être routinière devait se terminer à 17 heures. En planque à Lyon, le détective s'est retrouvé en Espagne, à Madrid à 22 heures, la cible ayant fait une virée là-bas. Celle-ci y avait récupéré sa maîtresse, pour y dîner, faire plusieurs tours de la ville, et pour prendre finalement l'autoroute à une heure du matin, direction Grenade. Le détective, pendant ce temps, est rentré chez lui à midi, le lendemain.

Le jour d'après, je rencontre Emmanuel. Il a également 33 ans, et est l'associé et ami de longue date de David. Au téléphone, il m'a averti qu'il n'y aura pas de filature, juste de la surveillance et de l'observation. C'est ce qu'il nomme : « une mission pas très passionnante ».

Il me donne rendez-vous à 15 h 45 dans une rue du centre-ville de Lyon, où doit avoir lieu la surveillance d'un bonhomme, pour une affaire de mœurs. Chemise, jean et chaussures de ville, lunettes de soleil, le portable à l'oreille ; il n'est pourtant pas en train de téléphoner. En réalité, il prend en photo les lieux en passant une première fois. Je lui facilite la tâche en lui servant d'alibi, via une discussion sans intérêt. Puis il se pose en face de l'endroit où la personne est censée arriver, tout en continuant à me parler, l'air de rien. On passe une deuxième fois devant l'immeuble ; nouvelles séries de photos prises à la volée. Et enfin, la cible arrive.

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Il est 17 h 30, nous retournons à sa voiture. Les vitres fumées nous protègent des regards indiscrets. Emmanuel sort son appareil photo numérique, équipé d'un objectif avec zoom, qu'il met entre ses jambes. Je lui demande comment il aurait opéré si je n'avais pas été présent. « J'aurais sans doute opté pour un personnage de type zonard », en se mettant, je cite, par terre devant les lieux, avec une capuche et de la musique.

Emmanuel en service, incognito dans les rues de Lyon.

Du fait de leur agrément, les détectives privés ne peuvent/doivent pas sortir du cadre légal. Ce qui les oblige parfois à refuser des missions. « On est conscients qu'on n'a qu'une version. Quoi qu'il en soit, on ne prend pas de missions complètement illégales même si parfois il y a des parties illégales – comme suivre un salarié. Dans ce cas, le client sait qu'il ne sera pas informé de ce que nous observerons : ce sera à la justice de s'en servir ou non. »

« On prend des risques mais des risques pour lesquels on est sûrs. Mais c'est vrai que parfois on monte sur les trottoirs pour doubler une file de voiture ou on brûle 25 feux pour rattraper une cible dont on s'est trop éloigné. »

Sur ce point, chaque mission donne lieu à un rapport écrit, agrémenté de photos. Le rapport délivré au client n'étant pas toujours le même que celui donné à l'avocat. Des abus ou exagérations ont parfois lieu, comme le relate Emmanuel. « On se retrouve par moments à enquêter sur des violences construites de toutes pièces : quand une femme par exemple porte plainte à la police pour des coups portés par son mari, alors que les bleus ont été causés par une chute. » Je lui demande s'il doit fréquemment faire avec ce genre de mensonges. « Une autre fois me dit-il, j'avais enquêté sur une personne qui devait être en arrêt maladie et qui se déplaçait avec des béquilles. En le suivant, je l'avais vu quelques minutes après faire un footing. »

« En toutes circonstances, il faut rester décontracté », lance Emmanuel. Autre qualité indispensable : être un as du volant, comme l'expose le détective : « Il faut de la dextérité, particulièrement quand on est en filature. On prend des risques mais des risques pour lesquels on est sûrs. Le but n'est pas de mettre en péril les gens – mais c'est vrai que parfois on monte sur les trottoirs pour doubler une file de voiture ou on brûle 25 feux pour rattraper une cible dont on s'est trop éloigné. Les autres ne comprennent pas toujours d'ailleurs à quoi on joue, quand on fonce comme des tarés pour rouler à 10 km/h juste après, pour qu'on ne nous voie pas », s'amuse-t-il.

Mais trêve de boniment, le boulot l'appelle. Pour observer de près la cible, il va aller s'installer dans l'endroit où cette dernière travaille, tout en continuant à mitrailler de photos – il en prend entre 100 et 400 par jour. Sa journée se terminera à minuit. Il a déjà un rendez-vous client prévu le lendemain à 9 heures à Saint-Étienne. Il en a un second à Lyon, une heure plus tard.

Guillaume est sur Twitter.