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reportage

J’ai essayé de trouver l’amour grâce à la sorcellerie marocaine

Avec un peu de plomb fondu et d'encens, les « sahhara » prétendent pouvoir mettre n'importe quel être à vos pieds.
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Un sorcier du quartier Bab Bouljoud. Toutes les photos sont de Ali Idrissi

Au début du mois de février, Le Journal de Tanger racontait en quelques lignes l'histoire tragique de Noureddine El Amaïri, un enfant de quatre ans retrouvé égorgé dans un puits au Maroc. Si l'article en question écarte tout lien avec la sorcellerie, il témoigne d'une méfiance généralisée dans le pays – selon certaines croyances populaires, des sorcières locales (« sahharas ») prétendent que le sang d'un nouveau-né permet de redonner sa fécondité à une femme stérile. En outre, plusieurs enlèvement et meurtres d'enfants ont été liées à ces croyances, sans que l'on sache si ces suppositions sont avérées ou non.

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Désireux d'en savoir plus sur ces sorcières et leurs croyances, je me suis entretenu avec quelques habitants de Fès pour récolter quelques pistes. Après de nombreux entretiens, un type a fini par me parler de Fatiha, une sahhara apparemment réputée dans le quartier de Hay Badr. Elle serait capable de prédire l'avenir de ses clients, de soigner leurs maladies, de rendre leur mari fidèle, leur femme amoureuse, leurs enfants obéissants et leur patron bienveillant – voire même de détruire leur mariage pour se venger. A côté, les « chouaffates » qui se contentent de lire votre avenir, et les « nekkachates » – qu'on trouve à Bab Bouljoud, où elles invitent les passantes à se tatouer de henné – » ont presque l'air de petites joueuses.

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L'entrée du quartier Bab Bouljoud

Au quartier, des gamins m'indiquent l'immeuble de Fatiha comme si j'avais demandé l'épicier du coin. Son bâtiment est propre, et sa relative modernité tranche avec le caractère moyenâgeux de ce que je suis venu y faire. Une fois devant l'appartement, une femme me propose d'attendre au salon. Les lieux balancent des claques à la modestie avec leurs meubles en bois sculpté et leur artisanat plein de caractère qui trahissent la rentabilité de ce business.

Au bout d'une demie-heure, Fatiha, une sexagénaire en djellaba noire, vient me chercher. Je lui explique que je veux simplement me hasarder à une première expérience, avant de lui demander de prédire mon avenir proche. Fatima me conduit dans une petite chambre planquée au fond de son appartement, aux volets fermés et à la lumière tamisée, avec un matelas à même le sol en guise de meuble. Avant de s'installer, elle me demande 200 dirhams [20 euros], avant de m'expliquer qu'elle doit faire vite à cause d'un rendez-vous à l'autre bout de la ville. Après s'être absentée quelque temps – du moins assez longtemps pour que mon envie de partir en courant se fasse de plus en plus pressante –, elle revient avec des plaques de plomb. En entamant un chant à très haute voix, elle en fait fondre quelques morceaux dans un mortier, avant de jeter le tout dans une bassine d'eau installée sous mes pieds. Tout au long du processus, son regard est fuyant, comme si d'autres personnes se trouvaient dans la pièce. À l'exception d'un tatouage bleu en forme de motifs reliés par une ligne qui part de son menton pour se dissimuler sous sa djellaba, son visage ne laisse rien transparaître.

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Plus tard, j'ai appris que cet ornement était l'un des plus anciens rites de la culture berbère : « l'akrad » consiste à se scarifier la peau avec une épine de cactus en suivant les contours d'un dessin préalablement tracé avec de la suie. On l'enduit d'un mélange de feuilles de fèves et d'indigo pilé pour le rendre indélébile. Les motifs, en plus de servir à sublimer la beauté féminine, ont chacun une utilité protectrice et une valeur symbolique. Leur assemblage raconte la vie de celle qui les porte.

Les morceaux de plomb ont donné des formes plutôt jolies au son des incantations. Après quelques banalités aussi véridiques que passe-partout, elle me dit qu'elle sait que je suis épris d'une demoiselle à qui je parlerais souvent sur internet, mais que cette affection ne semble pas être réciproque. Face à mon désarroi apparent, Fatima m'a expliqué qu'elle pouvait m'aider à avoir cette demoiselle au creux de la main, pour peu que je revienne avec une photo et quelques-un de ses cheveux. Il me faudra aussi des ingrédients disponibles chez un bon herboriste : de la peau de reptile que j'aurai à placer sous la semelle de ma bien-aimée, ainsi qu'un peu d'encens. Sachant pertinemment que j'en serais tout bonnement incapable, j'ai décidé de faire la seule chose qui se trouvait à ma portée – je suis allé voir un herboriste.

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Pour beaucoup de Marocains, le recours aux plantes médicinales remplace les médicaments. Cela peut donner lieu à un tas de pratiques sociales étranges : il n'est pas rare de croiser des herboristes ambulants ou non, qui sillonnent les quartiers populaires ou à l'entrée des mosquées. Ils exposent des dizaines de produits en poudre dans des bocaux avec une étiquette indiquant les maux ciblés, des ulcères aux hémorroïdes en passant par les troubles érectiles. Et à côté de ça se trouvent des peaux d'animaux destinées à toutes sortes de sorcelleries. L'épouse d'un ancien ministre marocain a même été arrêtée l'an dernier, alors qu'elle était sur le point d'acheter une hyène à 110 000 dirhams (10 000 euros) – on raconte que la cervelle de ces animaux permettent d'être adulé par son entourage.

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Le plus connu des herboristes à Fès, Hamza, se trouve route d'Aïn Chkef. Il m'assure qu'il ne vend pas de produits destinés à ce genre d'usages : « Parfois, avec l'expérience, je sais pourquoi une dame me demande tel produit ou telle plante. Mais je ne peux pas refuser de lui en vendre, rien ne me prouve qu'elle veut l'utiliser à des fins interdites. C'est entre elle et Dieu. »

Si Hamza me parle de religion, c'est parce que l'Islam interdit catégoriquement l'usage de la sorcellerie. Je suis allé à la rencontre de Youssef Al Ghazi, diplômé en sciences islamiques à l'université Al Quaraouiyine

. Selon lui, « même quand les intentions sont louables, la sorcellerie ne peut engendrer que du mal : la désunion, la maladie ou la mort. Ce sont les Djinns qui ont appris la sorcellerie aux hommes. D'ailleurs pour en faire l'usage, la sorcière doit se rapprocher du Diable. » Cela peut se négocier en sacrifiant un animal en son nom ou en écrivant des versets du coran à l'envers, par exemple.

Ou alors, le Diable peut venir à vous et squatter votre âme et conscience. C'est ce que m'a raconté Salima, une étudiante en pharmacie de 21 ans. Voilà deux années qu'elle voit le Djinn me dit-elle, dans ses rêves, il l'insulte, la balance dans tous les sens et se moque d'elle. Elle ne peut plus écouter le Coran sans se sentir étouffée, elle se dit égarée dans sa vie qu'elle mène dans une colère noire permanente. Pour elle, il n y a aucun doute sur le fait qu'elle soit possédée. Alors elle consulte une sahhara pour la guérir. Au fil de mon voyage, j'ai entendu de nombreuses histoires du même ressort – toutes semblent indiquer que les sahharates sont à la source du problème de ces jeunes gens, qui se tournent pourtant vers elles pour les résoudre.

Dans Les Mots, la Mort, les Sorts (1977), Jeanne Favret Saada concluait une décennie de recherches sur la sorcellerie par la démonstration de cette même théorie : le sorcier, qu'il habite dans un bocage normand ou une montagne du Rif marocain, attirerait à lui une base vitale d'un individu. Et ce dernier n'aurait alors pas d'autre issue, pour réagir, éviter d'être ruiné ou de crever, que de faire appel à son tour à un sorcier. Les sahharas marocaines devraient donc leur prospérité à un cercle vicieux dont l'origine remonte à plusieurs millénaires.

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